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maires communaux, une caisse d'épargne formée par une retenue annuelle du vingtième de leur traitement.

Ce projet fut accueilli avec acclamation. Il trahissait pourtant une extrême pauvreté de vues.

L'éducation ne saurait être nationale qu'à la condition d'être une dette de la part de l'État, un devoir de la part du citoyen. Il faut donc qu'elle soit tout à la fois gratuite et obligatoire. Obligatoire, on n'aurait pu la rendre telle en France sans toucher à l'organisation du travail, parce que, sous l'influence d'un régime aussi insensé que barbare, le travailleur pauvre en était réduit presque partout à considérer ses enfants comme un supplément de salaire, et avait trop besoin de leurs services pour avoir souci de leur instruction. Forcer le père à mourir de faim, pour instruire le fils, n'eût été qu'une dérision cruelle. Mais cela même aurait dû faire sentir combien toute réforme partielle est absurde, et qu'il n'y a d'amélioration véritable que celle qui se lie à un ensemble de réformes constituant une rénovation sociale, profonde, hardie et complète. M. Guizot n'était pas en état de le comprendre.

Son projet renfermait un autre vice. Lorsqu'un pouvoir a un but, il se doit d'y pousser la société avec unité de vues, avec suite, avec vigueur. En matière d'enseignement, la centralisation ne saurait être trop forte. Permettre, dans un pays déchiré par les factions, la folle concurrence des écoles privées, c'est inoculer aux générations nouvelles le venin des discordes civiles, c'est donner aux partis rivaux le moyen de se continuer, de se perpétuer au milieu d'une confusion croissante d'opinions et de principes, c'est semer dans le chaos. Sacerdoce sublime quand l'État y pourvoit, l'éducation du peuple n'est plus,

quand elle est abandonnée au caprice individuel, qu'une spéculation pleine de dangers; et ce qu'on appelle la liberté de l'enseignement n'est que la gestation de l'anarchie. Sous ce rapport, l'œuvre de M. Guizot était d'une portée funeste. Mais elle avait d'autres défauts non moins graves quoique moins éclatants.

En créant aux instituteurs communaux une existence précaire et misérable, le gouvernement appelait des hommes sans mérite et sans consistance à une des plus hautes fonctions de l'État. Encore n'avait-on songé à offrir à ces instituteurs aucune perspective. Or, qu'attendre d'hommes isolés, parqués, pour ainsi dire, dans leurs bourgs ou dans leurs villages, confinés à jamais dans leur misère, n'appartenant à aucune association hiérarchique, et n'ayant en conséquence ni l'orgueil fécond que donne l'esprit de corps, ni les excitations qui se puisent dans l'espoir de l'avancement? Comment ces hommes auraientils pu lutter, dans la carrière de l'enseignement, contre les Frères de l'École chrétienne, association compacte, persévérante, et soutenue par le clergé?

Le travail de M. Guizot était donc sans valeur. Combien n'était pas plus élevé, plus profond, plus digne d'un homme d'État, le rapport que Lakanal avait présenté à la Convention, le 26 juin 1793, rapport qui contenait des dispositions semblables à celles-ci : « Tout citoyen pourra ouvrir des cours particuliers, mais il y aura auprès du corps législatif une commission centrale chargée de veiller, sur toute la face de la République, à l'uniformité de l'enseignement. A certains jours de l'année, les enfants et leur instituteur iront, sous la conduite d'un magistrat, visiter les hôpitaux et les prisons. Ces jours-là, ils supplée

ront dans leurs travaux domestiques les citoyens pauvres qui seraient atteints d'infirmité ou de maladie. - L'instituteur portera, dans l'exercice de ses fonctions et à toutes les fêtes nationales, une médaille avec cette inscription : Celui qui instruit est un second père, etc., etc. » Grandes pensées, qui suffisent pour révéler une grande époque 1!

