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le cas de fusion, sous les conditions qu'elle détermine, la défense de négocier les actions d'apport pendant les deux années qui suivent la constitution de la société.

1o D'après l'article 34, C. com. tel qu'il était rédigé avant la loi du 9 juillet 1902, le capital de la société anonyme se divise en actions ou en coupons d'actions d'une valeur égale. Cette disposition qui n'est même pas, du reste, considérée comme consacrant une règle impérative, ne concerne que le taux des actions et non les droits appartenant aux actionnaires; ces droits peuvent être différents, en ce sens spécialement que certaines actions peuvent conférer un droit de préférence sur les bénéfices ou sur l'actif social ou à la fois sur les bénéfices et sur l'aclif social. Mais si les actions auxquelles est attaché un tel droit de préfé rence et qu'on appelle actions de priorité ou actions privilégiées ou actions de préférence, sont licites en elle-mêmes, une difficulté s'est élevée sur le point de savoir si et à quelles conditions l'assemblée des actionnaires a le pouvoir de décider que des actions de cette nature seront émises.

La création d'actions de priorité constitue une modification des statuts. L'assemblée des actionnaires a toujours eu certainement le pouvoir de créer des actions de priorité lorsque le pouvoir lui en est expressément conféré par les statuts. Mais, dans le silence des statuts ou quand ceuxci conféraient, par une clause générale, à l'assemblée des actionnaires le pouvoir de voter les modifications jugées utiles, cette assemblée avaitelle le pouvoir de décider la création d'actions de priorité, pourvu, bien entendu, que la moitié du capital social fût représentée par les actionnaires votants, en vertu de l'article 31 de la loi du 24 juillet 1867?

Cette question se rattachait aux difficultés concernant les pouvoirs de l'assemblée des actionnaires quant aux modifications des statuts. On sait que la jurisprudence admet que cette assemblée a le pouvoir de modifier les clauses qui ne forment pas les bases essentielles du pacte social, mais que l'unanimité des actionnaires est nécessaire pour toucher à ces bases. De nombreuses difficultés s'élèvent sur le point de savoir quelles clauses de statuts sont à ranger dans l'une ou dans l'autre catégorie. Mais la jurisprudence admet que le principe d'égalité entre les actionnaires est une des bases essentielles du pacte social.

Des arrêts (1) et des auteurs (2) ont déduit de là que l'assemblée des actionnaires n'a pas le pouvoir de décider la création d'actions de priorité, à moins que le pouvoir ne lui en soit conféré par une clause expresse des statuts. Comme une telle clause est, en fait, rare, la création des actions de priorité n'était guère possible et ces actions étaient peu nombreuses en France alors qu'elles existent en grand nombre dans certains pays étrangers, spécialement en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Grande-Bretagne, en Italie.

(1) Paris 14 avril 1875, Sir., 1876. 2. 113.

(2) Lyon-Caen et Renault. Traité de droit commercial, (3o édit.), 11, no 867.

Cependant les actions de priorité ont souvent une réelle utilité. Une société peut, en créant des actions de priorité, se soustraire à la charge du paiement d'un intérêt fixe qu'elle aurait à supporter si elle empruntait par voie d'émission d'obligations. On conçoit aussi, comme on le fait, parait-il, en Grande-Bretagne et en Belgique, que des actions de priorité soient attribuées aux souscripteurs d'actions de numéraire, tandis que ceux qui font des apports en nature reçoivent des actions ordinaires.

M. Millerand, pour faciliter la création d'actions de priorité, a déposé à la Chambre des députés, le 12 juin 1899, une proposition de loi dont les dispositions insérées dans l'article 34, C. com., admettaient que ces actions pourraient être émises à moins de clause contraire des statuts, ce qui est, au point de vue des pouvoirs de l'assemblée des actionnaires, le renversement de la solution qui avait prévalu jusqu'alors en jurisprudence. Les Chambres ont voté sans discussion cette proposition qui est devenue la loi du 9 juillet 1902 avec des dispositions insérées dans l'article 3 de la loi du 24 juillet 1867, ajoutées par la Chambre et adoptées aussi par le Sénat.

2o Ces dernières dispositions jointes à la proposition de loi Millerand ont un tout autre objet que celle-ci. Elles apportent une exception à l'interdiction de négocier les actions d'apport pendant les deux ans qui suivent la constitution d'une société pour le cas de fusion de sociétés. Cette interdiction a été introduite par la loi du 1er avril 1893 dans l'article 3 de la loi du 24 juillet 1867. Elle peut, malgré les inconvénients qu'on lui a reprochés, s'expliquer par l'utilité qu'il y a à lier au sort de la société pendant un certain temps les apporteurs, qui sont souvent des fondateurs trop pressés, après avoir contribué à faire hausser le cours des actions, de les vendre avec bénéfices et de devenir ainsi étrangers à une société dont l'avenir est douteux.

