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trente ans au moins et quatre-vingt-dix-neuf ans au plus prend le titre d'emphyteose ou de bail à long terme. » Mais cette définition souleva les objections les plus vives de la part de M. de Gavardie: « La commission, disait l'honorable sénateur, suivant le projet du gouvernement sur ce point, considère l'emphytéose comme un bail... Il est certain que ce n'est pas un bail, car jamais le preneur n'a pu transmettre son droit, ni l'hypothèquer. » Le Sénat s'est rendu à ces observations et l'unification entre l'emphytéose et le bail à long terme a été repoussée. Les baux ordinaires ne pourraient donc pas, même par convention expresse, emprunter les effets essentiels du bail à emphytéose. « On pourra sans doute, disait le rapporteur de la loi, attacher aux baux ordinaires certaines conditions qui se rapprochent de celles prescrites dans les baux emphytéotiques, mais les effets essentiels du bail emphytéotique, c'est-à-dire l'exercice de ces droits réels au profit du preneur : droits de servitude et d'hypothèque, ne peuvent être attachés qu'à un bail ayant une durée de dix-huit années et soumis à la transcription. » Quoi qu'il en soit, le législateur nouveau, suivant l'exemple du droit romain et de notre ancien droit, ne nous donne pas la définition du bail emphytéolique. On peut dire que le bail à emphytéose est une convention aux termes de laquelle une des parties consent, moyennant des prestations de nature à améliorer l'immeuble que l'autre partie s'oblige à fournir, un droit réel immobilier spécial, d'une durée au moins égale à dix-huit ans, mais qui ne peut excéder quatre-vingt-dix-neuf années, et qui confère au preneur un usage et une jouissance plus complète que dans le louage ordinaire.

A défaut de volonté formellement exprimée par les parties, l'emphytéose pourra se reconnaître à l'objet du contrat. L'essence de l'emphytéose a été, en effet, de tout temps, dans la cession temporaire d'un fonds en vue de l'amélioration de ce fonds par le preneur. On pourra aussi prendre en considération la durée de la convention qui doit être supérieure à dix-huit années et qui ne peut dépasser quatre-vingt-dixneuf ans. Passé pour un terme de dix-huit ans ou de moins de dix-huit ans, le contrat devrait être considéré comme un simple bail, n'engendrant au profit du preneur qu'une action personnelle.

Aux termes de l'article fer de la loi du 25 juin 1902, la convention emphytéotique engendre au profit de l'emphytéote un droit réel immobilier, susceptible d'hypothèque, pouvant être cédé et saisi dans les formes. prescrites pour la saisie immobilière. Le texte ne dit pas si la transmission d'un droitréel susceptible d'hypothèque est de l'essence de l'emphytéose. D'après l'opinion exprimée par M. Graux, rapporteur à la Chambre des députés, il n'en serait pas ainsi et rien n'empêcherait les parties de déroger à cette règle en stipulant que le preneur ne pourra pas hypothéquer son droit. Nous avons cependant des doutes sur la valeur de cette opinion. Nous remarquons d'abord que le texte ne contient aucune réserve concernant la volonté des parties, et d'ailleurs il nous semble que l'interdiction d'hypothéquer serait contraire au but même pour

suivi par le législateur. En consacrant législativement le droit réel d'emphytéose, n'a-t-on pas visé en effet à permettre au preneur emphytéotique de recourir au crédit réel, ce que ne peut faire un locataire ou un fermier, et n'a-t-on pas voulu le mettre ainsi à même de se procurer les avances considérables qu'exigeront les travaux dont il a assumé la charge? On peut ajouter enfin que la jurisprudence antérieure considérait la faculté d'hypothéquer comme un des traits caractéristiques de l'emphytéose (1). Or, si le législateur avait voulu rejeter cette manière de voir, il n'aurait pas manqué de s'en expliquer.

La capacité juridique exigée du bailleur a été déterminée en partant de cette idée que l'emphytéose étant un démembrement de la propriété, le bailleur doit avoir la capacité d'aliéner. De là il suit que les personnes qui n'ont pas la disposition de leurs biens et que les administrateurs de la fortune d'autrui ne peuvent consentir un droit d'emphytéose. Il faudrait également admettre que le co-propriétaire d'un immeuble indivis ne pourrait le donner à bail emphytéotique, même pour la part lui appartenant, sans le consentement de ses consorts.

Quelle est la capacité requise chez le preneur? La loi est muette sur ce point. Nous pensons qu'il faut décider que le preneur doit être capable de s'engager à titre onéreux.

