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«< dit M. Blacas, a été pris d'un accès de fièvre, il est « couché. » Et apercevant sur le visage de M. de Chateaubriand un léger signe d'incrédulité, M. de Blacas ouvrit avec précaution la porte qui séparait le salon de la chambre à coucher de Charles X. M. de Chateaubriand s'avança, mais il n'entendit que la respiration élevée du roi, comme celle d'un homme qui dort d'un sommeil pénible. Alors, il exposa au duc de Blacas, devant M. O'Egherthy, le but de sa mission, s'étendit sur ce qu'avait d'insultant pour Marie-Caroline le voyage à Léoben, et sur ce que présentait d'avantageux la déclaration de majorité. M. de Blacas fit à tout cela quelques objections, mais sans insister. « Au surplus, ajouta-t-il, le roi étant malade, il est vrai<< semblable qu'il ne partira pas demain : vous pourrez « vous entendre avec lui. »

M. de Chateaubriand revint à Prague; et le lendemain il était de bonne heure à Butschierad. Charles X, encore malade, reçut gracieusement son noble visiteur, le fit asseoir auprès de son lit, l'écouta d'une oreille attentive et bienveillante, mais sans se départir de la résolution qui éloignait de Prague Marie-Caroline. Relativement à la déclaration de majorité, il montra une volonté moins ferme, et pria M. de Chateaubriand, après avoir fait un brouillon de l'acte, d'en causer avec M. de Blacas. Il prit ensuite une lettre que la duchesse de Berri lui écrivait, la lut d'un air préoccupé, puis la jetant sur son lit : « De quel droit, « s'écria-t-il, la duchesse de Berri prétend-elle me dicter « ce que j'ai à faire ? Quelle autorité a-t-elle pour parler? << Elle n'est plus rien, elle n'est plus que Mme Luches << Palli. Le Code la dépouille de la tutelle comme mariée << en secondes noces. » M. de Chateaubriand répondit

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qu'il restait à Marie-Caroline les droits qu'elle tenait de son courage, de ses malheurs, de tout ce qu'elle avait bravé, de tout ce qu'elle avait souffert pour la cause de son fils. Là se borna l'entretien. M. de Chateaubriand se hâta de rédiger l'acte de déclaration de majorité; mais cet acte ayant été porté à Charles X par M. de Blacas, on fit savoir à l'auteur que son projet, qu'on trouvait d'ailleurs fort convenable, devait être envoyé à Vienne, parce qu'on s'était malheureusement engagé à ne rien faire à la majorité de Henri V. « Il est dur, Madame, écrivait à ce sujet << M. de Chateaubriand en s'adressant à Marie-Caroline, il «est dur d'avoir à parler de l'Autriche, quand il s'agit <«< de la France. Que diraient nos ennemis s'ils nous voyaient nous disputant une royauté sans royaume, un << sceptre qui n'est aujourd'hui que le bâton sur lequel << nous appuyons nos pas dans le pèlerinage de l'exil? » Il écrivit encore, après avoir rendu compte des résultats de son voyage: «Si jamais, Madame, vous deveniez mai<< tresse du sort de votre fils, si vous persistiez à croire « que ce dépôt précieux pourrait être confié à mes mains « fidèles, je serais aussi honoré qu'heureux de lui consa«crer le reste de ma vie. Mais je ne pourrais me charger << d'une aussi effrayante responsabilité qu'à condition « d'être, sous vos conseils, entièrement libre dans mes «< choix et mes idées, et placé d'abord sur un sol indé<< pendant, hors du cercle des monarchies absolues. >>

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L'éducation du duc de Bordeaux était, en effet, pour les royalistes, un sujet d'ardentes préoccupations; et c'est ce qui explique l'intervention de MM. de Chateaubriand, de la Ferronays, de Saint-Priest et autres personnages marquants qui s'étaient groupés autour de Marie-Caro

line. On n'était guère capable de comprendre à Prague les sentiments exprimés avec tant de noblesse par M. de Chateaubriand dans les lignes que nous venons de citer. L'auteur du Génie du Christianisme fut éloigné du fils: il n'avait rien obtenu pour la mère.

