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vation de la pensée qui a présidé à sa conception, et du mérite de son exécution, être considérée comme une œuvre d'art (1).

Mais peu de décisions avaient été rendues sur ce même sujet; une autre décision du tribunal de Marseille du 17 janvier 1868 et un arrêt de la cour d'Aix du 19 juin 1868, infirmant pour partie ce jugement, avaient raisonné de la propriété artistique de l'architecte sans viser la loi de 1793 (2).

D'autre part, une décision importante avait été rendue en Belgique, alors que notre loi de 1793 y était en vigueur (3).

Elle aurait pu servir à consolider la jurisprudence française; les motifs en étaient conformes à la théorie du jugement du 30 avril 1855 précité et plus explicites. Mais la base du raisonnement était en grande partie l'argument tiré de la protection accordée aux sculpteurs, qui, eux aussi, n'étaient pas nommés dans la loi de 1793.

Il y avait lieu de craindre pour les architectes que la nouvelle loi, en comprenant les sculpteurs dans l'article 1er de la loi de 1793, ne leur enlevat le bénéfice de la loi de 1793 par un argument a contrario. Aussi, dès que le texte du projet du gouvernement fut connu, firent-ils des démarches pour être ajoutés au projet et admis ainsi définitivement et sans discussion possible au bénéfice de la loi de 1793.

Ils étaient d'autant mieux fondés à faire cette demande que dans ces dernières années des architectes s'étaient vu refuser la protection de la loi de 1793, soit par décision principale, soit par décision gracieuse. (Refus d'autoriser la saisie-contrefaçon sur requète).

D'autre part, alors que la doctrine était d'accord pour admettre les sculpteurs au bénéfice de la loi de 1793, certains auteurs (4) prétendaient que le silence du législateur de 1793 était volontaire pour les architectes et que leur exclusion résultait de raisons spéciales relatives à leur art. En conséquence, pour les architectes, comme pour les sculpteurs, la loi du 11 mars 1902 a été la confirmation d'une jurisprudence favorable qui pouvait leur échapper.

Pour les dessinateurs d'ornement, la loi du 11 mars 1902 a servi également à fixer la jurisprudence, en leur assurant définitivement une

(1) Dalloz, 1857, II, 28.

(2) Dalloz, 1780, II, 101.

(3) Voir jugement du tribunal de commerce de Liège du 22 nov. 1883, confirmé par arrêt de la cour de Liège. ANLET, De la protection des œuvres de la pensée, 1re partie, p. 53. Le jugement cité répondait à l'argument développé par le défendeur à l'action en contrefaçon, la Revue de l'Architecture en Belgique, en déclarant que le texte et l'esprit du décret-loi de 1793 ne permettent pas de douter qu'il est applicable aux architectes, dont l'œuvre pourrait être considérée comme une protection de l'esprit et du génie ; que vainement on objecte qu'ils ne sont pas spécialement cités dans l'énumération des artistes auxquels le législateur reconnaissait une propriété artistique et littéraire, puisque les SCULPTEURS NE SONT PAS NON PLUS COMPRIS DANS CETTE ÉNUMÉRATION, bien que le décret de 1793 leur soit applicable ainsi que l'a décidé une jurisprudence

constante....

(4) Voir Blanc. Traité de la contrefaçon, p. 249.

protection qui, à certains moments, leur avait fait défaut. Ainsi un arrêt de la cour de Paris du 21 janvier 1892 avait décidé qu'un dessin destiné à une affiche-réclame n'était pas un objet d'art, qu'il était devenu un simple modèle, un dessin de fabrique (1). Une décision de la 3e chambre du tribunal civil de la Seine du 14 mars 1894, relative à un dessin de Gerbault pour un menu du restaurant Larue, a fait application des mêmes principes, contrairement aux idées contenues dans l'arrêt de la cour de cassation du 31 juillet 1855 sus-indiqué (2).