Cette interdiction s'appliquait, à défaut de dérogation inscrite dans le texte de l'article 3 de la loi de 1867 modifié en 1893, au cas de fusion de sociétés. Il y a, en effet, constitution d'une société lorsque les sociétés qui fusionnent disparaissent toutes pour faire place à une société nouvelle. Puis, il y a augmentation du capital de la société quand une société en absorbe une autre et on sait que l'augmentation du capital d'une société par actions est soumise aux mêmes règles que la constitution. Ces solutions, quelque exactes qu'elles fussent en droit, étaient fâcheuses en fait, en ce qu'elles pouvaient entraver les fusions de sociétés qui sont souvent si utiles, notamment pour diminuer les frais généraux ou pour faire disparaitre une concurrence également nuisible aux différents concurrents. En outre, quand, en cas de fusion, la société à Jaquelle sont attribuées des actions d'apport a existé pendant deux ans, l'interdiction ne peut plus bien se justifier. Comme on l'a dit exactement, il y a déjà eu une sorte d'épreuve légale. Il est bien rigoureux d'en imposer une seconde à l'occasion de la fusion. L'article 2 de la loi du 9 juillet 1902 dont la disposition est insérée dans l'article 3 de la loi du

24 juillet 1867, a pour but d'écarter, en cas de fusion, l'application de l'interdiction de négocier les actions d'apport pendant deux ans.

Cette loi a été généralement approuvée. Mais on n'a pas tardé à s'apercevoir qu'elle ne résout pas une question transitoire d'une grande importance pratique, que la rédaction en est, à certains égards, défectueuse et que, par étourderie ou négligence, on a restreint aux sociétés anonymes des dispositions qui devraient s'appliquer également, par identité de motifs, aux sociétés en commandite par actions. Aussi, dès le 22 janvier 1903, MM. Théodore Girard, Poirier et Charles Prevet ont déposé au Sénat une proposition de loi modifiant la loi du 9 juillet 1902. Le texte nouveau qui doit remplacer les dispositions insérées en vertu de cette loi dans l'article 34 du Code de commerce et dans l'article 3 de la loi du 24 juillet 1867, a été voté par le Sénat en première lecture le 12 février et en seconde lecture le 9 mars 1903. Cette proposition tranche la question transitoire soulevée, améliore sur plusieurs points la rédaction des dispositions de la loi du 9 juillet 1902 et en étend la portée, de façon à ce qu'elle s'applique aux sociétés en commandite par actions comme aux sociétés anonymes.

Il importe de dire ici quelques mots de la question transitoire.

Celte question est relative aux actions de priorité. Il s'agit de savoir si la loi du 9 juillet 1902, qui admet la création d'actions de priorité par les sociétés, sauf clause contraire des statuts, s'applique même aux sociétés constituées antérieurement à la promulgation de cette loi. La plupart des auteurs qui se sont occupés de cette question transitoire, ont admis que la loi du 9 juillet 1902 ne peut pas être appliquée aux sociétés anciennes. Ils considèrent qu'il y aurait, sans cela, atteinte à un droit acquis, en violation de l'article 2 du Code civil relatif à la nonrétroactivité des lois. Les actionnaires avaient, avant la loi de 1902, un droit acquis à ce que, sans le consentement de tous, le principe d'égalité entre les créanciers ne fût pas écarté par la création d'actions de priorité.

Mais cette opinion a été vivement combattue. Pour appliquer aux sociétés anciennes les dispositions de la loi du 9 juillet 1902, on a fait valoir, à titre de considération, que l'utilité de cette loi serait presque nulle pendant un grand nombre d'années si on ne l'appliquait qu'aux sociétés constituées depuis sa promulgation. Puis, on s'est prévalu de ce qu'à défaut d'un texte de loi formel, le droit pour les assemblées géné rales de créer des actions de priorité même dans le silence des statuts pouvait être soutenu et l'a été effectivement. Enfin, le rapporteur au Sénat de la loi du 9 juillet 1902 a prévu la question dans son rapport et l'a résolue expressément dans le sens de l'application de cette loi aux sociétés anciennes en la considérant comme une loi interprétative. Voici, en effet, ce qu'on lit dans la fin du rapport de M. Théodore Girard : « Nous ajouterons, pour dissiper toute préoccupation, que, bien que le texte voté par la Chambre des députés soit muet à cet égard, il faut

admettre que la loi s'appliquera aux sociétés existantes, car elle doit être considérée, non comme introduisant un droit nouveau, mais comme ayant un caractère interprétatif, »

Cette question transitoire n'a pas tardé à être portée devant les tribunaux. Elle a été soumise au tribunal de commerce de la Seine à propos de la délibération de l'assemblée des actionnaires de la Compagnie des Messageries maritimes portant autorisation au conseil d'administration d'émettre des actions de priorité conformément à la loi du 9 juillet 1902. Le tribunal, par jugement du 10 décembre 1902 (La Loi, n° des 19-20 décembre 1902) a aunulé la délibération. Il ne s'est pas borné à décider que la loi du 9 juillet 1902, ne peut pas être appliquée à des sociétés anciennes ; il s'est fondé, en outre, sur ce que la clause des statuts relative à la distribution des bénéfices entre les actionnaires en proportion du nombre des actions de chacun, excluait la possibilité de créer des actions de priorité.

