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qui confisque aux épargnants contemporains, au profit des générations futures, un petit capital amassé avec peine, et qui constitue un bien de main morte; 2o de traiter uniformément tous les sociétaires, sans distinction quant à leur âge d'entrée dans la société; 3° de corriger d'une manière imparfaite l'inégalité des partages.

M. Cheysson avait soumis des critiques analogues au comité technique de la Ligue nationale de la prévoyance et de la mutualité (Revue de la prévoyance et de la mutualité, 1902, p. 11 et suiv.).

Art. 1er. Les sociétés de prévoyance actuellement existantes qui ont pour objet de partager entre leurs adhérents, à partir d'une certaine durée de sociétariat, une part des intérêts du capital social, et dont la durée est illimitée, sont autorisées à fonctionner dans les termes de l'article 5 de la loi du 1er juillet 1901, à condition de faire, dans le délai d'un mois, à partir de la promulgation de la présente loi, les déclarations exigées par ledit article.

Celles de ces sociétés qui auront fait la déclaration ci-dessus prévue continueront à jouir des exemptions de droit dont elles ont, en fait, bénéficié jusqu'à ce jour.

Art. 2. Au cours des dix premières années du partage, aucun sociétaire ne pourra recevoir, à titre de part annuelle, une somme supérieure à une fois et demie le capital versé par lui au jour de la première répartition.

Art. 3. Les rentes viagères constituées en vertu de la présente loi seront incessibles et insaisissables, conformément à l'article 12 de la loi du 1er avril 1898 sur les sociétés de secours mutuels.

Art. 4. Les statuts, même dans leurs clauses fondamentales, pourront toujours être revisés, sur la proposition soit du conseil d'administration ou comité directeur, soit d'un vingtième des membres inscrits. Toutefois, cette revision devra être votée au scrutin secret et obtenir l'assentiment des deux tiers au moins des sociétaires présents après convocation spéciale. Si cette majorité des deux tiers était inférieure au quart des sociétaires inscrits, il y aurait lieu à une deuxième convocation et à un nouveau vote. Dans ce dernier cas, la majorité des deux tiers serait suffisante. Art. 5. La présente loi ne modifie pour l'avenir ni les dispositions de la loi du 1er juillet 1901, ni la législation antérieure sur les sociétés, les tontines et les sociétés de secours mutuels.

III.

LOI DU 4 FÉVRIER 1902, PORTANT MODIFICATION DU RÉGIME DES ADMISSIONS TEMPORAIRES DE FROMENT (1).

Notice et notes par M. J. BoULLAIRE, docteur en droit, ancien magistrat.

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But de la loi. La loi du 27 février 1894 a établi à l'importation du blé un droit de douane de 7 francs par quintal. Le législateur a pensé que ce droit est indispensable pour que la culture du blé soit rémunératrice et puisse se maintenir en France.

L'agriculture française ne peut, en effet, produire le blé au même prix que certains pays particulièrement favorisés, comme la Russie et les deux Amériques. Le prix de la main-d'œuvre, l'excès des impôts, la rente de la terre, la moindre fertilité du sol la mettent sur ce point dans un état d'infériorité manifeste.

Le vœu de la loi est donc que le prix du blé se maintienne en France à 7 francs de plus que dans les pays de libre importation, comme l'Angleterre et la Belgique.

Or, ce résultat est loin d'être atteint. Le droit de 7 francs ne joue qu'en partie et le prix du blé sur les marchés de Londres et d'Anvers n'est jamais inférieur de ce chiffre à celui des marchés français. L'agriculture française souffre depuis longtemps d'une baisse exagérée du prix du blé qui, de 1870 à 1890, est descendu progressivement de 22 fr. 84 l'hectolitre à 17 fr. 21, soit une baisse de 24 %. De là des plaintes trop justifiées, et la recherche des moyens de remédier à ce péril de la premiere de nos industries nationales.

Une des causes du mal, depuis longtemps signalée, était le régime de l'admission temporaire des blés. L'admission temporaire, dans son principe, consiste à permettre à un industriel de faire entrer en franchise de droits de douane les matières premières qui lui sont nécessaires pour être transformées en produits fabriqués destinés à la réexportation. Ainsi le minotier qui veut exporter de la farine aura le droit de se pro

(1) J. Off. du 5 février 1902.

TRAVAUX PRÉPARATOIRES. Chambre: projet de loi déposé par MM. Millerand ministre du commerce, Dupuy, ministre de l'agriculture, et Caillaux, ministr des finances, le 7 juillet 1900, exposé des motifs, doc. 1900, p. 1716; proposition de loi de M. Castillard, 11 mars 1901; rapport par M. Debussy, 13 juin 1901, doc. 1901, p. 512; rapport supplémentaire, doc. 1901, p. 626; discussion, urgence déclarée, 5 juillet et 24 octobre 1901.

