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se prononcer. Elle vota le projet sans modification, après lui avoir consacré les séances, matin et soir, des 12, 13 et 14 février. Aussi bien la réforme, si importante qu'elle fût, ne parut pas fixer beaucoup son attention et, dans les discours prononcés à cette occasion, percent parfois plus les visées politiques et la préoccupation des élections prochaines que le souci des intérêts de la jeunesse travailleuse. Les propositions ministérielles furent approuvées en bloc.

Etant données et la gravité de la question et la circonspecte lenteur apportée jusqu'alors à la résoudre, la Chambre haute s'attendait à être consultée. Cependant le ministre, satisfait sans doute de la ratification sans restriction donnée par les députés, craignant peut-être de rencontrer ailleurs des objections plus sérieuses et de voir rouvrir une discussion sur certains points déjà critiqués au conseil supérieur, crut n'avoir plus de consultations à prendre. C'était son droit, et le Sénat n'a pu se plaindre que d'un manque de logique et de convenance à son égard: il ne s'agissait pas d'une loi à faire. Toujours est-il que, dans une lettre au président d'un congrès de professeurs qui devait se tenir pendant les vacances de Pâques, M. Leygues, parlant des réformes comme « approuvées par les Chambres », M. Joseph Fabre fit remarquer sans succès que le Sénat n'avait pas été pressenti, Nouvelle lettre au ministre, le 22 mai, d'un autre sénateur, M. Denoix. « J'ose espérer, disait-il, que les travaux auxquels se livre en ce moment le conseil supérieur ne seront suivis d'aucune décision de votre part, avant que le Sénat se soit prononcé sur un projet de réformes touchant à une question aussi importante que celle de l'enseignement secondaire ». Il ne lui fut fait aucune réponse. Signés le 31 mai, les décrets parurent à l'Officiel du 2 juin.

D'ailleurs, le Sénat ne garda pas rancune au ministre de l'instruction publique. Interpellé devant lui à ce sujet, ce dernier allégua le manque de temps et, malgré les protestations de MM. Wallon, de Lamarzelle et Fabre, cette explication fut déclarée suffisante, par 201 voix contre 46, à la séance du 9 juillet 1902.

Voici les grandes lignes du plan d'études, « la partie la plus importante de l'œuvre », dit la lettre ministérielle. Tout d'abord, l'enseignement classique et l'enseignement moderne continuent à co-exister en fait, mais ces dénominations de classique et moderne disparaissent. De l'opposition des noms étaient résultés, paraît-il, « de graves malentendus, une rivalité funeste » (1), qui ne se reproduiront plus, du moins le ministre l'espère, avec un enseignement secondaire divisé en sections diverses. Cet enseignement comporte une durée normale de sept années, afin de maintenir élevé le niveau des études, et est partagé en deux cycles de quatre et trois ans.

(1) Lettre du ministre au président de la commission, janvier 1902.

Dans le premier cycle (1) (de la sixième à la troisième inclusivement), l'élève a le choix entre deux sections.comportant des matières communes, mais profondément distinctes. La section A comprend, en effet, le latin à titre obligatoire dès la classe de sixième, et le grec, à titre facultatif, à partir de la quatrième. Dans la section B, le latin et le grec ne sont plus enseignés; mais une part plus grande est faite à l'enseignement du français, du calcul, des sciences naturelles. Ce premier cycle doit déjà fournir aux élèves de l'une et l'autre section un ensemble de connaissances formant un tout, utilisable en soi. A l'issue de ce cycle, un certificat d'études secondaires peut être délivré aux élèves, qu'ils quittent le collège ou qu'ils y poursuivent leurs études, « en raison des notes obtenues par eux durant ces quatre années d'études et après délibération des professeurs dont ils ont suivi les cours ». C'est là un simple certificat, non un diplôme, et il n'est pas décerné après un examen public. Donné par les professeurs, (aussi bien, croyons-nous, dans l'enseignement libre que dans l'enseignement public), il vaudra comme attestation pour ceux qui abandonnent à ce moment leurs études, et, à l'égard de ceux qui les continueront, il constituera une assurance contre les chances du baccalauréat à l'égal du livret scolaire. S'il est refusé, il y aura là un sérieux avertissement pour les élèves et pour leurs parents.

Le second cycle, ouvert à ceux qui veulent continuer leurs études, les met au choix entre quatre sections ou groupements de cours: 1o section langues mortes, latin et grec; 2° section latin, langues vivantes; 3o section latin, sciences; 4° section sciences, langues vivantes.

Ces

Ces désignations ont en elles-mêmes une signification assez précise. Il suffit d'observer, d'une part, que la quatrième section est ouverte même aux élèves qui, ayant fait du latin au cours du premier cycle, désirent y renoncer; de l'autre, que les langues vivantes sont enseignées de façon à les faire parler et écrire dans leur forme usuelle. études ont pour sanction un baccalauréat unique, subi, comme devant, en deux parties, séparées par un an d'intervalle, la première après la 2. année (classe de première) (2), la seconde après la troisième année (classe de philosophie). Pour chacune des sections, les épreuves diffèrent; mais il n'y a qu'un seul diplome, et ce diplôme, s'il fait mention de la section suivie par l'élève, confère du moins à tous les mêmes droits, ouvre les mêmes carrières.

