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CHAPITRE IV.

Expédition de Savoie. Association de la Jeune Italie; ses principes; son orga

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nisation; son but. Mazzini et Ramorino. Rapports de Mazzini avec les républicaius français; sages appréhensions de Buonarotti; son portrait. — Eutrevue de Mazzini et de Ramorino à Genève; plan adopté. Mouvement sur la Savoie; comment il échoue. — Influence de cet échec sur l'attitude du gouvernement français. Une lutte terrible se prépare entre le Pouvoir et le parti républicain. Poursuites contre M. Cabet. Mort tragique de Dulong.

Loi contre les crieurs publics; scènes d'horreur.

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-Loi contre les associations:

une grande bataille se prépare. - Affaire des 25 millions. - Démission du duc

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Nous entrons dans une époque remplie de tempêtes. Réduit en 1833 à une sorte de sommeil agité, l'esprit révolutionnaire allait se réveiller à Lyon, impétueux et terrible.

Ce fut en Savoie qu'il éclata d'abord. Il avait eu son point de départ à Genève, et il devait s'étendre sur l'Italie tout entière pour en changer la face. Ces premiers mouvements ne présentent donc pas, à proprement parler, une physionomie française; mais ils émanaient de la révolution de 1830, ils étaient de natureà influer puissamment sur le cours de ses destinées ; ils se liaient d'une manière intime aux mouvements de l'esprit français ; ils tenaient en éveil, au milieu de la France attentive, de nobles sympathies et

des espérances qui ne demandaient qu'à être encouragées, enfin, ils se combinaient avec les efforts du parti démocratique dans le Jura, à Lyon et à Grenoble. Sous tous ces rapports, ils valent que nous leur consacrions quelques pages, d'autant qu'ils ont été jusqu'ici imparfaitement connus et mal appréciés.

De conspirateur, Charles Albert était devenu roi de Sardaigne. Ses trahisons n'étaient un mystère pour aucun de ses anciens complices. Et cependant, quand elle vit un des siens sur un trône, la vieille charbonnerie ne put se défendre d'un tressaillement d'orgueil et d'espoir. Le monarque ne tiendrait-il pas quelques-unes des promesses du prince? Plusieurs le crurent, et une lettre fut publiée qui lui rappelait son passé. Charles Albert y répondit par des poursuites, par des menaces de proscription. Les patriotes italiens comprirent alors qu'un prince qui les avait eus pour confidents ne pouvait plus être que leur ennemi. L'association connue sous le nom de la Jeune Italie s'organisa.

A la différence du carbonarisme, qui avait été sceptique et libéral, la Jeune Italie fut profondément religieuse et démocratique. Elle avait pour fondateur et pour chef M. Mazzini, pour but l'indépendance et l'unité de l'Italie, pour symbole une branche de cyprès, pour devise ces mots Maintenant et toujours (ora e semprè), pour moyen l'insurrection et la propagande, l'épée du conspirateur et la plume du journaliste. Ses principes, la Jeune Italie les répandait par un journal établi à Marseille ; sa campagne révolutionnaire, elle la préparait par des comités mystérieux formés dans la Lombardie, dans la Toscane, dans les États du pape, et en dernier lieu à Naples.

La conspiration recruta bientôt dans la jeunesse italienne des soldats nombreux et dévoués; elle prit racine dans l'armée, et, plus particulièrement, dans le corps d'artillerie. Quelques hommes de diverses provinces devaient composer le gouvernement insurrectionnel, pouvoir d'exception qui aurait duré autant que l'insurrection elle-même, c'est-à-dire jusqu'au jour où l'Autriche n'aurait plus possédé un pouce de terrain en Italie. Ce jour-là, un congrès national, né du suffrage universel à deux degrés, se serait rassemblé à Rome, et devant lui se seraient anéanties toutes les autorités issues de l'orage. Au mouvement intérieur devaient correspondre des tentatives venues du dehors. On adoptait le système de la guerre par bandes, parce que c'était celui qui, selon l'opinion de Mazzini, se conciliait le mieux avec les inspirations du patriotisme, parce qu'il consacrait par une multitude de faits d'armes chaque pierre de la patrie, parce qu'il n'étouffait pas sous le poids de la régularité militaire la spontanéité des vertueux élans; parce qu'enfin, comme l'avait dit Napoléon, ce n'était point par la charge en douze temps qu'on défendait les Thermopyles.