Au point de vue de la preuve, la loi de 1902 soumet le bail emphytéotique aux mêmes règles que les baux ordinaires. Les articles 1715 et 1716 du code civil lui seront donc applicables. En pratique, les parties se trouvent indirectement dans l'obligation de dresser un écrit, afin de pouvoir remplir la formalité de la transcription.

Sous certains rapports, le contrat d'emphytéose apparait comme un contrat aléatoire. Ainsi la redevance est fixée à forfait pour toute la durée du contrat, si longue qu'elle soit. Les chances de gain ou de perte sont pour le preneur. A la différence du locataire ordinaire, il ne pourra pas demander la réduction de la redevance en cas de perte partielle du fonds, ni pour cause de stérilité du terrain ou de privation de toute récolte par suite de cas fortuits. Seule la perte totale du fonds pourrait être invoquée par lui comme cause de résiliation.

Le bailleur, de son côté, est autorisé à demander la résolution du contrat, suivant les règles ordinaires, soit pour inexécution des conditions du contrat, soit pour cause de détériorations graves commises par le preneur, soit pour défaut de payement de la redevance. Remarquons, à ce dernier point de vue, que l'article 5 de la loi entre dans plus de précision que l'article 1912 du code civil, relatif aux rentes pepétuelles : à l'expression un peu vague « deux termes », il substitue celle de « deux années consécutives ». Le juge, d'ailleurs, a toujours la faculté d'accor der des délais.

Conformément à la jurisprudence antérieure de la cour de cassation,

(1) Cassation, 6 mai 1861 (D. 1861, I. 418; S. 1871, I, 713); Cassation, 26 janvier 1864 (D. 1864. L. 83; S. 1864, I. 91).

le texte nouveau décide que le preneur ne pourra se soustraire à ses obligations en déguerpisssant. Il n'est plus lenu seulement propter rem, comme dans l'ancien droit; il a contracté une obligation personnelle à laquelle il ne peut se soustraire par l'abandon de l'immeuble. Les articles 7 et 8 définissent les obligations et les droits du preneur relativement à la jouissance de l'immeuble. Il peut entreprendre tous les travaux qu'il veut, changer les modes de culture, transformer les anciens bâtiments ou en construire de nouveaux, etc. On ne lui défend qu'une chose, c'est de diminuer la valeur du fonds. S'il a réalisé des améliorations, elles resteront au propriétaire, à la fin du bail, sans indemnité.

La responsabilité du preneur emphytéotique en cas d'incendie est la même que celle du locataire ordinaire. La loi de 1902 se contente, à cet égard, d'un renvoi pur et simple à l'article 1733 du code civil.

L'emphytéote peut acquérir des servitudes au profit du fonds; mais, comme il ne peut diminuer la valeur du fonds, il n'a le droit de le grever de servitudes passives que pour la durée de l'emphytéose elle-même et à charge d'avertir le propriétaire. Pourquoi la loi impose-t-elle cette dernière condition? A quoi bon avertir le propriétaire? Il est probable que le législateur a voulu simplement éviter qu'au moment où le propriétaire reprend sa chose l'exercice de la servitude puisse continuer à son insu.

Les articles 10, 11, 12 et 13 contiennent des dispositions accessoires ayant trait aux droits de l'emphyteote.

L'article final détermine le régime fiscal applicable à l'acte constitutif de l'emphyteose et aux mutations qui peuvent se produire. Le bail emphytéotique est assimilé aux baux d'une durée limitée (0 fr. 20% sur le montant des fermages cumulés.) Quant aux mutations de toute nature ayant pour objet, soit le droit du preneur, soit le droit du bailleur, l'article 14 les soumet au tarif qui concerne les transmissions de propriété d'immeubles (5 fr. 50 % sur le montant de la valeur vénale, déterminée par une déclaration estimative des parties.)

Art. 1er. Le bail emphyteotique de biens immeubles confère au preneur un droit réel susceptible d'hypothèque; ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière.

Ce bail doit être consenti pour plus de dix-huit années et ne peut dépasser quatre-vingt-dix-neuf ans ; il ne peut se prolonger par tacite reconduction.

Art. 2. Le bail emphytéotique ne peut être valablement consenti que par ceux qui ont le droit d'aliéner, et sous les mêmes conditions, comme dans les mêmes formes.

Les immeubles appartenant aux mineurs ou interdits pourront

être donnés à bail emphyteotique en vertu d'une délibération du conseil de famille homologuée par le tribunal.

