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la majorité un ordre du jour pleinement approbatif. De sorte que, par eux, la Chambre mettait en quelque sorte le pied sur la plus précieuse des prérogatives royales!

Ainsi se révélaient, après quatre ans de règne, les mille impossibilités du régime constitutionnel. Efforts de la royauté pour asservir les ministres en les divisant, coalition des ministres pour mettre obstacle au gouvernement personnel, ligue de tous les ambitieux subalternes du parlement en vue de quelques portefeuilles à conquérir, lutte obstinée de la Couronne contre la Chambre et de la Chambre contre la Couronne..... l'anarchie éclatait partout, elle éclatait sous toutes les formes. Anarchie ridicule si on ne la considère que dans ses manifestations épisodiques, mais qui, étudiée dans ses causes, fournit les plus graves sujets de méditation à l'homme d'État et au philosophe! Comment, en effet, un ministère absorbé par de telles intrigues, par de telles misères, aurait-il eu la volonté ou le loisir de chercher au désordre social d'autres remèdes que la mitraillade et l'incendie? Impuissant à prévenir, par l'emploi de procédés scientifiques, la révolte des intérêts, le soulèvement des passions, il fallait bien qu'il eût recours à des procédés sauvages; et il était, hélas ! dans la nature des choses que les risibles scènes qui se jouaient aux Tuileries, eussent pour corollaires les égorgements de la rue Transnonain et les assassinats du faubourg de Vaise!

CHAPITRE VIII.

Essai de terrorisme monarchique.

État des prisons.

Scènes de violence.

Procès d'Armand Carrel devant la Chambre des pairs.

Pour lever le voile sur les intrigues de Cour, nous avons un moment interrompu le récit des actes violents auxquels la dévastation de Lyon avait ouvert carrière. Il faut reprendre au point où nous l'avons laissé, ce fatal récit.

Depuis le mois d'avril, Lyon était au régime de la terreur. Le pouvoir y avait abandonné à ses agents les plus vils le soin de déshonorer sa victoire. La police y régnait. Quand un gouvernement triomphe et paraît tout-puissant, les âmes dégradées courent à l'envi s'atteler à son char. Alors il arrive que ceux-là mêmes qui, le voyant chanceler, étaient prêts à se déclarer ses ennemis, deviennent tout-à-coup ses complaisants, les adulateurs de sa force, et se font, avec un emportement féroce, les ministres de ses vengeances. Cet appui de la bassesse ne manqua pas au parti des victorieux. D'un autre côté, l'esprit militaire venait de recevoir, sur les ruines fumantes de Lyon, une impulsion désastreuse. Parmi les officiers, quelques-uns gémissaient à l'écart de la rigueur du devoir

accompli et fuyaient avec noblesse l'occasion de réveiller des souvenirs lamentables; mais d'autres, épuisant le succès par leur insolence, menaçaient de leur épée les écrivains de l'Opposition, traitaient les vaincus de bandits, se pavanaient sur les places publiques et dans les rues, le front haut, l'œil ardent et la bouche pleine d'orgueilleux défis. Il est vrai que, pour entretenir l'animosité du soldat, rien n'était épargné. La police descendit à des manœuvres sans nom. Souvent, des coups de fusil retentirent dans le silence des nuits; souvent des tentatives furent faites pour désarmer des sentinelles. Et, le lendemain, les organes du pouvoir ne manquaient pas de dire que c'étaient là les dernières et sauvages convulsions de la révolte aux abois. Heureusement, la Providence ne permit point que jusqu'au bout la calomnie décidat de la moralité des partis. Un soir, en se défendant contre un inconnu qui s'était élancé sur lui pour le désarmer, un factionnaire perça l'agresseur de sa baïonnette. L'inconnu fut emporté sanglant. C'était le même à qui Lagrange avait sauvé la vie sur la place des Cordeliers, c'était le misérable qui avait vendu son sauveur c'était Corteys, agent de police!

