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fayette rendait le dernier soupir. Ses moments suprêmes furent remplis d'amertume, et l'ingratitude dont on avait payé ses services étant devenue le poison lent de sa vieillesse, des paroles de malédiction marquèrent ses adieux à la vie. On lui fit des funérailles, magnifiques par le deuil des âmes et l'abattement des visages. Le parti républicain perdait en M. de Lafayette ce qui lui eût été presque plus utile qu'un chef; il perdait un nom.

Tout réussissait, on le voit, à la dynastie d'Orléans. Il ne manquait plus aux serviteurs de cette dynastie que de savoir se modérer ils n'en eurent pas la force. Nous avons dit avec quel empressement ils avaient profité d'une heure de triomphe pour se faire autoriser à lever, en pleine paix, une armée suffisante pour la guerre. La pensée du règne était là.

Et la bourgeoisie, puissance rivale de la royauté, la bourgeoisie applaudissait avec une ardeur imbécile, ne voyant pas qu'elle contribuait à miner sa propre domination. Moins profondément aveuglée, elle aurait compris qu'au service d'un homme, des soldats deviennent tôt ou tard des satellites; que, si on les appelle aujourd'hui à préserver l'ordre, on les appellera demain à protéger la tyrannie; qu'il n'y a plus de liberté, plus de garanties, plus de distinction possible entre une résistance légitime et une rébellion coupable, partout où la répression frappe sans avoir le droit de raisonner; que le pouvoir parlementaire cesse d'être indépendant, lorsqu'à sa milice, qui est la garde nationale, le pouvoir exécutif substitue la sienne, qui est l'armée: qu'en un mot, l'intervention des gens de guerre dans les débats intérieurs est inconciliable avec la prépondérance politique d'une classe appuyée sur l'industrie.

CHAPITRE VI.

Situation de l'ambassade française à Saint-Pétersbourg. Dédain de l'empereur Nicolas pour Louis-Philippe. Le maréchal Maison; sa franchise militaire. Comment il fait sa position en Russie et obtient les bonnes grâces de l'empereur. L'ambassade française à Madrid. Portrait de M. Martinez de la Rosa; il succède à M. Zéa-Bermudez; son système. Pourquoi il se déclare contre Don Miguel.-Origine et véritable caractère du traité de la Quadruple-Alliance. — La négociation s'entame et se poursuit en dehors de M. de Talleyrand, qui n'en est informé qu'au dernier moment et par hasard.— Articles supplémentaires. — Erreur singulière de l'opinion sur la signification du traité de la QuadrupleAlliance, sur sa portée, sur son auteur; nouvelle preuve de l'infériorité diplomatique de M. de Talleyrand.

Détournons les yeux de ce tableau lugubre, et voyons comment la France était représentée au dehors, tandis que, de ses propres mains, elle se déchirait ainsi les entrailles.

Le représentant du Cabinet des Tuileries à Saint-Pétersbourg était alors le maréchal Maison, qui, dès le commencement de l'année 1833, avait été donné pour successeur au maréchal Mortier. L'ambassade du maréchal Mortier à Saint-Pétersbourg n'avait été qu'une suite de mystifications cruelles. Tout en comblant l'homme de guerre d'égards et de prévenances, l'empereur Nicolas s'était étudié à humilier le diplomate, affectant de l'entretenir en toute

occasion de Napoléon, de ses projets, de ses batailles, et ne lui parlant pas plus de Louis-Philippe que s'il se fût agi d'un prince entièrement étranger à la vie politique de l'Europe et à la famille des souverains. Le maréchal Maison ne voulut pas de ce rôle. Avant d'accepter l'ambassade de Russie, il demanda si son titre serait respecté à l'égal de sa personne, et il ne partit pour Saint-Pétersbourg qu'après avoir obtenu à cet égard de M. Pozzo-di-Borgo les assurances les plus formelles. Son passage à Berlin fut marqué par diverses circonstances significatives; il en est une qui mérite d'être rapportée. Le maréchal Maison, lorsqu'il était question d'un événement accompli, se vantait assez volontiers de l'avoir prévu : un jour qu'il avait cédé à l'empire de cette habitude devant les princes de Prusse: «Eh bien? Monsieur le maréchal, lui dit en rail«lant le plus jeune d'entre eux, puisque vous savez si «bien les choses de l'avenir, qu'arrivera-t-il dans cinq <<< ans d'ici? Monseigneur, répondit le maréchal en se «redressant et de l'air d'un vieux soldat qui s'adresse à << un jeune homme, nous verrons dans cinq ans ce que << nous avons déjà vu beaucoup de manifestations mal« veillantes, mais pas une action. » Ce trait peint le maréchal. A Vienne, il s'était montré ferme, presque hautain, et, par un mélange convenable d'urbanité et de fierté, il avait déconcerté plus d'une fois la princesse de Metternich, qui ne l'aimant pas, s'était plu à lui déclarer une guerre de paroles. Rude et violent comme un soldat, mais doué de la finesse du paysan, il ne fut pas plutôt à Saint-Pétersbourg qu'il prit le parti d'y faire sa position par des allures tout-à-fait indépendantes et un langage plein de rondeur. Sa première entrevue avec l'empereur se

passa sous de favorables auspices. Nombre de seigneurs et d'officiers russes attendaient dans une pièce voisine avec les deux aides-de- camp du maréchal, MM. Delarue et Chasseloup-Laubat. Or, quoique le premier eût déjà fait un voyage en Russie, et qu'il s'y fût lié d'amitié avec plusieurs personnes de la Cour, aucune d'elles n'allait vers lui, aucune n'eût osé le reconnaître avant d'avoir interrogé les regards de l'empereur. Le maître parut, il fit bon visage aux deux aides-de-camp, s'avança vers M. Delarue, qu'il avait connu aide-de-camp du duc de Raguse, et, l'attirant dans l'embrasure d'une croisée, l'entretint en particulier avec une bienveillance démonstrative. Quelques instants après, M. Delarue était l'objet des témoignages de sympathie les plus empressés; chacun l'entourait, l'accablait de questions; on se souvenait de l'avoir vu, et qu'on l'avait pour ami. Ces scènes, dont la puérilité même est si féconde en réflexions, annonçaient que l'ambassade française allait avoir à Saint-Pétersbourg une meilleure attitude. Et en effet, à dater de ce jour, le rôle du maréchal Maison ne fit plus que s'agrandir. Certaines particularités y contribuèrent qui semblaient devoir amener un résultat opposé. Un jour, dans un grand dîner donné par l'ambassadeur français, la conversation étant tombée sur les premières guerres de notre révolution, le maréchal trouva moyen de rappeler incidemment et sans affectation qu'il était fils d'un paysan d'Épinay. On devine quel effet devait produire sur une aristocratie nourrie de vanités futiles, de tels aveux faits avec une aisance parfaite et avec la fierté d'un plébéien sûr de lui-même. L'empereur ne tarda pas à savoir ce qui s'était passé, et son estime pour le maréchal s'en accrut. Des défauts mêmes de notre am

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