Enfin, à côté du second cycle et pour répondre à des besoins pratiques spéciaux, un cours d'études est créé, d'une durée de deux ans seulement, plus spécialisé dans son programme, ayant pour sujet principal les langues vivantes et les sciences appliquées. Ce sera l'équivalent de ce qu'on nomme, en certains pays étrangers, l'enseignement réel. Etabli

(1) Il fait suite à un cours primaire d'une durée normale de quatre années (classes de 10 à 7 inclusivement).

(2) La dénomination de rhétorique disparaît.

en quelques régions seulement et très varié dans sa forme, il sera donné suivant des programmes arrêtés par le ministre sur la proposition des conseils académiques. Un examen public le clôturera, qui n'aura rien de commun avec le baccalauréat : un certificat pourra être délivré portant les matières de cet examen et les notes obtenues.

Reste à dire, pour être complet, que, d'après l'arrêté ministériel du 31 mai 1902 pris pour l'exécution du décret du même jour, le conseil supérieur de l'instruction publique entendu : 1° le nombre des heures de classe est fixé par semaine à 20 dans le cours préparatoire, de 22 à 26 dans le premier cycle, de 23 à 30 dans le second (1); 2o de nouveaux enseignements pourront être créés, soit par les recteurs, soit par le ministre, suivant les cas; 3° sauf exception, la durée des classes sera désormais d'une heure. Cette dernière innovation a pour but tant d'éviter la fatigue pour l'esprit de l'élève et du maître que de rendre possible les groupements de matières et les options.

Il est impossible de porter dès maintenant un jugement définitif sur la valeur de la réforme; seule l'épreuve du temps permettra d'apprécier sainement l'œuvre que M. Alfred Fouillée appelle « un 93 universitaire » (2). Ce qui est certain, c'est qu'elle va à l'encontre, tant des conclusions à tirer de la grande enquête sur l'enseignement puisque les autorités compétentes repoussaient presque toutes l'idée de considérer l'enseignement moderne comme l'égal et le rival du classique (3), que du projet élaboré au conseil supérieur de l'instruction publique assignant à chacun des deux enseignements une sphère distincte et nettement séparée. On y a vu moins l'oeuvre raisonnée de gens du métier qu'une combinaison de politiciens et elle a soulevé dans le monde de l'enseignement de très vives protestations.

On voulait diminuer le nombre d'heures de travail pour les écoliers. Comme la chose devenait difficile, puisqu'on augmentait l'étendue des programmes, on a limité à une heure la durée des classes et, dans son instruction du 19 juillet aux recteurs, le ministre déclare attendre beaucoup de cette innovation. Elle est cependant jugée mauvaise par des universitaires fort compétents. «La seule raison invoquée, dit M. H. Bernès, (4) est une simple confusion: un cours de deux heures est trop long.

(1) L'arrêté ministériel fait, pour chaque classe, la répartition hebdomadaire des matières.

(2) Journal des débats, 9 mars 1902.

(3) Même en dehors du corps professoral, l'enseignement classique a rencontré les défenseurs les plus convaincus. « Les chambres de commerce se sont toutes prononcées en sa faveur », a remarqué M. Ribot qui ajoute sa disparition serait un malheur auquel les partisans les plus résolus de l'enseignement moderne ne pourraient se résigner ».

:

(4) L'enseignement secondaire, 1er juillet 1902, p. 222. Sic, M. Alb. Petit, Journal des débats, 16 mai: «< La classe abrégée, c'est la classe sans répit, la course haletante vers le but, le programme à jet continu ».

Mais précisément, c'est la marque propre de notre classe de n'être point un cours. Si un professeur inexpérimenté la transforme en cours, il ne fait pas sa classe. Réduite à une heure, au contraire, elle va devenir nécessairement un cours, toute variété dans les exercices devenant impossible ». Au contraire de ce que recommandait le ministre, il n'y aura plus de classe éducative.

Au point de vue pratique, la réforme a été considérée, à bon droit, comme d'une complexité extrême et « d'une complication un peu chinoise (1). » Désormais, nous n'aurons plus qu'un baccalauréat, et il y a simplification apparente. Mais les programmes sont très chargés et très vagues à la fois. Puis les épreuves de ce baccalauréat unique seront bien variées, puisqu'à la première partie elles se partagent en quatre sections différentes et en deux à la seconde, sans parler même des modifications résultant des convenances locales, notamment quant au choix des langues vivantes à présenter. Or cette complication sera encore plus accentuée, surtout plus gênante, au cours des études elles-mêmes, et pour les maîtres et pour les élèves. « L'Université est inquiète, dit M. Bréal (2), et elle a raison de l'être; car, à l'heure qu'il est, personne n'y est sûr de rien. Les proviseurs ne peuvent dire au juste ce que, à la rentrée, on trouvera encore dans leurs lycées. Les professeurs ignorent sur quoi devront porter leurs leçons. Quant aux familles, elles se perdent dans les nouvelles divisions et subdivisions; elles demandent des éclaircissements aux gens du métier, qui sont embarrassés pour leur en fournir ».

