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peu, et elles lui demandent beaucoup. L'équilibre se maintient par la paresse qu'elle a donnée aux nations du midi, et par l'industrie et l'activité qu'elle a données à celles du nord; ces dernières sont obligées de travailler beaucoup, sans quoi elles manqueroient de tout et deviendroient barbares. C'est ce qui a naturalisé la servitude chez les peuples du midi : comme ils peuvent aisément se passer de richesses, ils peuvent encore mieux se passer de liberté; mais les peuples du nord ont besoin de la liberté, qui leur procure plus de moyens de satisfaire tous les besoins que la nature leur a donnés. Les peuples du nord sont donc dans un état forcé s'ils ne sont libres ou barbares: presque tous les peuples du midi sont en quelque façon dans un état violent s'ils ne sont esclaves.

CHAPITRE IV.

Principale différence du commerce des anciens d'avec celui d'aujourd'hui.

Le monde se met de temps en temps dans des situations qui changent le commerce. Aujourd'hui le commerce de l'Europe se fait principalement du nord au midi; pour lors la différence des climats fait que les peuples ont un grand besoin des marchandises les uns des autres. Par exemple, les

boissons du midi portées au nord forment une espèce de commerce que les anciens n'avoient guère; aussi la capacité des vaisseaux qui se mesuroit autrefois par muids de bled se mesure-t-elle aujourd'hui par tonneaux de liqueurs.

Le commerce ancien que nous connoissons, se faisant d'un port de la Méditerranée à l'autre, étoit presque tout dans le midi : or les peuples du même climat ayant chez eux à peu près les mêmes choses n'ont pas tant de besoin de commercer entre eux que ceux d'un climat différent. Le commerce en Europe étoit donc autrefois moins étendu qu'il ne l'est à présent; ceci n'est point contradictoire avec ce que j'ai dit de notre commerce des Indes: la différence excessive du climat fait que les besoins relatifs sont nuls..

CHAPITRE V.

Le commerce,

Autres différences.

tantôt détruit par les conquérants, tantôt gêné par les monarques, parcourt la terre, fuit d'où il est opprimé, se repose où on le laisse respirer: il règne aujourd'hui où l'on ne voyoit que des déserts, des mers et des rochers; là où il régnoit il n'y a que des déserts.

A voir aujourd'hui la Colchide, qui n'est plus

qu'une vaste forêt où le peuple, qui diminue tous les jours, ne défend sa liberté que pour se vendre en détail aux Turcs et aux Persans, on ne diroit jamais que cette contrée eût été du temps des Romains pleine de villes où le commerce appeloit toutes les nations du monde. On n'en trouve aucun monument dans le pays; il n'y en a de traces que dans Pline et Strabon".

L'histoire du commerce est celle de la communication des peuples. Leurs destructions diverses, et de certains flux et reflux de populations et de dévastations, en forment les plus grands événe

ments.

CHAPITRE VI.

Du commerce des anciens.

Les trésors immenses de Sémiramis 3, qui ne pouvoient avoir été acquis en un jour, nous font penser que les Assyriens avoient eux-mêmes pillé d'autres nations riches, comme les autres nations les pillèrent après.

L'effet du commerce sont les richesses; la suite des richesses le luxe; celle du luxe la perfection

. Liv. VI.

a Liv. II.

3 Diodore, liv. II

I

des arts. Les arts portés au point où on les trouve du temps de Sémiramis nous marquent un grand commerce déja établi.

Il y avoit un grand commerce de luxe dans les empires d'Asie. Ce seroit une belle partie de l'histoire du commerce que l'histoire du luxe : le luxe des Perses étoit celui des Mèdes, comme celui des Mèdes étoit celui des Assyriens.

2

Il est arrivé de grands changements en Asie. La partie de la Perse qui est au nord-est, l'Hyrcanie, la Margiane, la Bactriane, etc., étoient autrefois. pleines de villes florissantes qui ne sont plus; et le nord3 de cet empire, c'est-à-dire l'isthme qui sépare la mer Caspienne du Pont-Euxin, étoit couvert de villes et de nations qui ne sont plus encore.

Ératosthène 4 et Aristobule tenoient de Patrocle 5 que les marchandises des Indes passoient par l'Oxus dans la mer du Pont. Marc Varron nous dit que l'on apprit du temps de Pompée, dans la guerre contre Mithridate, que l'on alloit en sept jours de l'Inde dans le pays des Bactriens, et au fleuve Icarus qui se jette dans l'Oxus; que par

Diodore, liv. H.

2 Voyez Pline, liv. vi, chap. xvi; et Strabon, liv. xI.

3 Strabon, liv. XI.

4 Id., Ibid.

5 L'autorité de Patrocle est considérable, comme il paroît par un récit de Strabon, liv. II.

6 Dans Pline, liv. vi, chap. xvII. Voyez aussi Strabon, liv. x1, sur le trajet des marchandises du Phase au Cyrus.

là les marchandises de l'Inde pouvoient traverser la mer Caspienne, entrer de là dans l'embouchure du Cyrus; que de ce fleuve il ne falloit qu'un trajet par terre de cinq jours pour aller au Phase qui conduisoit dans le Pont-Euxin. C'est sans doute par les nations qui peuploient ces divers pays que les grands empires des Assyriens, des Mèdes et des Perses, avoient une communication avec les parties de l'Orient et de l'Occident les plus reculées.

Cette communication n'est plus. Tous ces pays ont été dévastés par les Tartares 1, et cette nation destructrice les habite encore pour les infester. L'Oxus ne va plus à la mer Caspienne; les Tartares l'ont détourné pour des raisons particulières 2; il se perd dans des sables arides.

Le Jaxarte, qui formoit autrefois une barrière entre les nations policées et les nations barbares, a été tout de même détourné 3 par les Tartares, et ne va plus jusqu'à la mer.

Séleucus Nicator forma le projet 4 de joindre le Pont-Euxin à la mer Caspienne. Ce dessein, qui

Il faut que, depuis le temps de Ptolomée, qui nous décrit tant de rivières qui se jettent dans la partie orientale de la mer Caspienne, il y ait eu de grands changements dans ce pays. La carte du czar ne met de ce côté-là que la rivière d'Astrabat ; et celle de M. Bathalsi, rien du tout.

Voyez la relation de Genkinson, dans le Recueil des Voyages du nord, tom. IV.

3 Je crois que de là s'est formé le lac Aral.

4 Claude César, dans Pline, liv. vi,

chap. II.

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