Il y avait, en outre, toute une catégorie d'artistes dessinateurs dont les œuvres étaient destinées à être reproduites industriellement dans l'industrie des étoffes, des broderies, de la tapisserie, qui ne pouvaient revendiquer sûrement le bénéfice de la loi de 1793 et à qui la loi du 11 mars 1902 est venue donner une solution et une protection définitives.

Reste une question que nous indiquerons d'une façon sommaire. On peut se demander, en effet, si la loi du 11 mars 1902 a abrogé la loi du 18 mars 1806. Nous pensons que cette dernière loi peut rendre service à bien des industriels dont les produits revêtent une forme personnelle, nouvelle, mais dont l'aspect ne saurait en rien se rattacher à la production artistique: ainsi des dispositions de trames d'étoffes sans dessin figuré, ce que l'on nomme des armures, des modèles de roues, d'organes mécaniques, de cartonnages, de fleurs artificielles même, ne sauraient se grouper dans la catégorie des dessins ou des sculptures d'art appliqué. La loi du 11 mars 1902 ne contenant aucune formule abrogative, nous ne voyons pas qu'il soit juste de priver certains industriels qui n'ont jamais songé qu'à se prévaloir de la protection de la loi de 1806, du bénéfice qu'elle leur assurait: alors qu'il leur a toujours apparu que la loi de 1793 ne pouvait les concerner.

Sans doute, la loi du 11 mars 1902 dit que la loi de 1793 s'appliquera aux sculpteurs et dessinateurs d'ornement, quels que soient le mérite et la destination de l'œuvre. Mais nous pensons que ces termes ne vont qu'à éviter une discussion de principes dans l'application de la loi à telle ou telle œuvre plus ou moins artistique, ainsi que certains magistrats avaient été amenés à le faire dans les décisions critiquables que nous avons analysées plus haut et qui furent la cause initiale des troubles dont se plaignaient les artistes (3).

(1) Annales, 1894, p. 50.

(2) Droit d'auteur, 1894, p. 88.

(3) La commission de la Chambre des députés a indiqué qu'elle avait employé ces mots mérite et destination de l'œuvre pour affirmer la volonté du législateur dans le sens de la protection la plus large et la plus complète. (V. le rapport de M. Puech).

La commission du Sénat a affirmé la même intention en précisant que « la loi doit protéger les auteurs de dessins en tous genres, de même que la loi de 1793 mettait sous sa sauvegarde les auteurs d'écrits en tout genre. L'assimilation s'impose » (V. le rapport de M. Gomot).

En effet, la jurisprudence a décidé, à diverses reprises, qu'elle devait proté

HISTORIQUE DE LA LOI. Le projet du gouvernement, rédigé sur l'initiative du syndicat des fabricants de bronze et d'un certain nombre d'artistes, était originairement destiné aux sculpteurs de figures et d'ornement. En effet, le projet contenant un article unique ainsi conçu :

« Il est ajouté à l'article premier de la loi des 19-24 juillet 1793 un paragraphe ainsi conçu le même droit appartiendra aux sculpteurs de figures et d'ornement. »>

Pendant que le rapporteur de la commission, M. Puech, préparait son rapport, la société centrale des architectes français et la caisse de défense mutuelle des architectes firent une démarche auprès du gouvernement, de la commission et du rapporteur pour que les architectes fussent ajoutés à l'énumération de l'article 1er de la loi de 1793. A ces deux sociétés s'adjoignirent la société des architectes diplômés par le gouvernement, et l'association provinciale des architectes français. La commission parlementaire, d'accord avec le gouvernement, proposa alors un nouveau texte en deux articles, ainsi conçu :

