Images de page
PDF
ePub

Il fallait se décider, pourtant. Car le sang versé dans l'Ouest criait vengeance, des clameurs redoutables s'élevaient du sein des familles que la guerre civile avait plongées dans le deuil, et les vainqueurs du mois de juillet, les libéraux sincères, les républicains, demandaient avec emportement qu'un grand exemple fût donné et que justice fût faite. Or, les légitimistes, de leur côté, faisaient retentir partout les éclats d'un enthousiasme monarchique qui servait à masquer leur abattement. La Gazette de France et la Quotidienne publiaient, chaque jour, et des adresses pour glorifier le courage de la mère de Henri V, et des protestations contre le guet-apens dont elle avait été victime; un grand nombre de gentilshommes firent connaître le projet qu'ils avaient formé de lui faire par souscription une liste civile; enfin, M. de Chateaubriand, dans une brochure devenue célèbre, osa s'écrier: « Madame, << votre fils est mon roi. » Ces mots volèrent bientôt de bouche en bouche, dans le parti royaliste, et des centaines de jeunes gens, fils de nobles, traversèrent processionnellement Paris pour aller féliciter l'écrivain. Depuis quelque temps, les pétitions relatives à la duchesse de Berri affluaient à la Chambre. Les ministres y furent appelés, le 5 janvier, pour rendre compte de leurs desseins. L'assemblée était pleine de mouvement et de passions. Ici, l'on accusait les ministres d'avoir nourri le criminel espoir de désarmer la justice du pays; là on leur contestait le droit de punir, corollaire du droit de régner. M. Sapey avait été

débats, il fut convenu que M. d'Argout aurait le ministère de l'intérieur avec la direction des gardes nationales et des communes, et que M. Thiers passerait aux travaux publics. Ce fut conséquemment M. d'Argout qui eut à suivre spécialement l'affaire de Blaye.

chargé de faire un rapport sur les pétitions: il conclut à laisser les ministres prendre, à l'égard de la prisonnière, les mesures qu'ils jugeraient les meilleures, sauf à en répondre devant les Chambres et devant le pays.

Pour appuyer ces conclusions, M. de Broglie paraît à la tribune. Il soutient que la famille des Bourbons aînés se trouve naturellement placée en dehors du droit commun; que le gouvernement n'a d'autres règles à suivre, contre la duchesse de Berri, que les lois de la guerre; qu'on doit se borner à détenir cette princesse comme on détient un prisonnier dont il faut enchaîner la haine, ou un fou dont la liberté serait dangereuse; que la raison d'État l'exige; que la tranquillité des citoyens est à ce prix ; que le principe de l'égalité devant la loi n'est pas applicable dans la circonstance, la duchesse de Berri n'étant pas française par origine et ne l'étant plus par alliance. A ces mots, des exclamations violentes s'élèvent des bancs de la droite. M. de Broglie continue. « Après tout, s'écrie-t-il, ce prin«cipe, quelque tutélaire qu'il soit, n'est pas plus sacré << que tant d'autres que vous avez fait fléchir. Est-il plus << sacré que celui de l'irresponsabilité royale qui a fléchi

pourtant lorsque vous avez déposé Charles X?» Passant ensuite aux désordres qu'on affrontait en faisant comparaître la duchesse de Berri devant des juges désignés par le hasard : « Croyez-vous, ajoute-t-il, que ce sera << assez de toutes les forces dont le gouvernement dispose, « pour protéger, selon le vent qui soufflera, tantôt la « tête des juges, tantôt celle des accusés ? Vous avez vu « le jugement des ministres, vous avez vu pendant dix << jours la ville de Paris tout entière sous les armes, «la capitale du royaume dans l'attitude et l'anxiété d'une

<< ville de guerre qui a subi un assaut? eh bien, vous << n'avez rien vu. Vous avez vu les troubles du mois de << juin? eh bien, vous n'avez rien vu. »

Plusieurs orateurs de la gauche se présentent pour répondre à M. de Broglie. M. de Ludre annonce qu'il votera le renvoi des pétitions au garde-des-sceaux, avec cette clause : « Pour faire exécuter les lois du royaume. » M. de Bricqueville rappelle que, lors de sa proposition relative au bannissement de la branche aînée, le gouvernement déclarait le code pénal applicable à ceux des membres de la famille déchue qui tenteraient la guerre civile; et il s'étonne qu'on mette aujourd'hui à sortir du droit commun l'empressement qu'à une époque encore si récente, on mettait à y rester. « On parle, s'écrie M. Cabet, du << péril qu'il y aurait à soumettre la duchesse de Berri à << la juridiction ordinaire : le gouvernement est-il donc << si mal affermi qu'il ne puisse subir une pareille épreuve ? »