Le mari pourra aussi donner à bail emphythéotique les immeubles dotaux avec le consentement de la femme et l'autorisation de la justice.

Art. 3. La preuve du contrat d'emphytéose s'établira conformément aux règles du code civil en matière de baux.

A défaut de conventions contraires, il sera régi par les dispositions suivantes.

Art. 4. Le preneur ne peut demander la réduction de la redevance pour cause de perte partielle du fonds, ni pour cause de stérilité ou de privation de toute récolte à la suite de cas fortuits. Art. 5. A défaut de payement de deux années consécutives, le bailleur est autorisé, après une sommation restée sans effet, à faire prononcer en justice la résolution de l'emphyteose.

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La résolution peut également être demandée par le bailleur en cas d'inexécution des conditions du contrat, ou si le preneur a commis des détériorations graves.

Néanmoins les tribunaux peuvent accorder un délai suivant les circonstances.

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Art. 6. Le preneur ne peut se libérer de la redevance, ni se soustraire à l'exécution des conditions du bail emphyteotique en délaissant le fonds.

Art. 7. Le preneur ne peut opérer dans le fonds aucun chau gement qui en diminue la valeur.

Si le preneur a fait des améliorations qui augmentent la valeur du fonds, il ne peut les détruire, ni réclamer à cet égard ancune indemnité.

Art. 8. Le preneur est tenu de toutes les contributions et charges de l'héritage.

En ce qui concerne les constructions existant au moment du bail et celles qui auront été élevées en exécution de la convention, il est tenu des réparations de toute nature; mais il n'est pas obligé de reconstruire les bâtiments, s'il prouve qu'ils ont été détruits par cas fortuit, par force majeure, ou qu'ils ont péri par le vice de construction antérieur au bail.

Il répond de l'incendie, conformément à l'article 1733 du code civil.

Art. 9. L'emphytéote peut acquérir au profit du fonds, des servitudes actives et le grever, par titre, de servitudes passives, pour un temps qui n'excédera pas la durée du bail et à charge d'avertir le propriétaire.

Art. 10.

L'emphytéote profite du droit d'accession pendant la

durée de l'emphytéose.

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Art. 11. En cas d'expropriation pour cause d'utilité publique, le bailleur devra faire connaître le droit de l'emphytéote, conformément aux dispositions de l'article 41 de la loi du 3 mai 1841. Des indemnités distinctes sont accordées au bailleur ou au preneur. Art. 12. Le preneur a seul les droits de pêche et de chasse et exerce à l'égard des mines, minières, carrières et tourbières, tous les droits de l'usufruitier.

Art. 13. Les articles 1, 9, 11 sont applicables aux emphytéoses antérieurement établies, si le contrat ne contient pas de stipulations contraires.

Art. 14. L'acte constitutif de l'emphytéose n'est assujetti qu'aux droits d'enregistrement et de transcription établis pour les baux à ferme ou à loyer d'une durée limitée.

Les mutations de toute nature ayant pour objet, soit le droit du bailleur, soit le droit du preneur, sont soumises aux dispositions de la loi du 22 frimaire an VII et des lois subséquentes concernant les transmissions de propriété d'immeubles. Le droit est liquidé sur la valeur vénale déterminée par une déclaration estimative des parties.

XVIII.

LOI DU 9 JUILLET 1902, TENDANT A COMPLÉTER L'ARTICLE 34 DU CODE DE COMMERCE ET L'ARTICLE 3 DE LA LOI DU 24 JUILLET 1867, EN CE QUI CONCERNE LES ACTIONS DE PRIORITÉ ET LES ACTIONS D'APPORT (1).

Notice et notes de M. Charles LYON-CAEN, membre de l'institut,
professeur à la faculté de droit de l'université de Paris.

Cette loi a deux objets principaux: 1o elle confère aux assemblées d'actionnaires des sociétés anonymes le pouvoir de décider la création d'actions de priorité sauf clause contraire de statuts; 2o elle écarte dans

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(1) J. Off. du 11 juillet 1902. TRAVAUX PRÉPARATOIRES. Chambre propos. Millerand, 12 juin 1899, doc. 1899, p. 167; rapport de M. Chastenet, doc. 1901, p. 176; adoption le 21 jauvier 1902 après déclaration d'urgence et sans discussion. Senat: rapport de M. Théodore Girard déposé le 12 juin 1902, doc. 1902, p. 426, adoption le 19 juin 1902, après déclaration d'urgence et sans discussion.

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Decugis, les actions d'apport négociables en cas de fusion

et les actions de priorité. Commentaire de la loi du 9 juillet 1902.

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