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Art. 1er. Il est ajouté à l'article premier de la loi des 19-24 juillet 1793, après les mots : « les auteurs d'écrits en tous genres, les compositeurs de musique les mots : «<les architectes, les statuaires... ». Art. 2. Il est ajouté à l'article premier de la loi du 19-24 juillet 1793 un paragraphe ainsi conçu : « Le même droit appartiendra à la sculpture d'ornement, quels que soient le mérite et la destination de l'œuvre ». Ce projet fut voté sans discussion par la Chambre des députés. Devant la commission sénatoriale, un amendement fut présenté et

ger les œuvres littéraires de la moindre valeur un guide de voyageurs (Trib. civ. Seine, 6 avril 1842, aff. Teyssèdre: Blanc, op. cit., p. 68); un manuel de cuisine (C. Paris, 23 mai 1836, aff. Camuseaux; Blanc, op. cit., p. 466); des albums commerciaux composés de légendes, dessins et tarifs (C. Paris, 11 mai 1878, aff. Faguer, Annales, 78, p. 123); la romance au même titre que l'opéra (Trib. corr. Seine, 15 février 1822, aff. Doche; Gastambide, Traité des contrefaçons, p. 266; 15 déc. 1835, aff. Aulagnier; Gaz. Trib. 16 déc. 1833). Elle avait d'ailleurs protégé les images d'Epinal (Trib. corr. Seine, aff. Pellerin, 7 juin 1842, Blanc; op. cit., p. 249; Pouillet, Traité de la propriété littéraire et artistique, nos 16, 17, 24).

Cela est vrai dans toutes les branches de l'art comme de la littérature. Une seule chose doit importer au magistrat, l'effort personnel de l'auteur, soit pour créer une œuvre entièrement nouvelle, soit pour combiner les éléments empruntés à la nature, à l'observation de la vie, comme aussi au domaine public artistique ou littéraire et produire une œuvre ayant un caractère certain d'originalité. Ce sont là avant tout les éléments du criterium qui doit guider le magistrat; le plus ou moins d'importance du mérite artistique de l'œuvre n'importe pas si l'œuvre est originale, personnelle. Le chef-d'œuvre d'un artiste de génie, aussi bien que l'erreur de son talent; l'œuvre la plus belle d'un auteur éminent, ou l'œuvre insignifiante d'un auteur sans mérite doivent bénéficier de la même protection dans la loi de 1793, lorsqu'elles sont la conception originale de leur esprit.

Quant à la destination de l'œuvre et au mode de reproduction, qu'il soit artistique, industriel ou multiplié industriellement, le législateur de 1902, nous l'avons dit, a voulu affirmer une théorie analogue à celle de l'arrêt précité de la cour de cassation, du 21 juillet 1855.

soutenu par M. Vallé. Il consistait dans la substitution des mots sculpteurs à sculpture, et dans l'adjonction de dessinateurs d'ornement. Par suite de cet amendement, l'article 2 était ainsi conçu :

<«< Il est ajouté à l'article premier de la loi des 19-24 juillet 1793 un paragraphe ainsi conçu Le même droit appartiendra aux sculpteurs et dessinateurs d'ornement, quels que soient le mérite et la destination de l'œuvre .>>

Sur le rapport de M. Gomot, le Sénat adopta le texte voté par la Chambre, modifié par l'amendement de M. Vallé.

Art. 1er. Il est ajouté à l'article 1er de la loi des 19-24 juillet 1793, après les mots les auteurs d'écrits en tous genres (1), les compositeurs de musique... les mots : «< les architectes, les statuaires... »

Art. 2.

Il est ajouté à l'article 1er de la loi des 19-24 juillet 1793 un paragraphe ainsi conçu :

« Le même droit appartiendra aux sculpteurs et dessinateurs d'ornement quels que soient le mérite et la destination de l'œuvre. >>

VII.

DÉCRET DU 17 MARS 1902, PORTANT RÈGLEMENT, POUR LE TEMPS DE GUERRE, DES CONDITIONS D'ADMISSION ET DE SÉJOUR DES BATIMENTS FRANÇAIS ET ÉTRANGERS DANS LES MOUILLAGES ET PORTS DU LITTORAL FRANÇAIS (3).

Notes par M. Henri FROMAGEOT, docteur en droit, avocat à la cour d'appel de Paris.