Quelle inextricable besogne ce sera de régler l'ordre du jour dans une maison d'éducation secondaire qui, à raison de son importance, applique intégralement la quadrifurcation du second cycle. Sans parler des difficultés du recrutement des professeurs et des frais qui en résulteront, il faudra répartir les matières de l'enseignement entre de très nombreuses classes et combiner les passages de l'une à l'autre, tant des maîtres que des élèves, sans que cette complexité nuise trop à l'ordre et à la discipline intérieure. Parfois, dans la mise en pratique d'un système aussi compliqué, les chefs d'institution se heurteront, d'après les hommes du métier, à « des impossibilités matérielles (3) ». Du reste, là où la population scolaire est moins importante et où les classes de seconde et de première compteront 15 à 20 élèves, parfois moins, on ne pourra songer à éparpiller ceux-ci dans quatre sections, représentant l'ombre d'une classe, au risque de tuer l'émulation et de décourager le professeur. Mieux vaudra alors s'interdire un luxe inutile, voire même dangereux, et, des quatre voies diverses créées par le nouveau plan, ne maintenir ouvertes que les deux convenant mieux aux besoins et aux

(1) Levraud, J. Off. du 14 février 1902, débats parlementaires, Chambre, p. 646.

(2) L'enseignement secondaire, 25 juillet 1902.

(3) H. Bernès, L'enseignement secondaire, 15 novembre 1901, p. 300.

goûts de la clientèle (1). Celle-ci, d'ailleurs, sera fort embarrassée. L'esprit d'un élève est-il assez formé après la classe de troisième pour faire un choix entre les diverses spécialisations qu'on lui propose? La bifurcation inaugurée par M. Fortoul avait été naguère très critiquée, parce qu'elle obligeait les jeunes gens à se spécialiser trop tôt. Or, le nouvel ordre de choses encourt le même reproche, avec cette aggravation qu'il faudra opter, non plus entre deux termes opposés : lettres ou sciences, mais entre quatre solutions moins opposées que différentes. Qui dictera la décision à prendre, alors que les aptitudes de l'enfant sont à peine connues et qu'on ignore souvent à quelle carrlère il se destinera? Peut-être sera-ce uniquement, chez un élève médiocre, le dégoût des études déjà faites et mal faites, ou tout simplement la réputation, soit de sévérité, soit de bonhomie, de tel ou tel professeur. Ce ne sont pourtant pas des motifs suffisants pour un choix aussi important.

Mais surtout et de façon bien plus grave, on a reproché à la réforme actuelle de sacrifier l'enseignement classique, sans organiser l'enseignement spécial qui devait donner les recrues nécessaires à l'industrie et au commerce. Ce dernier enseignement est relégué à côté et au-dessous de l'enseignement secondaire proprement dit, condamné à végéter dans le discrédit et le mépris des apprentis bacheliers, tandis qu'en traçant de nouvelles voies vers le baccalauréat, on encourage, plus encore que par le passé, les jeunes gens à y tendre. Pourtant, « quand on veut que des gens passent par une certaine porte, le bon sens le plus élémentaire conseille de ne pas leur ouvrir l'issue opposée (2) ».

Or, bien loin de fermer cette autre issue, on en a facilité les abords au point, disent les amis de la culture classique et désintéressée qui semblent peu rassurés par les affirmations de MM. Ribot et Leygues (3), de consacrer << le désarmement intellectuel » (4) de la France. Qu'importe, a dit M. J. Fabre au ministre, dans la séance du 9 juillet 1902, au Sénat (5), « que vous exaltiez en paroles les humanités, si, de fait, vous leur portez un coup mortel? Les paroles passent, les actes demeurent ». Or, si l'on en croit la protestation des agrégés de grammaire et des lettres, membres du conseil supérieur de l'instruction publique, protes

(1) L'enseignement secondaire, du 15 mars 1902, Correspondance, par un vieux professeur.

(2) Alfred Fouillée, Journal des Débats, 9 avril 1902. (3) Chambre, séance du 14 février 1902.

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(4) Gebhart, Voir nationale, 7 avril 1902. Voir dans le même sens: - parmi les universitaires, Fouillée, Journal des Débats, 9, 16 et 23 mars 1902; H. Bernès, L'enseignement secondaire. 15 novembre 1901, 15 mars 1902; Ch. H. Boudhors, ibid., n° du 15 février 1902; - dans l'enseignement libre, Lahar gou, l'Enseignement chrétien, 1er juin 1902, p. 401 et suiv.; Lenoble, ibid., 4er octobre 1902, p. 588 et suiv.; Maillard, Bulletin de la Société d'education, no du 15 février 1902, p. 104 et suiv.; Terrat, ibid., no du 15 avril, p, 249 et suiv.; Burnichon, Etudes religieuses, t. 91 (1992), p. 762 et suiv. M. Viviani avait déjà dit à la Chambre, le 13 février (J. Off., débats, p. 651): « L'enseignement classique reçoit un coup mortel dans une pareille réforme ». (5) Sénat, séance du 10 juillet 1902, p. 986.

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