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quoit des mœurs rigides que la conquête n'avoit pas eu le temps de changer.

CHAPITRE XXVI.

De la majorité des rois francs.

Les peuples barbares qui ne cultivent point les terres n'ont point proprement de territoire, et sont, comme nous avons dit, plutôt gouvernés par le droit des gens que par le droit civil. Ils sont donc presque toujours armés. Aussi Tacite dit-il « que les Germains ne faisoient aucune af<< faire publique ni particulière sans être armés 1. << Ils donnoient leur avis par un signe qu'ils fai<< soient avec leurs armes. Sitôt qu'ils pouvoient 3 << les porter, ils étoient présentés à l'assemblée; on << leur mettoit dans les mains un javelot 4 : dès ce << moment ils sortoient de l'enfance 5; ils étoient une << partie de la famille, ils en devenoient une de la république.

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Nihil, neque publicæ neque privatæ rei, nisi armati agunt. Tacite, De moribus Germ.

2 Si displicuit sententia, fremitu aspernantur; sin placuit, frameas concutiunt. Ibid.

3 Sed arma sumere, non ante cuiquam moris quam civitas suffecturum probaverit.

4 Tum in ipso concilio, vel principum aliquis, vel pater, vel propinquus, scuto framea que juvenem ornant.

5 Hæc apud illos toga, hic primus juventæ honos: ante hoc domus pars videntur, mox reipublicæ.

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<< Les aigles, disoit le roi des Ostrogoths, << cessent de donner la nourriture à leurs petits << sitôt que leurs plumes et leurs ongles sont formés; ceux-ci n'ont plus besoin du secours d'au<< trui quand ils vont eux-mêmes chercher une proie. Il seroit indigne que nos jeunes gens qui << sont dans nos armées fussent censés être dans << un âge trop foible pour régir leur bien et pour régler la conduite de leur vie. C'est la vertu qui << fait la majorité chez les Goths. »

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Childebert II avoit quinze ans lorsque Gontran son oncle le déclara majeur et capable de gouverner par lui-même. On voit dans la loi des Ripuaires cet âge de quinze ans, la capacité de porter les armes et la majorité marcher ensemble. << Si un Ripuaire est mort ou a été tué, y est-il << dit 3, et qu'il ait laissé un fils, il ne pourra pour<< suivre ni être poursuivi en jugement qu'il n'ait

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quinze ans complets; pour lors il répondra lui<«< même ou choisira un champion. » Il falloit que l'esprit fût assez formé pour se défendre dans le jugement, et que le corps le fût assez pour se défendre dans le combat. Chez les Bourguignons 4,

Théodoric, dans Cassiodore, liv. 1, lett. 38.

2 Il avoit à peine cinq ans, dit Grégoire de Tours, liv. v, chap. I, lorsqu'il succéda à son père, en l'an 575; c'est-à-dire qu'il avoit cinq ans. Gontran le déclara majeur en l'an 585: il avoit donc quinze ans. 3 Tit. LXXXI.

4 Tit. LXXXVII.

qui avoient aussi l'usage du combat dans les actions judiciaires, la majorité étoit encore à quinze

ans.

Agathias nous dit que les armes des Francs. étoient légères : ils pouvoient donc être majeurs à quinze ans. Dans la suite les armes devinrent pesantes, et elles l'étoient déja beaucoup du temps de Charlemagne, comme il paroît par nos capitulaires et par nos romans. Ceux qui avoient des fiefs, et qui par conséquent devoient faire le service militaire, ne furent plus majeurs qu'à vingt

et un ans".

mn

CHAPITRE XXVII.

Continuation du même sujet.

On a vu que chez les Germains on n'alloit point à l'assemblée avant la majorité; on étoit partie de la famille et non pas de la république. Cela fit que les enfants de Clodomir, roi d'Orléans et conquérant de la Bourgogne, ne furent point déclarés rois, parce que dans l'âge tendre où ils étoient ils ne pouvoient pas être présentés à l'assemblée. Ils n'étoient pas rois encore, mais ils devoient l'être

' Il n'y eut point de changement pour les roturiers.

> Saint Louis ne fut majeur qu'à cet âge. Cela changea par un édit de Charles v, de l'an 1374.

lorsqu'ils seroient capables de porter les armes; et cependant Clotilde leur aïeule gouvernoit l'état1. Leurs oncles Clotaire et Childebert les égorgèrent, et partagèrent leur royaume. Cet exemple fut cause que dans la suite les princes pupilles furent déclarés rois, d'abord après la mort de leurs pères. Ainsi le duc Gondovalde sauva Childebert II de la cruauté de Chilpéric, et le fit déclarer roi à l'âge de cinq ans.

Mais dans ce changement même on suivit le premier esprit de la nation, de sorte que les actes né se passoient pas même au nom des rois pupilles. Aussi y eut-il chez les Francs une double administration, l'une qui regardoit la personne du roi pupille, et l'autre qui regardoit le royaume; et dans les fiefs il y eut une différence entre la tutelle et la baillie.

' Il paroît par Grégoire de Tours, liv. III, qu'elle choisit deux hommes de Bourgogne, qui étoit une conquête de Clodomir, pour les élever au siége de Tours, qui étoit aussi du royaume de Clodomir.

2

Grégoire de Tours, liv. v, chap. 1. Vix lustro ætatis uno jam peracto, qui die dominicæ natalis, regnare cœpit.

CHAPITRE XXVIII.

De l'adoption chez les Germains.

Comme chez les Germains on devenoit majeur en recevant les armes, on étoit adopté par le même signe. Ainsi Gontran voulant déclarer majeur son neveu Childebert, et de plus l'adopter, il lui dit : « J'ai mis ce javelot dans tes mains comme <«< un signe que je t'ai donné mon royaume. >> Et se tournant vers l'assemblée : «Vous voyez que <«< mon fils Childebert est devenu un homme, « obéissez-lui. » Théodoric, roi des Ostrogoths, voulant adopter le roi des Hérules, lui écrivit << C'est une belle chose parmi nous de pouvoir être adopté par les armes; car les hommes coura<< geux sont les seuls qui méritent de devenir nos << enfants. Il y a une telle force dans cet acte, que <«< celui qui en est l'objet aimera toujours mieux « mourir que de souffrir quelque chose de hon<< teux. Ainsi par la coutume des nations, et parce « que vous êtes un homme, nous vous adoptons << par ces boucliers, ces épées, ces chevaux, que «<< nous vous envoyons. »

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1 Voyez Grégoire de Tours, liv. vII, chap. xxIII.

› Dans Cassiodore, liv. iv, lett. 2.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. II.

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