Ce décret remplace celui du 12 juin 1896 sur le même sujet (4); il en reproduit les dispositions générales, en les modifiant seulement sur quelques points de détail, notamment en assurant plus énergiquement la police des eaux territoriales pendant la nuit.

(1) C'est par erreur que le Journal officiel porte tous genres. Le rapport de M. Gomot, p. 9, porte bien tout genre, le texte de 1793 est bien : tout genre ; au surplus le sens est le même.

(2) Le texte de l'article 1er de la loi de 1793 sera en conséquence ainsi rédigé « Les auteurs d'écrits en tout genre, les compositeurs de musique, les architectes, les statuaires, les peintres et dessinateurs, qui feront graver des tableaux ou dessins, jouiront, durant leur vie entière, du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages dans le territoire de la République, et d'en céder la propriété en tout ou en partie.

« Le même droit appartiendra aux sculpteurs et dessinateurs d'ornement quels que soient le mérite et la destination de l'œuvre. "

(3) Rapport et décret au J. Off. du 20 mars 1902.

(4) Ann. de lég. franc., t. XVI, p. 68. D'une façon générale nous ne pou

Art. 1er. En temps de guerre (1), entre le lever et le coucher du soleil, aucun bâtiment de commerce français, aucun navire étranger, de guerre ou de commerce, ne doit approcher des côtes françaises (France et possessions françaises), à moins de 3 milles, avant d'y avoir été autorisé. Entre le coucher et le lever du soleil, l'interdiction d'approcher à moins de 3 milles est absolue.

Pendant le jour, tout navire qui se trouve à la distance de terre à laquelle se distingue la couleur des pavillons, doit porter son pavillon national. S'il désire pénétrer dans la zone interdite, il en fait la demande en hissant le signal d'appel de pilote; mais il se tient en dehors de la limite de 3 milles jusqu'à ce qu'il ait été arraisonné ou qu'un sémaphore lui ait signalé que sa demande est accordée.

Tous les bâtiments sont tenus de déférer immédiatement aux injonctions d'un navire de guerre ou d'un sémaphore, faites à la voix ou par les signaux du code international.

Art. 2. En temps de guerre, si un des bâtiments visés par le présent décret ne se conforme pas aux prescriptions formulées ci-dessus, une des batteries voisines ou tout navire de guerre, stationné ou en marche dans les environs, devra lui intimer l'ordre d'y obtempérer en tirant un coup de canon à poudre.

Si ce premier avertissement reste sans effet, il sera tiré, deux minutes après, un coup à obus un peu sur l'avant du bâtiment et si, enfin, après un nouvel intervalle de deux minutes, le bâtiment ne s'arrête ni ne s'éloigne, le feu sera ouvert effectivement.

En cas d'urgence, le préliminaire du coup de canon à poudre peut être supprimé.

La nuit, à moins d'un mille, le préliminaire du coup de canon à obus peut également être supprimé (2).

Tout bâtiment qui force la consigne relative à l'interdiction des zones défendues, s'expose à être détruit et, s'il s'approche, pendant la nuit, à moins d'un mille de la côte, il s'expose à voir ouvrir immédiatement le feu sur lui sans avertissement préalable (3).

vons que renvoyer aux notes que nous avons publiées en tête du décret de 1896. Toutefois nous ferons observer, en ce qui concerne les législations étrangères sur la matière, qu'en Italie ie décret du 27 novembre 1887 que nous avions signalé, a été remplacé par un décret du 21 avril 1895 (Ann. de lég. étrang., t. XXV, p. 379); on en trouvera le texte dans le recueil de C. Brune, Leggi complementari al cod. e al regol, per la marina mercantile (Turin 1898), p. 458; v. également l'article 22 de l'arrêté royal du 18 février 1901 sur l'admission des batiments de guerre étrangers dans les eaux et ports belges (Journ. dr. int. pr., t. XVIII, 1901, p. 758).

(1) Voir la disposition de l'article 5 ci-après.

(2) (3) L'administration de la marine a pensé que l'interdiction de s'approcher

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