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salique dans la Bourgogne : elle n'y étoit donc pas établie. Ainsi le droit romain subsista et subsiste encore dans tant de provinces qui dépendoient autrefois de ce royaume.

Le droit romain et la loi gothe se maintinrent de même dans le pays de l'établissement des Goths: la loi salique n'y fut jamais reçue. Quand Pepin et Charles-Martel en chassèrent les Sarrasins, les villes et les provinces qui se soumirent à ces princes1 demandèrent à conserver leurs lois, et l'obtinrent; ce qui, malgré l'usage de ces tempslà, où toutes les lois étoient personnelles, fit bientôt regarder le droit romain comme une loi réelle et territoriale dans ces pays.

Cela se prouve par l'édit de Charles-le-Chauve, donné à Pistes l'an 864, qui distingue les pays dans lesquels on jugeoit par le droit romain d'avec ceux où l'on n'y jugeoit pas.

L'édit de Pistes prouve deux choses: l'une,

1 Voyez Gervais de Tilburi, dans le Recueil de Duchesne, tom. III, pag. 366. Facta pactione cum Francis, quod illic Gothi patriis legibus, moribus paternis, vivant. Et sic Narbonensis provincia Pippino subjicitur. Et unc chronique de l'an 759, rapportée par Catel, Hist. du Languedoc. Et l'auteur incertain de la vie de Louis-le-Débonnaire, sur la demande faite par les peuples de la Septimanie, dans l'assemblée in Carisiaco, dans le Recueil de Duchesne, tom. II, pag. 316.

2 In illa terra in qua judicia secundum legem romanam terminantur, secundum ipsam legem judicetur ; et in illa terra in qua, etc., a:t. 16. Voyez aussi l'art. 20.

qu'il y avoit des pays où l'on jugeoit selon la loi romaine, et qu'il y en avoit où l'on ne jugeoit point selon cette loi; l'autre, que ces pays où l'on jugeoit par la loi romaine étoient précisément1 ceux où on la suit encore aujourd'hui, comme il paroît par ce même édit : ainsi la distinction des pays de la France coutumière et de la France régie par le droit écrit étoit déja établie du temps de l'édit de Pistes.

J'ai dit que dans les commencements de la monarchie toutes les lois étoient personnelles ; ainsi, quand l'édit de Pistes distingue les pays du droit romain d'avec ceux qui ne l'étoient pas, cela signifie que dans les pays qui n'étoient point pays de droit romain, tant de gens avoient choisi de vivre sous quelqu'une des lois des peuples barbares, qu'il n'y avoit presque plus personne dans ces contrées qui choisît de vivre sous la loi romaine; et que dans les pays de la loi romaine, il y avoit peu de gens qui eussent choisi de vivre sous les lois des peuples barbares.

Je sais bien que je dis ici des choses nouvelles; mais si elles sont vraies, elles sont très anciennes. Qu'importe après tout que ce soit moi, les Valois ou les Bignons, qui les aient dites?

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Voyez les art. 12 et 16 de l'édit de Pistes, in Cavillono, in Narbona, etc.

CHAPITRE V.

Continuation du même sujet.

La loi de Gondebaud subsista long-temps chez les Bourguignons concurremment avec la loi romaine : elle y étoit encore en usage du temps de Louis-le-Débonnaire; la lettre d'Agobard ne laisse aucun doute là dessus. De même, quoique l'édit de Pistes appelle le pays qui avoit été occupé par les Visigoths le pays de la loi romaine, la loi des Visigoths y subsistoit toujours; ce qui se prouve par le synode de Troyes, tenu sous Louis-le-Bègue l'an 878, c'est-à-dire quatorze ans après l'édit de Pistes.

Dans la suite, les lois gothes et bourguignonnes périrent dans leurs pays même par les causes * générales qui firent partout disparoître les lois personnelles des peuples barbares.

Voyez ci-après les chap. ix, x et xi.

CHAPITRE VI.

Comment le droit romain se conserva dans le domaine des Lombards.

Tout se plie à mes principes. La loi des Lombards étoit impartiale, et les Romains n'eurent aucun intérêt à quitter la leur pour la prendre. Le motif qui engagea les Romains, sous les Francs, à choisir la loi salique n'eut point de lieu en Italie : le droit romain s'y maintint avec la loi des Lombards.

Il arriva même que celle-ci céda au droit romain; elle cessa d'être la loi de la nation dominante ; et, quoiqu'elle continuât d'être celle de la principale noblesse, la plupart des villes s'érigèrent en républiques, et cette noblesse tomba, où fut exterminée. Les citoyens des nouvelles républiques ne furent point portés à prendre une loi qui établissoit l'usage du combat judiciaire, et dont les institutions tenoient beaucoup aux coutumes et aux usages de la chevalerie. Le clergé, dès lors si puissant en Italie, vivant presque tout sous la loi romaine, le nombre de ceux qui suivoient la loi des Lombards dut toujours diminuer.

Voyez ce que dit Machiavel de la destruction de l'ancienne noblesse de Florence.

D'ailleurs, la loi des Lombards n'avoit point cette majesté du droit romain qui rappeloit à l'Italie l'idée de sa domination sur toute la terre; elle n'en avoit pas l'étendue. La loi des Lombards et la loi romaine ne pouvoient plus servir qu'à suppléer aux statuts des villes qui s'étoient érigées en républiques: or qui pouvoit mieux y suppléer, ou la loi des Lombards,qui ne statuoit que sur quelques cas, ou la loi romaine,qui les embrassoit tous?

CHAPITRE VII.

Comment le droit romain se perdit en Espagne.

I

Les choses allèrent autrement en Espagne : la loi des Visigoths triompha, et le droit romain s'y perdit. Chaindasuinde 1 et Recessuinde' proscrivirent les lois romaines, et ne permirent pas même de les citer dans les tribunaux. Recessuinde fut encore l'auteur de la loi3 qui ôtoit la prohibition des mariages entre les Goths et les Romains. Il est clair que ces deux lois avoient le même esprit : ce roi vouloit enlever les principales causes de séparation qui étoient entre les Goths et les Romains. Or

Il commença à régner en 642.

2 Nous ne voulons plus être tourmentés par les lois étrangères ni par les romaines. Loi des Visigoths, liv. 11, tit. 1, §. 9 et 10.

3 Ut tam Gotho Romanam quam Romano Gotham, matrimonio liceat sociari. Loi des Visigoths, liv. III, tit. 1, chap. 1.

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