Sénat exposé des motifs, doc. 1901, p. 385; proposition Prévet, p. 219; proposition Darbot, p. 226; rapport par M. Viger, p. 425; discussion 12, 13, 17, 19, 23 et 24 decembre 1901.

Chambre: exposé des motifs, doc. 1902, p. 31; rapport, p. 39; adoption, 29 janvier 1902.

curer à l'étranger sa matière première et de faire entrer en franchise ce blé destiné à être transformé en farine pour l'exportation, à la condition de sortir son produit fabriqué dans un délai déterminé, La main d'œuvre nationale est ainsi développée et encouragée.

Historique de l'admission temporaire des blés. Une ordonnance royale des 28 septembre-4 octobre 1828, applicable au seul port de Marseille, permit pour la première fois de transformer en farine des blés étrangers importés en franchise temporaire, à la condition de réexporter une quantité de farine équivalente. Une ordonnance royale du 20 juillet 1835 accorda cette faveur à la plupart des villes maritimes.

L'admission temporaire ainsi établie pour les blés fut étendue par la loi du 5 juillet 1836 (art. 5) aux produits étrangers qui seraient désignés par des ordonnances royales, destinés à être fabriqués ou à recevoir en France un complément de main-d'œuvre, et que l'on s'engage à réexporter ou à rétablir en entrepôt dans un délai de six mois. C'est cette loi qui aujourd'hui encore régit la matière. Le minotier qui, par application de cette loi, introduisait en franchise des blés dont il devait réexporter la farine et le son, avait un droit tout personnel, qu'il ne pouvait céder. Mais celte faculté reçut des extensions successives et on ne compte pas moins de treize décrets réglementant la matière. Le décret du 14 janvier 1850, puis ceux du 25 août 1861 et du 9 juillet 1868 permirent l'introduction des blés et la réexportation des farines par tous les bureaux de douane, tandis qu'auparavant il y avait obligation de les réexporter par le bureau de douane qui avait servi à l'importation des blés étrangers. Puis on réagit contre ces facilités trop grandes et un décret du 18 octobre 1873 stipula que la réexportation des farines ne pourrait avoir lieu que par les bureaux de la direction des douanes par lesquelles l'importation des blés avait eu lieu. En 1896, nouveau revirement. Le décret du 29 juillet 1896 étend les facultés d'exportation et divise la France en cinq zones. Les meuniers importateurs sont autorisés à exporter par toutes les frontières à leur guise. Ces mesures exclusivement favorables à la meunerie développèrent considérablement l'importation temporaire. En réalité, elles dénaturaient la loi de 1836 qui exigeait l'identique quant à la personne et l'identique quand au produit, c'est-àdire que l'importateur lui-même devait exporter les produits qu'il avait tirés de la matière importée. On eût pu, d'ailleurs, contester la légalité de simple décrets modifiant une disposition législative.

Des décrets avaient fixé aussi les quantités de produits fabriqués qui devaient être exportés en corrélation avec les blés importés. Divers types de farine furent créés représentant depuis 60 jusqu'à 90 % du poids des blés. Cette réglementation donna lieu à de vives critiques. Comme les quantités de farine retirées des blés importés étaient notablement supérieures à celles que le meunier était tenu d'exporter pour apurer les acquits-à-caution, il y avait à son profit un boni de fabrication et le taux légal de blutage constituait une véritable prime à l'exportation aux dépens de la production agricole.

Une partie de la farine fabriquée avec le blé étranger demeurait en France et, y faisant concurrence à la farine française, en faisait baisser le prix.

Le décret du 29 juillet 1896 modifia cette situation et supprima cet abus en portant de 60 kilogrammes à 67 kilogrammes 500 la quantité de farine du type le plus employé nécessaire pour apurer l'entrée de 100 kilogrammes de blé. Ce décret est maintenu en vigueur par la présente loi (art. 1er).

Pratique et abus de l'admission temporaire.

Dans le dernier état de la législation, l'admission temporaire des blés avait pris un développement important (5.341.000 quintaux de blé en 1899). Elle donnait lieu à un agio considérable et se pratiquait de la manière suivante :

Les soumissions d'admission temporaire de blés ne pouvaient être souscrites que par des meuniers. Elles étaient constatées par un acquità-caution. Elles devaient être apurées par des déclarations de réexportation signées par le soumissionnaire ou son fondé de pouvoir. Toutefois, le meunier soumissionnaire d'un acquit-à-caution, pouvait céder ce titre à un autre meunier chargé de le faire apurer (1). Cette cession était opérée par voie d'endossement dans les dix jours de la délivrance de l'acquit-à-caution. Le soumissionnaire primitif et sa caution, demeuraient responsables de l'apurement. Pas de soumission pour moins de 150 quintaux de blé à la fois. Les farines réexportées doivent être conformes aux types officiels. Il est établi des types distincts pour les farines de blé tendre et pour les farines de blé dur.

