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presque aucune des choses que nous appelons les effets mobiliers de l'univers, si ce n'est le blé de ses terres. Quelques seigneurs possèdent des provinces entières; ils pressent le laboureur pour avoir une plus grande quantité de blé qu'ils puissent envoyer aux étrangers, et se procurer les choses que demande leur luxe. Si la Pologne ne commerçoit avec aucune nation, ses peuples seroient plus heureux. Ses grands, qui n'auroient que leur blé, le donneroient à leurs paysans pour vivre; de trop grands domaines leur seroient à charge, ils les partageroient à leurs paysans : tout le monde trouvant des peaux ou des laines dans ses troupeaux, il n'y auroit plus une dépense immense à faire pour les habits; les grands, qui aiment toujours le luxe et qui ne le pourroient trouver que dans leur pays, encourageroient les pauvres au travail. Je dis que cette nation, seroit plus florissante, à moins qu'elle ne devînt barbare; chose que les lois pourroient prévenir.

Considérons à présent le Japon. La quantité excessive de ce qu'il peut recevoir produit la quantité excessive de ce qu'il peut envoyer : les choses seront en équilibre comme si l'importation et l'exportation étoient modérées; et d'ailleurs cette espèce d'enflure produira à l'état mille avantages: il y aura plus de consommation, plus de choses sur lesquelles les arts peuvent s'exercer, plus

d'hommes employés, plus de moyens d'acquérir de la puissance : il peut arriver des cas où l'on ait besoin d'un secours prompt qu'un état si plein peut donner plutôt qu'un autre. Il est difficile qu'un pays n'ait des choses superflues; mais c'est la nature du commerce de rendre les choses superflues utiles, et les utiles nécessaires. L'état pourra donc donner les choses nécessaires à un plus grand nombre de sujets.

Disons donc que ce ne sont point les nations qui n'ont besoin de rien qui perdent à faire le commerce; ce sont celles qui ont besoin de tout. Ce ne sont point les peuples qui se suffisent à eux-mêmes, mais ceux qui n'ont rien chez eux, qui trouvent de l'avantage à ne trafiquer avec

personne.

LIVRE XXI.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT
AVEC LE COMMERCE

CONSIDÉRÉ DANS LES RÉVOLUTIONS
QU'IL A EUES DANS LE MONDE.

CHAPITRE PREMIER.

Quelques considérations générales.

Quoique le commerce soit sujet à de grandes révolutions, il peut arriver que de certaines causes physiques, la qualité du terrain ou du climat, fixent pour jamais sa nature.

Nous ne faisons aujourd'hui le commerce des Indes que par l'argent que nous y envoyons. Les

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Romains y portoient toutes les années environ cinquante millions de sesterces; cet argent, comme le nôtre aujourd'hui, étoit converti en marchandises qu'ils rapportoient en Occident tous les peuples qui ont négocié aux Indes y ont toujours porté des métaux, et en ont rapporté des marchandises.

C'est la nature même qui produit cet effet. Les I Pline, liv. vi, chap. XXIII.

Indiens ont leurs arts qui sont adaptés à leur manière de vivre. Notre luxe ne sauroit être le leur, ni nos besoins être leurs besoins. Le climat ne leur demande ni ne leur permet presque rien de ce qui vient de chez nous. Ils vont en grande partie nus; les vêtements qu'ils ont, le pays les leur fournit convenables; et leur religion, qui a sur eux tant d'empire, leur donne de la répugnance pour les choses qui nous servent de nourriture. Ils n'ont donc besoin que de nos métaux, qui sont les signes des valeurs, et pour lesquels ils donnent des marchandises que leur frugalité et la nature de leur pays leur procurent en grande abondance. Les auteurs anciens qui nous ont parlé des Indes nous les dépeignent telles que nous les voyons aujourd'hui, quant à la police, aux manières et aux mœurs. Les Indes ont été, les Indes seront ce qu'elles sont à présent; et dans tous les temps, ceux qui négocieront aux Indes y porteront de l'argent et n'en rapporteront pas.

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* Voyez Pline, liv. vi, chap. xix; et Strabon,

liv. XV.

CHAPITRE II.

Des peuples d'Afrique.

La plupart des peuples des côtes de l'Afrique sont sauvages ou barbares. Je crois que cela vient beaucoup de ce que des pays presque inhabitables séparent de petits pays qui peuvent être habités. Ils sont sans industrie; ils n'ont point d'arts; ils ont en abondance des métaux précieux qu'ils tiennent immédiatement des mains de la nature. Tous les peuples policés sont donc en état de négocier avec eux avec avantage; ils peuvent leur faire estimer beaucoup des choses de nulle valeur, et en recevoir un très grand prix.

CHAPITRE III.

Que les besoins des peuples du midi sont différents de ceux des peuples du nord.

Il y a dans l'Europe une espèce de balancement entre les nations du midi et celles du nord. Les premières ont toutes sortes de commodités pour la vie et peu de besoins; les secondes ont beaucoup de besoins et peu de commodités pour la vie. Aux unes la nature a donné beaucoup, et elles ne lui demandent que peu; aux autres la nature donne

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. II.

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