Mais, depuis que le gouvernement de ce noble pays de France était tombé aux mains d'une oligarchie de financiers et de marchands, tout s'était étrangement rapetissé. Aussi le projet de M. Guizot fut-il favorablement accueilli. Adopté presque sans restrictions par les commissions des deux Chambres, il n'eut à subir dans le parlement que des attaques plus violentes qu'approfondies. M. Salverte demandait qu'au programme de l'instruction primaire on ajoutât la connaissance des droits et des devoirs du citoyen cette proposition, si patriotique et si sensée, fut rejetée comme inutile. Et, qui le croirait? dans un débat duquel dépendait si étroitement l'avenir du peuple, on ne s'émut que pour savoir si, dans le comité local de surveillance, le curé serait admis à côté du maire et des habitants notables. Résolue contre le clergé par la Chambre élective, et en sa faveur par la Chambre des pairs, la question allait jeter dans le parlement un nouveau brandon de discorde, lorsqu'enfin la Chambre élective céda. La discussion fut close alors, et l'on vota définitivement l'adoption d'un système qu'on n'avait pas même pris la peine

Le rapport de Lakanal n'était, au reste, qu'une ébauche lorsqu'il fut présenté à la Convention. C'était un travail qui avait évidemment besoin d'être complété. Ainsi, le chiffre des appointements de l'instituteur y est laissé en blanc ; et l'on ne s'y prononce pas sur cette question importante: l'instruction primaire est-elle obligatoire ?

d'étudier. Puis l'on aborda, sans l'avoir étudiée davantage, la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique.

L'extension abusive du droit de propriété a couvert la terre de révolutions et de crimes. L'abolition de l'esclavage sur une grande partie du globe, l'affranchissement des serfs, la chute de toutes les tyrannies féodales, la suppression des lois de substitution et de primogéniture, ont tour à tour témoigné de l'impatience du monde à porter le joug de la force victorieuse, mensongèrement transformée en domination légitime. Qu'est-ce que l'histoire, sinon le récit de la longue et violente révolte du genre humain contre le droit, mal défini et mal réglé, de celui qui : <«<le premier ayant enclos un terrain, s'avisa de dire ceci « est à moi, et trouva des gens assez simples pour le <<< croire? >>>

Mais à de certains abus il faut un jour pour naître, plusieurs siècles pour mourir. En dépit de tous ces formidables essais de rénovation auxquels la France avait été soumise, en dépit de ce dogme de la fraternité humaine emprunté à la législation sublime de l'Évangile, et proclamé hautement par le 19° siècle, au plus fort d'une tempête sans exemple et sans nom, le droit de propriété n'avait pas cessé d'être un despotisme absorbant et jaloux. Ce despotisme, il avait vu fléchir devant lui, en mainte occasion, Napoléon lui-même; la Restauration l'avait respecté jusqu'au scandale, et le mal était devenu si grand après la révolution de juillet, qu'aucune entreprise de route, de canal, de chemin de fer, n'était plus possible en France, tant on y méconnaissait ce principe posé par l'immortel auteur du Contrat social : « Le droit que cha

« cun a sur son propre fonds, est subordonné au droit « que la communauté a sur tous. »

Vaincre, la loi à la main, des résistances aussi aveugles qu'obstinées, était donc devenu indispensable. Le gouvernement dut s'y résoudre. Jusque-là, deux systèmes avaient été successivement en vigueur et n'avaient eu que des résultats déplorables. En attribuant au conseil de préfecture le droit de statuer sur l'indemnité due au citoyen exproprié, la loi du 16 septembre 1807 avait mis trop complétement à la merci de l'administration l'intérêt privé. La loi du 8 mars 1810, au contraire, en remplaçant la juridiction de l'autorité administrative par celle de l'autorité judiciaire, avait pourvu d'une manière insuffisante à l'intérêt général. Il fallait sortir de ces deux voies également dangereuses, et faire du nouveau.

Doués d'une intelligence plus ferme, les ministres n'auraient pu réfléchir sur la matière sans s'apercevoir qu'il y avait une grande lacune dans la constitution du pays, et qu'il était urgent de créer, non-seulement pour le cas particulier dont on avait à s'occuper, mais pour tous les autres cas analogues, une autorité chargée de tenir la balance entre l'administration et les citoyens. Les tribunaux ont pour mission de régler les différends des citoyens entre eux, et non les différends qui s'élèvent entre un citoyen et l'administration; le conseil d'État, tel qu'il fonctionne aujourd'hui, n'est qu'une sorte de bureau consultatif, placé immédiatement sous la dépendance des ministres que faire donc, en présence des difficultés qui peuvent naître, soit de l'interprétation, soit de l'exécution des lois? Si l'administration s'abstient, le pouvoir abdique; si elle prononce dans sa propre cause, la loi disparaît

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