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CHAPITRE III.

Des temples.

Presque tous les peuples policés habitent dans des maisons. De là est venue naturellement l'idée de bâtir à Dieu une maison où ils puissent l'adorer, et l'aller chercher dans leurs craintes où leurs espérances.

En effet, rien n'est plus consolant pour les hommes qu'un lieu où ils trouvent la divinité plus présente, et où tous ensemble ils font parler leur foiblesse et leur misère.

Mais cette idée si naturelle ne vient qu'aux peuples qui cultivent les terres; et on ne verra pas bâtir de temples chez ceux qui n'ont pas de maisons eux-mêmes.

C'est ce qui fit que Gengis-kan marqua un si grand mépris pour les mosquées. Ce prince 2 interrogea les mahométans; il approuva tous leurs dogmes, excepté celui qui porte la nécessité d'aller à la Mecque; il ne pouvoit comprendre qu'on ne pût pas adorer Dieu partout. Les Tartares, n'habitant point de maisons, ne connoissoient point de temples.

'Entrant dans la mosquée de Buchara, il enleva l'Alcoran, et le jeta sous les pieds de ses chevaux. Hist. des Tatares, part. I111, pag. 273. 2 Ibid., pag. 342.

;

Les peuples qui n'ont point de temples ont peu d'attachement pour leur religion : voilà pourquoi les Tartares ont été de tout temps si tolérants 1 pourquoi les peuples barbares qui conquirent l'empire romain ne balancèrent pas un moment à embrasser le christianisme; pourquoi les sauvages de l'Amérique sont si peu attachés à leur propre religion; et pourquoi, depuis que nos missionnaires leur ont fait bâtir au Paraguay des églises, ils sont si fort zélés pour la nôtre.

Comme la divinité est le refuge des malheureux, et qu'il n'y a pas de gens plus malheureux que les criminels, on a été naturellement porté à penser que les temples étoient un asile pour eux ; et cette idée parut encore plus naturelle chez les Grecs, où les meurtriers, chassés de leur ville et de la présence des hommes, sembloient n'avoir plus de maisons que les temples, ni d'autres protecteurs que les dieux.

Ceci ne regarda d'abord que les homicides involontaires; mais, lorsqu'on y comprit les grands criminels, on tomba dans une contradiction grossière s'ils avoient offensé les hommes, ils avoient à plus forte raison offensé les dieux.

Ces asiles se multiplièrent dans la Grèce. Les

› Cette disposition d'esprit a passé jusqu'aux Japonais, qui tirent leur origine des Tartares, comme il est aisé de le prouver.

temples, dit Tacite 1, étoient remplis de débiteurs insolvables et d'esclaves méchants; les magistrats avoient de la peine à exercer la police; le peuple protégeoit les crimes des hommes comme les cérémonies des dieux; le sénat fut obligé d'en retrancher un grand nombre.

Les lois de Moïse furent très sages. Les homicides involontaires étoient innocents, mais ils devoient être ôtés de devant les yeux des parents du mort: il établit donc un asile2 pour eux. Les grands criminels ne méritent point d'asile ; ils n'en eurent pas 3. Les Juifs n'avoient qu'un tabernacle portatif, et qui changeoit continuellement de lieu; cela excluoit l'idée d'asile. Il est vrai qu'ils devoient avoir un temple; mais les criminels qui y seroient venus de toutes parts auroient pu troubler le service divin. Si les homicides avoient été chassés hors du pays, comme ils le furent chez les Grecs, il eût été à craindre qu'ils n'adorassent des dieux étrangers. Toutes ces considérations firent établir des villes d'asile, où l'on devoit rester jusqu'à la mort du souverain pontife.

1 Annal., liv. II.

2 Nomb., chap. xxxv.

3 lbid.

CHAPITRE IV.

Des ministres de la religion.

Les premiers hommes, dit Porphyre, ne sacrifioient que de l'herbe. Pour un culte si simple, chacun pouvoit être pontife dans sa famille.

Le désir naturel de plaire à la divinité multiplia les cérémonies; ce qui fit que les hommes, occupés à l'agriculture, devinrent incapables de les exécuter toutes, et d'en remplir les détails.

On consacra aux dieux des lieux particuliers; il fallut qu'il y eût des ministres pour en prendre soin, comme chaque citoyen prend soin de sa maison et de ses affaires domestiques. Aussi les peuples qui n'ont point de prêtres sont-ils ordinairement barbares. Tels étoient autrefois les Pédaliens'; tels sont encore les Wolguski'.

Des gens consacrés à la divinité devoient être honorés, surtout chez les peuples qui s'étoient formé une certaine idée d'une pureté corporelle, nécessaire pour approcher des lieux les plus agréables aux dieux, et dépendante de certaines pratiques.

Le culte des dieux demandant une attention

Lilius Giraldus, page 726.

⚫ Peuples de la Sibérie. Voyez la Relation de M. Everard IsbrandsIdes, dans le Recucil des Voyages du Nord, tome vIII.

continuelle, la plupart des peuples furent portés à faire du clergé un corps séparé. Ainsi, chez les Égyptiens, les Juifs et les Perses 1, on consacra à la divinité de certaines familles qui se perpétuoient et faisoient le service.

Il

y

eut même des religions ou l'on ne pensa pas seulement à éloigner les ecclésiastiques des ** affaires, mais encore à leur ôter l'embarras d'une famille; et c'est la pratique de la principale branche de la loi chrétienne.

Je ne parlerai point ici des conséquences de la loi du célibat; on sent qu'elle pourroit devenir nuisible à proportion que le corps du clergé seroit trop étendu, et que par conséquent celui des laïques ne le seroit pas assez.

Par la nature de l'entendement humain, nous aimons, en fait de religion, tout ce qui suppose un effort, comme en matière de morale nous aimons spéculativement tout ce qui porte le caractère de la sévérité. Le célibat a été plus agréable aux peuples à qui il sembloit convenir le moins, et pour lesquels il pouvoit avoir de plus fâcheuses suites. Dans les pays du midi de l'Europe, où, par la nature du climat, la loi du célibat est plus difficile à observer, elle a été retenue; dans ceux du Nord, où les passions sont moins vives, elle a été proscrite. Il y a plus : dans les pays où il y a peu Voyez M. Hyde.

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