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qu'une stérile protection. Les poètes qui récitent leurs vers, les historiens, les avocats, les rhéteurs, chargés d'instruire la jeunesse, passent chacun à leur tour en revue devant lui, et leur condition excite la compassion de sa muse irritable. On trouve dans cette pièce des détails sur les lectures publiques que faisaient les poètes (1). Maculonus vous prêtera son palais; il vous fournira des affranchis et des amis pour vous applaudir; mais, parmi toutes ces puissances, personne ne vous fournira de quoi payer ni les bancs du parterre, ni le loyer des gradins de l'amphithéâtre et des sièges de l'orchestre. Plus loin (2) c'est Stace qui fait une lecture de sa Thébaïde toute la ville accourt; on est transporté; on applaudit à tout rompre; mais Stace mourra de faim s'il ne vend à Paris les prémices de sa tragédie d'Agave. Pâris distribue

(1)

:

Si, dulcedine famæ
Succensus, recites, Maculonus commodat ædes;

Ac longe ferrata domus servire jubetur,

In sollicitas imitatur janua portas.
qua

Scit dare libertos extrema in parte sedentes
Ordinis, et magnas comitum disponere voces.
Nemo dabit regum quanti subsellia constent,

Et

quæ conducto pendent anabathra tigillo, Quæque reportandis posita est orchestra catheȧris. (V. 39-47.)

(2) Curritur ad vocem jucundam et carmen amicæ

Thebaidos, latam fecit cum Statius urbem,
Promisitque diem: tanta dulcedine captos
Afficit ille animos, tantaque libidine vulgi
Auditur! sed cum fregit subsellia versu,
Esurit, intactam Paridi nisi vendat Agaven!
Ille et militiæ multis largitur honorèm,
Semestri vatum digitos circumligat auro.

Quod non dant proceres, dabit histrio: tu Camerinos,

Et Bareas, tu nobilium magna atria curas!

Præfectos Pelopaa facit, Philomela tribunos.

Haud tamen invideas vati quem pulpita pascun! :
Quis tibi Mæcenas? etc.

V. 82-94.)

les honneurs militaires, et met au doigt des poètes l'anneau de chevalier. Ce que les grands ne donnent pas, un histrion en dispose. Puis allez faire votre cour aux nobles! aux Camérinus, aux Baréa! la fille de Pélops fait des gouverneurs; Philomèle des tribuns! après tout, pourquoi en voudrait-on au poète qui vit du théâtre... ?

L'auteur du dialogue sur la décadence de l'art oratoire, attribué à Tacite, fait mention aussi de ces lectures publiques, et de ce qu'elles coûtaient à un certain Bassus, en frais de loyer, de construction, de programmes, et en démarches pour amener des auditeurs (1). Quant à l'usage dont parle Juvénal d'aposter des gens pour applaudir, il était en pleine vigueur à Rome : les témoignages sont nombreux à cet égard. On peut notamment lire dans Pline le jeune (2), comment les avocats de son temps travaillaient leurs succès : « Hier on m'a enlevé mes deux nomenclateurs, mis, pour trois deniers, en réquisition d'applaudir; c'est ce qu'il en coûte pour l'éloquence de premier degré. A ce prix les sièges, si nombreux qu'ils soient, se trouvent garnis; à ce prix on rassemble la foule autour d'eux; à ce prix de longues acclamations sont poussées lorsque le coryphée a donné le signal. Car il faut un signal pour des gens qui ne comprennent pas, qui n'écoutent même pas : non vraiment, ils n'écoutent pas, pour la plupart; et ce sont ceux-là qui applaudissent le plus haut. » Ne croirait-on pas lire la relation d'une des représentations de nos théâtres?

Les écrivains de l'antiquité ne témoignent nulle part qu'un

(1) Rogare ultro et ambire cogitur ut sint qui dignentur audire; et id ne quidem gratis. Nam et domum mutuatur, et auditorium exstruit, et subsellia conducit et libellos dispergit. (Cap. IX.)