Le délai d'apurement des acquits-à-caution d'admission temporaire de blés destinés à être convertis en farine panifiable est fixé à deux mois. L'importation du blé en franchise pouvait avoir lieu par tous les bureaux ouverts à l'importation des céréales. La réexportation des farines pouvait être effectuée par les ports d'entrepôt réel ou les bureaux ouverts soit au transit, soit à l'entrée des marchandises payant plus de 20 francs les 100 kilogrammes. Les biscuits de mer, les pains de conserve, les semoules, les pâtes alimentaires fabriquées avec des semoules, l'amidon naturel et grillé, les biscuits sucrés peuvent être exportés comme les farines, et compenser l'importation des blés durs ou tendres suivant certaines conditions rigoureusement spécifiées.

« Il résulte de cette pratique, dit M. Viger dans son rapport au Sé<< nat (2), que du blé, introduit en franchise du droit,peut séjourner deux << mois sur le sol national avant que la farine qui en est la représenta«<tion soit soumise à la réexportation ou déclarée à la consommation «< intérieure. En d'autres termes, un importateur, au lieu d'entrer du «blé en payant le droit, peut l'importer avec suspension du droit, et il

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(1) De toutes les marchandises jouissant du privilège de l'admission temporaire, le blé était la seule qui permit à l'importateur de trafiquer de l'acquit-àcaution avec l'exportateur.

(2) Rapport sur la proposition de loi concernant l'exportation et l'importation des blés et farines et la création de bons d'importation, 13 décembre 1900.

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<< a deux mois pour opter entre l'importation réelle ou l'exportation des «farines. Si cette faveur était accordée seulement à un minotier, à la <«< charge de réexportation du produit fabriqué par ce même minotier, << elle ne présenterait aucun inconvénient, mais si elle est combinée avec « la faculté de faire apurer par une autre personne la soumission, elle «< constitue un moyen des plus puissants d'abaissement du cours du « blé. »

Un tiers peut faire cette opération d'apurement aux lieu et place de l'importateur, et depuis la suppression des zones, cet apurement peut être fait par un minotier situé au point le plus éloigné du bureau d'entrée. Un importateur de blé, à Marseille, fait décharger son acquit par un exportateur de farine de Dunkerque.

Le premier paye naturellement pour cette opération un courtage au second, puisque celui-ci le libère de l'obligation de payer au Trésor le droit de 7 francs dans le délai de deux mois et lui rend un service, qui, comme tout autre, est rémunérable en argent. Ce courtage prend la forme suivante: Il s'est établi sur les acquits-à-caution un agio, qui varie suivant les conditions de l'offre et de la demande, et qui est constaté et porté à la connaissance des minotiers par des courtiers dans des cotes imprimées. L'importateur de blé verse à l'exportateur de farine: 7 francs, moins l'agio sur l'acquit, qui peut être, par exemple, de 3 francs pour le blé tendre, c'est donc 4 francs qui seront payés par l'importateur à l'exportateur à qui il cède son acquit. Cet importateur qui aurait dû payer 7 francs sur les blés étrangers qu'il a introduits en France a déboursé seulement 4 francs. Ce qui constitue une véritable prime à l'entrée des blés étrangers et annule fatalement pour partie les effets du droit de 7 francs.

Quand il fut ainsi manifeste que les 300,000 ou 400,000 quintaux qui entrent en admission temporaire chaque mois depuis le commencement de 1900 exercent une action déprimante sur les cours du blé en France, les protestations énergiques de l'agriculture s'élevèrent de toutes parts (1). Les syndicats et les associations agricoles de toute nature réclamèrent contre cette situation. Plusieurs propositions furent présentées qui peuvent se résumer ainsi :

1° Suppression absolue de l'admission temporaire des blés. Cette mesure radicale porterait un grand préjudice à la minoterie française qui, avec une matière première grevée d'un droit de 7 francs, ne pourrait plus exporter ses produits à l'étranger. D'autre part, pour fabriquer certains produits, comme les pâtes alimentaires, il est nécessaire d'importer de l'étranger des blés durs, riches en gluten, qui ne se trouvent pas en France. Les agronomes contestent, il est vrai, cette assertion et

(1) En 1900, il a été créé pour l'importation des blés 7.803 acquits-à-caution, dont 4.918 apurés directement par les importateurs et le reste par les intermédiaires. 72 % ont été exportés par la Méditerranée et 28 % par le

Nord.

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