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que le prince regarderoit la religion comme ses lois mêmes, et comme des effets de sa volonté. Pour prévenir cet inconvénient, il faut qu'il y ait des monuments, de la religion; par exemple, des livres sacrés qui la fixent et qui l'établissent. Le roi de Perse est le chef de la religion; mais l'Alcoran règle la religion : l'empereur de la Chine est le souverain pontife; mais il y a des livres qui sont entre les mains de tout le monde, auxquels il doit lui-même se conformer. En vain un empereur voulut-il les abolir, ils triomphèrent de la tyrannie.

CHAPITRE IX.

De la tolérance en fait de religion.

Nous sommes ici politiques, et non pas théologiens et pour les théologiens mêmes, il y a bien de la différence entre tolérer une religion et l'approuver.

Lorsque les lois d'un état ont cru devoir souffrir plusieurs religions, il faut qu'elles les obligent aussi à se tolérer entre elles. C'est un principe que toute religion qui est réprimée devient ellemême réprimante : car sitôt que, par quelque hasard, elle peut sortir de l'oppression, elle attaque la religion qui l'a réprimée, non pas comme une religion, mais comme une tyrannie.

Il est donc utile que les lois exigent de ces diverses religions, non seulement qu'elles ne troublent pas l'état, mais aussi qu'elles ne se troublent pas entre elles. Un citoyen ne satisfait point aux lois en se contentant de ne pas agiter le corps de l'état; il faut encore qu'il ne trouble pas quelque citoyen que ce soit.

CHAPITRE X.

Continuation du même sujet.

Comme il n'y a guère que les religions intolérantes qui aient un grand zèle pour s'établir ailleurs, parce qu'une religion qui peut tolérer les autres ne songe guère à sa propagation, ce sera une très bonne loi civile, lorsque l'état est satisfait de la religion déja établie, de ne point souffrir l'établissement d'une autre.

Voici donc le principe fondamental des lois politiques en fait de religion. Quand on est maître de recevoir dans un état une nouvelle religion, ou de ne la pas recevoir, il ne faut pas l'y établir; quand elle y est établie, il faut la tolérer.

1 Je ne parle point dans tout ce chapitre de la religion chrétienne, parce que, comme j'ai dit ailleurs, la religion chrétienne est le premier bien. Voyez la fin du chapitre 1er du livre précédent, et la Défense de l'Esprit des Lois, seconde partie.

CHAPITRE XI.

Du changement de religion.

Un prince qui entreprend dans son état de détruire ou de changer la religion dominante s'expose beaucoup. Si son gouvernement est despotique, il court plus de risque de voir une révolution, que par quelque tyrannie que ce soit, qui n'est jamais dans ces sortes d'états une chose nouvelle. La révolution vient de ce qu'un état ne change pas de religion, de moeurs et de manières, dans un instant, et aussi vite que le prince publie l'ordonnance qui établit une religion nouvelle. .. De plus, la religion ancienne est liée avec la constitution de l'état, et la nouvelle n'y tient point: celle-là s'accorde avec le climat, et souvent la nouvelle s'y refuse. Il y a plus : les citoyens se dégoûtent de leurs lois; ils prennent du mépris pour le gouvernement déja établi; on substitue des soupçons contre les deux religions à une ferme croyance pour une; en un mot, on donne à l'état, au moins pour quelque temps, et de mauvais citoyens, et de mauvais fidèles.

CHAPITRE XII.

Des lois pénales.

Il faut éviter les lois pénales en fait de religion. Elles impriment de la crainte, il est vrai: mais comme la religion a ses lois pénales aussi qui inspirent de la crainte, l'une est effacée par l'autre.

Entre ces deux craintes différentes les ames deviennent atroces.

La religion a de si grandes menaces, elle a de si grandes promesses, que, lorsqu'elles sont présentes à notre esprit, quelque chose que le magistrat puisse faire pour nous contraindre à la quitter, il semble qu'on ne nous laisse rien quand on nous l'ôte, et qu'on ne nous ôte rien lorsqu'on nous la laisse.

Ce n'est donc pas en remplissant l'ame de ce grand objet, en l'approchant du moment où il lui doit être d'une plus grande importance, que l'on parvient à l'en détacher : il est plus sûr d'attaquer une religion par la faveur, par les commodités de la vie, par l'espérance de la fortune; non pas par ce qui avertit, mais par ce qui fait que l'on oublie; non pas par ce qui indigne, mais par ce qui jette dans la tiédeur lorsque d'autres passions agissent sur nos ames, et que celles que la religion inspire sont dans le silence. Règle géné

:

rale en fait de changement de religion, les invitations sont plus fortes que les peines.

7

Le caractère de l'esprit humain a paru dans l'ordre même des peines qu'on a employées. Que l'on se rappelle les persécutions du Japon; on se révolta plus contre les supplices cruels que contre les peines longues, qui lassent plus qu'elles n'effarouchent, qui sont plus difficiles à surmonter parce qu'elles paroissent moins difficiles.

En un mot, l'histoire nous apprend assez que les lois pénales n'ont jamais eu d'effet que comme destruction.

CHAPITRE XIII.

Très humble remontrance aux inquisiteurs d'Espagne
et de Portugal.

Une Juive de dix-huit ans, brûlée à Lisbonne au dernier auto-da-fé, donna occasion à ce petit ouvrage; et je crois que c'est le plus inutile qui ait jamais été écrit. Quand il s'agit de prouver des choses si claires, on est sûr de ne pas convaincre.

L'auteur déclare que, quoiqu'il soit juif, il respecte la religion chrétienne, et qu'il l'aime as

I

Voyez le Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome v, part. 1, pag. 192

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