Après un séjour assez long à Venise et bien des difficultés, Marie-Caroline reçut des passeports pour l'Allemagne. Mais on voulait qu'elle y parût en fugitive et dans un état presque complet d'abandon. Le nombre des passeports lui fut mesuré avec une défiance avare. Quand elle quitta Venise pour aller à Léoben, quatre personnes seulement l'accompagnaient M. et Mme de Saint-Priest, MM. Podenas et Sala. En humiliant Marie-Caroline, Charles X ne voyait pas que c'était la légitimité même qu'il exposait à la risée de l'Europe. Mais les hommes seraient trop malheureux si leur obstination à servir n'était pas quelquefois égalée par la folie de ceux qu'ils servent.

A Léoben, l'entrevue fut froide et réservée. Charles X était entouré de MM. de Blacas, de Damas, de Montbel. Marie-Caroline parla de son fils, de l'éducation, de la majorité on eut l'air de ne pas la comprendre. Quelques jeunes Français échappés de Prague, MM. de Bruc, Walsh, de Seran, étaient parvenus à traverser la ville: on feignit de croire que la duchesse de Berri avait l'intention de faire enlever ses enfants. La séparation de la famille eut lieu au bout de quelques jours. Le général Latour-Maubourg avait été choisi d'un commun accord pour diriger l'éducation du duc de Bordeaux. Ce fut tout. Le rôle politique de Marie-Caroline venait de cesser.

Tels furent ces événements. La branche aînée y perdit ce qui lui restait encore d'autorité morale en ce pays de

France si fatal pourtant aux monarchies; et l'on vit clairement alors combien pitoyable est la démence des partis qui, associant leur destinée à celle d'une famille, consentent à jouer leur avenir sur l'entêtement d'un vieillard ou les amours d'une jeune femme. Mais il plut à Dieu de ne pas borner à cela les enseignements réservés à notre siècle. Par une merveilleuse dispensation de la Providence, de ces deux dynasties en lutte, la nouvelle ne put fouler aux pieds l'ancienne sans s'amoindrir elle-même et s'abaisser. Car il existe entre toutes les Couronnes une solidarité impossible à méconnaître ; et le prestige, puissance créée par la bêtise des peuples, est, aux mains des grands de la terre, un trésor commun qui diminue pour tous quand il semble ne diminuer que pour un seul. Il fallait une médiocrité bien profonde et une singulière petitesse de vues pour ne pas comprendre que livrer en proie aux sarcasmes de la foule Marie-Caroline, fille, sœur, nièce, et mère de roi, c'était faire monter l'insulte jusqu'au principe même sur lequel reposent les monarchies. Le culte de la royauté va s'affaiblissant en Europe depuis qu'on avilit les princes, non depuis qu'on les tue; et l'on ne fonde pas une dynastie en enseignant aux peuples, du haut d'un trône, le mépris des races royales.

CHAPITRE II.

Corruption des mœurs. — La Tribune attaque la Chambre et est appelée à la barre de l'assemblée; plaidoiries, jugement. -- La fête expiatoire du 21 janvier abolie. — Travaux législatifs : organisation départementale, instruction primaire, expropriation pour cause d'utilité publique. - Troubles dans Paris. M. Rodde sur la place de la Bourse. Coalition d'ouvriers. Société des droits de l'Homme; Procès des 27. —

son manifeste; sensation produite par cette publication. Acquittement de MM. Charles Teste et Voyer-d'Argenson.

L'année 1833 ne fut pas remplie tout entière par les événements que nous venons de raconter; et, tandis que, frappées de vertige, les royautés semblaient s'abaisser sous la main de Dieu, leurs ennemis croissaient en nombre, en énergie et en audace.

Deux forces rivales étaient en présence: ici, une assemblée élective, là, un chef héréditaire. Le régime constitutionnel avait par conséquent installé l'anarchie dans les régions du Pouvoir. La société avait deux tètes. Qu'en était-il résulté ? Que l'autorité, vacillant sous des efforts contraires, n'avait cessé de pencher, tantôt du côté du trône, tantôt du côté de la Chambre; et, qu'au-dessous, la nation, partagée entre la crainte de l'oppression et celle du désordre, était devenue le prix d'un combat.

Fixer le pouvoir était donc indispensable; mais, pour

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