Du reste, l'essai de terrorisme monarchique commencé à Lyon s'était étendu à la France entière. La commission des neuf se montrait implacable. Liberté individuelle, inviolabilité du foyer domestique, tout était foulé aux pieds. Malheur au citoyen dont la maison avait été désignée ! En son absence, à quelque heure que ce fût, et sur les plus frivoles indices, sa demeure était envahie par des nuées d'agents. Enfoncer les portes, briser les serrures, forcer les meubles, fouiller dans les papiers de famille, livrerà

l'impure curiosité d'espions grossiers les plus naïfs épanchements de la pensée et les doux secrets du cœur, tout cela n'était qu'un jeu.. A Lyon, à Rouen, à Niort, dans le département de Saône-et-Loire, les visites domiciliaires se firent avec un faste incroyable de violence et d'oppression. A Paris, on avait signalé à la police la maison d'un citoyen nommé Pichonnier. Lui absent, des sergents de ville accourent, et l'on procède aux perquisitions les plus minutieuses. En ce moment, un ami du maître de la maison, M. Mugner, se présente. On l'interroge. Il répond qu'il est venu rendre visite à son ami. On redouble de questions, et comme il hésite étonné, on se jette sur lui et on le traîne en prison. Il y resta au secret pendant plusieurs jours, en attendant qu'on voulût bien reconnaître son innocence. Il avait une femme et deux enfants que son travail nourrissait !

Il serait trop long de citer tous les faits du même genre que nous avons recueillis. Jamais l'arbitraire n'avait à ce point multiplié ses coups. Et que dire du mode suivi pour les arrestations et les translations! Victimes de conjectures vraies ou fausses, les malheureux contre qui la commission des neuf lançait la foudre de ses mandats, étaient aussitôt dirigés sur Paris, la chaîne au cou ; et il y en eut qui, plongés dans des cachots, sur une paille humide et infecte, s'y virent condamnés au supplice de coucher côte à côte avec des voleurs et des assassins. Arrêté à Lyon pour avoir dit que jamais il ne tournerait ses armes contre les hommes du peuple, ses frères, un soldat du 57° fut traîné jusqu'à Périgueux, attaché à la queue d'un cheval. Un membre de la Société des Droits de l'Homme, M. Poujol, était au lit où le retenaient, depuis quelque temps, des

souffrances cruelles, lorsque des agents chargés de soir arrestation se présentèrent. « Je ne réponds pas de la vie de mon malade pendant le transport à la prison,» s'écria [le médecin saisi d'effroi. Efforts inutiles! M. Poujol fut conduit à la prison de Roanne, étendu sur un brancard.

On juge de ce que devait être, au plus fort d'une telle réaction et de ses emportements, le régime des prisons. Un détenu politique, vaincu par l'excès de ses maux, se laissa mourir de faim. Un autre fut tué d'un coup de fusil par un factionnaire, au moment où il s'approchait des barreaux de sa fenêtre pour lire une lettre qu'il venait de recevoir de sa famille. Quinze jours d'emprisonnement, c'est à cela que se réduisit la punition du meurtrier ? Encore si le glaive qui les menaçait n'était pas resté si longtemps suspendu sur la tête des prisonniers! Mais de quelle amertume ne devait pas être gonflé le cœur de ceux qui, certains d'être reconnus innocents quand le jour de la justice se lèverait pour eux, étaient réduits, en attendant, à souffrir toutes les tortures de la plus longue détention préventive qui fût jamais ! Et combien aisément l'amertume devait se changer en désespoir chez ceux qui, uniques soutiens de leur famille, pensaient, du fonds de leurs cachots, à un vieux père malade, à une femme exténuée de travail et de veilles, à de pauvres enfants privés de pain? Il faut que nous citions une lettre qu'écrivait à M. Pasquier, en septembre 1834, un malheureux ouvrier nommé Durdan. Elle est digne assurément d'avoir une place dans l'histoire; car c'est un chef-d'œuvre d'éloquence vraie et d'indignation contenue:

« Monsieur le baron, depuis six semaines, je vous ai écrit deux ⚫ lettres auxquelles vous n'avez pas répondu.... Il y a cinq mois

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