Une idée fausse domina, malheureusement, toutes ces combinaisons. Le sentiment national s'était attiédi en Italie, même parmi les patriotes les plus sincères, par l'habitude où étaient les Italiens depuis 1830 de tourner les yeux vers la France et de n'espérer qu'en elle. Mazzini et ses compagnons voulurent réagir contre cette tendance, mais ils la combattirent avec excès. Victimes d'une honorable illusion, ils s'imaginèrent qu'en Italie, où le peuple n'a pas la puissance de l'extrême misère, un appel à l'indépendance suffirait pour faire sortir de terre des bataillons

de citoyens; ils crurent que l'Italie, énervée par un long esclavage que le bien-être matériel dissimulait, trouverait néanmoins en elle la vigueur nécessaire pour substituer son initiative révolutionnaire à celle de la France, et conduire vers la démocratie la marche du monde. L'erreur était grande et devint funeste. Les chefs de la conspiration se virent arrêtés à chaque pas par l'inexpérience, la méfiance, le défaut d'énergie, l'incertitude, fruits amers de quatre siècles d'espionnage et de servitude. Le gouvernement sarde n'ignorait pas qu'on l'entourait d'embûches, et il veillait. Une circonstance, insignifiante en soi, le mit sur la voie du complot. Deux sous-officiers artilleurs, dont l'un avait reçu de l'autre des ouvertures, se prirent de querelle au sujet d'une femme et tirèrent le sabre. On les arrêta, et, au moment de l'arrestation, l'un d'eux murmura des paroles de vengeance qui étaient un commencement de révélation. Le gouvernement fit faire aussitôt des perquisitions dans les sacs des artilleurs. Quelques fragments d'imprimés, une liste de noms sont trouvés les arrestations commencent. La terreur est à Gènes, à Turin, à Chambéry. Pour obtenir des révélations on ose tout les amis sont, par de niensongères promesses, sollicités à trahir leurs amis; on fait servir d'encouragement à l'infamie des dénonciations la tendresse alarmée des sœurs, des épouses, des mères. L'espionnage habite les cachots. Un sergent sapeur nommé Miglio venait d'être arrêté on lui donne pour compagnon d'infortune un inconnu qui se dit son complice et prétend avoir conservé avec ses parents des moyens de communication: l'infortuné Miglio tombe dans le piége. Il s'ouvre une veine et écrit avec son sang à des êtres qui lui étaient chers, une

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lettre qu'il remet à son compagnon. Elle figura au procès et fit trainer Miglio à la mort. L'affreux pouvoir des tortures morales avait été essayé sur un doux et noble jeune homme, M. Jacopo Ruffini : il résista, silencieux dans son mépris, calmedans sa colère; et, la nuit venue, d'un clou arraché à la porte de sa prison, il brisa le lien qui attachait à l'enveloppe mortelle son àme généreuse et indignée. En peu de temps les prisons avaient été remplies, et un grand nombre de victimes furent livrées au bourreau.

La Jeune Italie était frappée cruellement ; elle n'était ni vaincue ni dissoute. Dans le courant de l'année 1833, Mazzini se rendit à Genève, où il organisa une expédition qui, traversant la Savoie, devait envahir le territoire italien. Mais, chef de la conspiration, l'insuccès des tentatives précédentes pesait sur lui. On lui adjoignit le général Ramorino, qui, par sa famille, tenait à la Savoie, et qui, depuis la guerre de Pologne, était le héros de la jeunesse italienne. Mazzini eut des doutes. Il se défiait des renommées rapides, il rappela que la Jeune Italie s'était vouée au culte des principes et non pas à celui des noms. Mais le général lui était imposé par les comités de l'intérieur et par les donneurs de fonds, presque tous réfugiés italiens. Il craignait d'ailleurs qu'on ne l'accusât d'avoir, dans son nouveau complice, repoussé un rival. Il l'appela donc à Genève, après avoir envoyé auprès de lui deux émissaires chargés de l'étudier. Dans la première entrevue des deux chefs, il fut convenu que le territoire italien serait envahi par deux colonnes l'une, partie de Lyon, l'autre de Genève. Le général Ramorino se chargea de celle de Lyon, où il croyait avoir de grands moyens d'influence. Une somme de 40,000 francs fut mise à sa

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