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l'affoiblir et le livrer sans défense aux barbares. Les nations gothes, gétiques, sarrasines, et tartares, les accablèrent tour à tour; bientôt les peuples barbares n'eurent à détruire que des peuples barbares. Ainsi, dans le temps des fables, après les inondations et les déluges, il sortit de la terre des hommes armés qui s'exterminèrent.

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CHAPITRE XXIV.

Changements arrivés en Europe par rapport au nombre des habitants.

Dans l'état où étoit l'Europe, on n'auroit pas cru qu'elle pût se rétablir, surtout lorsque, sous Charlemagne, elle ne forma plus qu'un vaste empire. Mais, par la nature du gouvernement d'alors, elle se partagea en une infinité de petites souverainetés; et comme un seigneur résidoit dans son village ou dans sa ville, qu'il n'étoit grand, riche, puissant, que dis-je ? qu'il n'étoit en sûreté que par le nombre de ses habitants, chacun s'attacha avec une attention singulière à faire fleurir son petit pays : ce qui réussit tellement que, malgré les irrégularités du gouvernement, le défaut des connoissances qu'on a acquises depuis sur le commerce, le grand nombre de guerres et de querelles qui s'élevèrent sans cesse, il y eut dans la

plupart des contrées d'Europe plus de peuple qu'il n'y en a aujourd'hui.

Je n'ai pas le temps de traiter à fond cette matière; mais je citerai les prodigieuses armées des croisés, composées de gens de toute espèce. M. Puffendorff dit que, sous Charles IX, il y avoit vingt millions d'hommes en France.

Ce sont les perpétuelles réunions de plusieurs petits états qui ont produit cette diminution. Autrefois chaque village de France étoit une capitale; il n'y en a aujourd'hui qu'une grande: chaque partie de l'état étoit un centre de puissance: aujourd'hui tout se rapporte à un centre, et ce centre est pour ainsi dire l'état même.

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CHAPITRE XXV.

Continuation du même sujet.

Il est vrai que l'Europe a, depuis deux siècles, beaucoup augmenté sa navigation; cela lui a procuré des habitants, et lui en a fait perdre. La Hollande envoie tous les ans aux Indes un grand nombre de matelots, dont il ne revient que les deux tiers; le reste périt ou s'établit aux Indes: même chose doit à peu près arriver à toutes les autres nations qui font ce commerce.

1 Histoire de l'univers, chap. v de la France.

Il ne faut point juger de l'Europe comme d'un état particulier qui y feroit seul une grande navigation. Cet état augmenteroit de peuple, parce que toutes les nations voisines viendroient prendre part à cette navigation; il y arriveroit des matelots de tous côtés. L'Europe, séparée du reste du monde par la religion', par de vastes mers, et par des déserts, ne se répare pas ainsi.

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CHAPITRE XXVI.

Conséquences.

De tout ceci il faut conclure que l'Europe est encore aujourd'hui dans le cas d'avoir besoin de lois qui favorisent la propagation de l'espèce humaine aussi, comme les politiques grecs nous parlent toujours de ce grand nombre de citoyens qui travaillent à la république, les politiques d'aujourd'hui ne nous parlent que des

à l'augmenter.

moyens propres

Les pays mahométans l'entourent presque partout.

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CHAPITRE XXVII.

De la loi faite en France pour encourager la propagation de l'espèce.

Louis XIV ordonna1 de certaines pensions pour ceux qui auroient dix enfants, et de plus fortes pour ceux qui en auroient douze. Mais il n'étoit pas question de récompenser des prodiges. Pour donner un certain esprit général qui portât à la propagation de l'espèce, il falloit établir, comme les Romains, des récompenses générales ou des peines générales.

CHAPITRE XXVIII.

Comment on peut remédier à la dépopulation.

Lorsqu'un état se trouve dépeuplé par des accidents particuliers, des guerres, des pestes, des famines, il y a des ressources. Les hommes qui restent peuvent conserver l'esprit de travail et d'industrie: ils peuvent chercher à réparer leurs malheurs et devenir plus industrieux par leur calamité même. Le mal presque incurable est lorsque la dépopulation vient de longue main par un vice intérieur et un mauvais gouvernement. Les

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hommes y ont péri par une maladie insensible et habituelle: nés dans la langueur et dans la misère, dans la violence ou les préjugés du gouvernement, ils se sont vu détruire, souvent sans sentir les causes de leur destruction : les pays désolés par le despotisme ou par les avantages excessifs du clergé sur les laïques en sont deux grands exemples.

Pour rétablir un état ainsi dépeuplé, on attendroit en vain des secours des enfants qui pourroient naître. Il n'est plus temps; les hommes, dans leurs déserts, sont sans courage et sans industrie. Avec des terres pour nourrir un peuple, on a à peine de quoi nourrir une famille. Le bas peuple, dans ces pays, n'a pas même de part à leur misère, c'est-à-dire aux friches dont ils sont remplis. Le clergé, le prince, les villes, les grands, quelques citoyens principaux, sont devenus insensiblement propriétaires de toute la contrée : elle est inculte; mais les familles détruites leur en ont laissé les pâtures, et l'homme de travail n'a rien.

Dans cette situation, il faudroit faire dans toute l'étendue de l'empire ce que les Romains faisoient dans une partie du leur : pratiquer dans la disette des habitants ce qu'ils observoient dans l'abondance, distribuer des terres à toutes les familles qui n'ont rien, leur procurer les moyens de les

défricher et de les cultiver. Cette distribution de

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