La proposition de loi votée par le Sénat, le 9 mars 1903, tranche la -question transitoire dans le sens de l'application de la loi nouvelle même aux sociétés anciennes (1).

Art. 1er. L'article 34 du code de commerce est ainsi complété :

«Le capital social de la société anonyme se divise en actions et même en coupons d'actions d'une valeur nominale égale (2).

«Sauf les dispositions contraires des statuts, la société (3) peut créer des actions de priorité, investies du droit de participer avant les autres actions à la répartition des bénéfices ou au partage de l'actif social (4) (5).

<< Sauf les dispositions contraires des statuts, les actions de priorité et les autres actions ont, dans les assemblées, un droit de vote égal.

«Dans le cas où la décision de l'assemblée générale comporterait une modification dans les droits respectifs des actions des différentes catégories, il faut, en dehors de l'assemblée générale,

(1) Cette proposition de loi a été l'objet d'un rapport favorable fait à la Chambre des députés par M. Cruppi.

(2) Cet alinéa est la reproduction textuelle de l'article 34 C. com. tel qu'il était rédigé avant la loi du 9 juillet 1902; les alinéas suivants ont été ajoutés à l'art. 34 C. com. par cette loi.

(3) Il ne s'agit que d'une société anonyme, puisque l'article 34 C. com. ne concerne point la société en commandite par actions.

(4) La rédaction de cet alinéa laisse à désirer, en ce qu'il ne vise point les actions conférant un droit de préférence à la fois sur les bénéfices et sur l'actif social.

(5) Cette disposition est-elle applicable aux sociétés anonymes constituées avant la mise en vigueur de la loi du 9 juillet 1902? V. sur cette question transitoire ce qui est dit dans la notice ci-dessus.

convoquer une assemblée spéciale des actionnaires dont les droits ont été modifiés. Cette assemblée spéciale doit délibérer, eu égard au capital représenté par les actions dont il s'agit, dans les conditions de l'article 31 de la loi du 24 juillet 1867 en tant que les statuts ne contiendraient pas d'autres prescriptions (1) ».

Art. 2. Le paragraphe 3 de l'article 3 de la loi du 24 juillet 1867, modifié par la loi du 1er août 1893 (2), est ainsi complété : « Ces prescriptions et ces prohibitions ne sont pas applicables au cas de fusion de sociétés anonymes (3) ayant plus de deux ans d'existence, soit par absorption de ces sociétés par l'une d'entre elles, soit par la création d'une société anonyme nouvelle englobant les sociétés préexistantes. >>

XIX.

LOI DU 10 JUILLET 1902, AUTORISANT LA VILLE DE PARIS A PERCEVOIR UNE TAXE SUR LA VALEUR EN CAPITAL DES PROPRIÉTÉS BATIES ET NON BATIES ET RAPPORTANT L'AUTORISATION DE PERCEVOIR DIVERSES AUTRES TAXES DE REMPLACEMENT (4).

La suppression des droits d'octroi sur les boissons hygiéniques à Paris a donné lieu à l'établissement de taxes de remplacement qui grèvent lourdement certaines catégories de contribuables, et particulièrement les propriétaires d'immeubles (5).

(1) La rédaction de cet alinéa n'est pas très claire quant au quorum exigé pour l'assemblée spéciale. La proposition de loi votée par le Sénat le 9 mars 1903 éclaircit cette disposition.

(2) La disposition de l'article 3 de la loi de 1867 modifiée par la loi du 1er août 1893 ici visée, est ainsi conçue : « Ces actions ne peuvent être détachées de la souche et ne sont négociables que deux ans après la constitution définitive de la société. »

(3) On ne sait pas pourquoi cette disposition a été restreinte aux sociétés anonymes. Cela doit paraître d'autant plus singulier que l'article 3 de la loi de 1867, dans lequel la disposition est insérée, ne concerne que les sociétés en commandite par actions et que l'article 24 de la loi de 1867 renvoyant à l'article 3 pour le déclarer applicable aux sociétés anonymes, la disposition nouvelle aurait été applicable aux deux espèces de sociétés par actions si les mots sociétés anonymes n'avaient pas été insérés. La proposition de loi adoptée par le Sénat, le 9 mars 1903, admet que la règle nouvelle s'applique aux sociétés en commandite par actions comme aux sociétés anonymes.

(4) J. Off. du 11 juillet 1902. TRAVAUX PRÉPARATOIRES.

adoption, 8 juillet 1902.

Sénat doc. 1902, p. 425; rapport, p. 446;

(5) V. Annuaire, tome XX, p. 194;

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