[ocr errors]

Alors, et pour mieux combattre la dynastie dont ils étaient les serviteurs aveugles, M. Berryer se rangea résolument du parti des ministres. Comme eux il reconnut que traîner la duchesse de Berri devant des juges, serait une faute et un danger; comme eux il affirma qu'elle vivait dans une sphère où ne pouvait l'atteindre le glaive de la loi commune. Au point de vue monarchique, la mère d'un roi légitime n'étant liée par aucun devoir de soumission nécessaire à un prince que l'insurrection seule avait couronné, la duchesse de Berri s'était mise, l'égard de Louis-Philippe, non pas en état de révolte, mais en état de guerre. Il y avait à statuer sur une défaite, non sur un délit, question de politique, non de

justice; et c'était conséquemment au pouvoir exécutif à voir ce qu'en une telle occurrence il lui était permis d'oser.

M. Thiers comprit la portée fatale de cette adhésion : il essaya de donner le change aux esprits. Convaincu que c'était surtout à la pusillanimité de l'assemblée qu'il fallait faire appel pour arriver au succès, il se complut à dérouler devant elle je ne sais quel tableau sinistre : les juges tremblant sur leurs siéges, les accusateurs interdits, l'accusée triomphant de l'impossibilité où seraient ses ennemis d'apporter contre elle des preuves matérielles et décisives, les passions excitées en sens divers et prêtes à s'entrechoquer, les scènes du procès des ministres se renouvelant, plus graves encore, plus épouvantables, et le gouvernement forcé, s'il faisait venir l'accusée de Blaye à Paris, «d'échelonner sur la route 80 ou 100 mille hommes. >>

Effrayée par cette évocation de vains fantômes, la Chambre abandonna aux ministres le soin de décider, sous leur responsabilité, mais selon leurs caprices, du sort de la duchesse de Berri.

Ainsi, de l'urne même où les lois prennent naissance, on faisait sortir l'arbitraire et toutes ses témérités ; la légalité, si ardemment soutenue par Casimir Périer, faisait place à la raison d'État, hypocrisie du despotisme; les intérêts de la politique, qui changent et passent, se substituaient aux droits de la justice, qui sont éternels; le jury, dont on avait proclamé si fastueusement la sainteté, on le dénonçait maintenant comme un pouvoir accessible aux faux ménagements, à la corruption, à la peur ; le principe de l'égalité devant la loi, inscrit dans la charte sans ré serve, on le sacrifiait à un genre d'inviolabilité qu'on n'a

vait pas respecté lorsqu'il s'était agi de prendre une couronne, et qu'on respectait quand il n'était plus question que de venger la société offensée; enfin, et par une contradiction monstrueuse, un gouvernement qui se disait appuyé sur les vœux de la nation, se déclarait trop faible pour affronter les suites d'un procès, et paraissait craindre que ce ne fût pas assez d'une armée sur le passage d'une femme deux fois vaincue et prisonnière ! C'était du vertige.

Aussi les légitimistes furent-ils saisis de joie ; et pendant que le parti républicain s'abandonnait, contre le pouvoir, aux transports d'une sombre colère, eux, relevant la tête, ils se répandirent, sur les discours de MM. Thiers et de Broglie, en commentaires pleins de fiel et d'orgueil; ils appelèrent la séance du 5 janvier la séance aux aveux: le parti légitimiste n'était donc pas mort, comme on l'avait tant dit et répété, puisque, pour le contenir, suivant la déclaration des ministres, il ne fallait pas moins de cent mille soldats! Et ils adressaient à M. de Broglie des félicitations railleuses sur le service qu'il venait de rendre à la cause des bonnes doctrines, ne lui reprochant autre chose que son inconséquence, et comparant ce pouvoir, qu'on voyait vivre du passé qu'il insultait, au vautour qui vit de la proie qu'il défigure.

Le parti ministériel était engagé dans une impasse : il se défendit avec embarras, et, comme sa confusion lui donnait les apparences de la faiblesse, l'audace de ses adversaires s'en accrut.

Tel était l'état des esprits, lorsque tout-à-coup des rumeurs étranges se répandent. Un amour mystérieux, une imprudence sans excuse, voilà ce qu'on raconte de la

« PrécédentContinuer »