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ces peuples, qui se fixèrent dans leurs nouvelles demeures, perdirent beaucoup du leur.

Le royaume des Bourguignons ne subsista pas assez long-temps pour que les lois du peuple vainqueur pussent recevoir de grands changements. Gondebaud et Sigismond, qui recueillirent leurs usages, furent presque les derniers de leurs rois. Les lois des Lombards reçurent plutôt des additions que des changements. Celles de Rotharis furent suivies de celles de Grimoald, de Luitprand, de Rachis, d'Aistulphe; mais elles ne prirent point de nouvelle forme. Il n'en fut pas de même des lois des Visigoths; leurs rois les refondirent et les firent refondre par le clergé.

Les rois de la première race ôtèrent * bien aux lois saliques et ripuaires ce qui ne pouvoit absolument s'accorder avec le christianisme; mais ils en laissèrent tout le fond. C'est ce qu'on ne peut pas dire des lois des Visigoths.

Les lois des Bourguignons, et surtout celles des Visigoths, admirent les peines corporelles. Les lois saliques et ripuaires ne les reçurent 3

Euric les donna, Leuvigilde les corrigea. Voyez la Chronique d'Isidore. Chaindasuinde et Recessuinde les réformèrent. Egiga fit faire le code que nous avons, et en donna la commission aux évêques on conserva pourtant les lois de Chaindasuinde et de Recessuinde, comme il paroît par le seizième concile de Tolède. 2 Voyez le prologue de la loi des Bavarois.

3 On en trouve seulement quelques unes dans le décret de Childebert.

pas; elles conservèrent mieux leur caractère. Les Bourguignons et les Visigoths, dont les provinces étoient très exposées, cherchèrent à se concilier les anciens habitants et à leur donner des lois civiles les plus impartiales: mais les rois francs, sûrs de leur puissance, n'eurent pas ces égards.

Les Saxons, qui vivoient sous l'empire des Francs, eurent une humeur indomptable, et s'obstinèrent à se révolter. On trouve dans leurs 3 lois des duretés du vainqueur qu'on ne voit point dans les autres codes des lois des Barbares.

On y voit l'esprit des lois des Germains dans les peines pécuniaires, et celui du vainqueur dans les peines afflictives.

Les crimes qu'ils font dans leur pays sont punis corporellement, et on ne suit l'esprit des lois germaniques que dans la punition de ceux qu'ils commettent hors de leur territoire.

On y déclare que, pour leurs crimes, ils n'auront jamais de paix, et on leur refuse l'asile des églises mêmes.

Les évêques eurent une autorité immense à la cour des rois visigoths; les affaires les plus im

1 Voyez le prologue du code des Bourguignons, et le code même ; surtout le titre XII, § 5, et le tit. XXXVIII. Voyez aussi Grégoire de Tours, liv. II, chap. xxxIII; et le code des Visigoths.

2 Voyez ci-après le chap. III.

3

Voyez le chap. 1, § 8 et 9; et le chap. IV, § 2 et 7.

portantes étoient décidées dans les conciles. Nous devons au code des Visigoths toutes les maximes, tous les principes et toutes les vues de l'inquisition d'aujourd'hui; et les moines n'ont fait que copier contre les Juifs des lois faites autrefois par les évêques.

Du reste, les lois de Gondebaud pour les Bourguignons paroissent assez judicieuses; celles de Rotharis et des autres princes lombards le sont encore plus. Mais les lois des Visigoths, celles de Recessuinde, de Chaindasuinde et d'Egiga, sont puériles, gauches, idiotes; elles n'atteignent point le but; pleines de rhétorique et vides de sens, frivoles dans le fond et gigantesques dans le style.

CHAPITRE II.

Que les lois des Barbares furent toutes personnelles.

C'est un caractère particulier de ces lois des Barbares, qu'elles ne furent point attachées à un certain territoire : le Franc étoit jugé par la loi des Francs, l'Allemand par la loi des Allemands, le Bourguignon par la loi des Bourguignons, le Romain par la loi romaine; et, bien loin qu'on songeât dans ces temps-là à rendre uniformes les lois des peuples conquérants, on ne pensa pas même à se faire législateur du peuple vaincu.

I

Je trouve l'origine de cela dans les mœurs des peuples germains. Ces nations étoient partagées par des marais, des lacs et des forêts; on voit même dans César qu'elles aimoient à se séparer. La frayeur qu'elles eurent des Romains fit qu'elles se réunirent: chaque homme, dans ces nations mêlées, dut être jugé par les usages et les coutumes de sa propre nation. Tous ces peuples, dans leur particulier, étoient libres et indépendants; et, quand ils furent mêlés, l'indépendance resta encore; la patrie étoit commune, et la république particulière; le territoire étoit le même, et les nations diverses. L'esprit des lois personnelles étoit donc chez ces peuples avant qu'ils partissent de chez eux, et ils le portèrent dans leurs conquêtes.

On trouve cet usage établi dans les formules' de Marculfe, dans les codes des lois des Barbares, surtout dans la loi des Ripuaires 3, dans les 4 décrets des rois de la première race, d'où dérivèrent les capitulaires que l'on fit là dessus dans la seconde 5. Les enfants6 suivoient la loi de leur père,

De Bello gallico, liv. vi.

Liv. 1, form. 8.

3 Chap. XXXI.

4 Celui de Clotaire, de l'an 560, dans l'édition des Capitulaires de Baluze, tome 1, art. 4; ibid. in fine.

5 Capitulaires ajoutés à la loi des Lombards, liv. 1, tit. xxv, chap. LXXI; liv. II, tit. XLI, chap. vII; et tit. LVI, chap. I et II.

6 Capitulaires ajoutés à la loi des Lombards, liv. 11, tit. v.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. II.

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les femmes celles de leur mari; les veuves " revenoient à leur loi; les affranchis 3 avoient celle de leur patron. Ce n'est pas tout: chacun pouvoit prendre la loi qu'il vouloit la constitution de Lothaire 4 exigea que ce choix fût rendu public.

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CHAPITRE III.

Différence capitale entre les lois saliques et les lois des Visigoths et des Bourguignons.

5

J'ai dit que la loi des Bourguignons et celle des Visigoths étoient impartiales; mais la loi salique ne le fut pas : elle établit entre les Francs et les Romains les distinctions les plus affligeantes. Quand 6 on avoit tué un Franc, un Barbare, ou un homme qui vivoit sous la loi salique, on payoit à ses parents une composition de deux cents sous; on n'en payoit qu'une de cent lorsqu'on avoit tué un Romain possesseur 7, et seulement une de quarante-cinq quand on avoit tué un Romain tributaire. La composition pour le meurtre d'un Franc

1

Capitulaires ajoutés à la loi des Lombards, liv. 11, tit. vII, ch. 1. 2 Ibid., chap. 11.

3 Ibid.,

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4 Dans la loi des Lombards, liv. II, tit. xxxvII.

5 Au chap. I de ce livre.

6 Loi salique, tit. XLIV, § I.

7 Qui res in pago ubi remanet proprias habet. Loi salique, tit. XLIV, S 15. Voyez aussi le § 7.

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