(2) Heri duo nomenclatores mei ternis denariis ad laudandum trahebantur: tanti constat ut sis disertissimus. Hoc pretio, quamlibet numerosa, subsellia implentur hoc ingens corona colligitur: hoc infiniti clamores commoventur cum uecoyspos dedit signum. Opus est enim signo apud non intelligentes, ne

droit exclusif de copie ait appartenu aux auteurs sur leurs ouvrages; mais ils élèvent des plaintes fréquentes contre ces hommes qui dans tous les temps ont cherché à se faire honneur des œuvres d'autrui. Il existe des plagiaires depuis qu'il y a des auteurs: le geai d'Esope paré des plumes du paon, le sic vos non vobis de Virgile en sont deux exemples fameux entre mille. Aucun texte de loi ne prononçait de peine contre ce genre de larcin. Un assez grand nombre d'érudits, que l'on désigne quelquefois sous le nom de plagiaristes (1), ont écrit des dissertations sur cette matière ; et tous leurs efforts n'ont pu découvrir dans le vaste corps de droit, qui, sur 'ant de sujets divers, contient les décisions des lois et des jurisconsultes de Rome, autre chose que des analogies plus ou moins éloignées.

;

La loi juive a, il est vrai, puni de mort non-seulement les prophètes qui rapportaient de fausses paroles, mais aussi les prophètes plagiaires qui donnaient comme inspirées à euxmêmes les paroles dictées à d'autres (2). Mais il est facile de comprendre que la sévérité de la loi juive a voulu frapper le délit religieux et non le délit littéraire, le sacrilège et non le plagiat. Ce fut également le crime religieux qui fut puni dans la personne du duumvir Attilius qui, chargé de la garde des livres sybillins, subit la peine des parricides pour en avoir laissé prendre une copie à Petronius Sabinus.

audientes quidem : nam plerique non audiunt, nec ulli magis laudant. Lib. ep. 14.

11,

(1) M. Nodier, dans ses Questions de littérature légale, 2o édition, 1828, p. 224, indique les noms et les ouvrages de quinze principaux plagiaristes, qui, tous, ont écrit en latin : Duaren, Thomasius, Reinelius, Decker, Jansson Alme loveen, Abercrombius, Fabricius, Scellier, Schwartz, Crenius, Leyser, Giardina, Menckenius, Schlichter, Salden.

(2) Vates mendax qui vaticinatur ea quæ non audivit, et quæ ipsi non sunt dicta, ab hominibus est occidendus (Sanhedr. c. xiv, 5). Voici comment ce passage, quæ ipsi non sunt dicta, est expliqué par Maimonide: Is hoc facit qui afflatum alterius sibi assumit et dicit: me Deus hoc docuit; quod tamen Deus ipsum non docuit, sed alium quemdam. A l'appui, vient ce verset de

On a cité souvent une anecdote rapportée par Vitruve dans le préambule de son septième livre. Un des Ptolémées avait fondé, à Alexandrie, des jeux littéraires en l'honneur des Muses et d'Apollon. Lorsqu'il fallut décerner le prix, Aristophane, l'un des juges du concours, opina en faveur d'un des athlètes que ses rivaux, au dire de tout le monde, avaient laissé loin derrière eux. Sommé de motiver son vote, Aristophane alla chercher les volumes où les prétendus poètes avaient pillé leurs vers. Le roi les renvoya ignominieusement et les fit poursuivre comme voleurs. Il mit Aristophane à la tête de la bibliothèque d'Alexandrie.

C'est dit-on, Martial qui a créé l'acception actuelle du mot plagiaire. En droit romain, plagium est le crime qui consiste à voler un homme: plagiarius était celui qui dérobait un enfant, un esclave, qui vendait ou achetait comme esclave un homme libre, etc. On peut voir à ce sujet le Digeste (lib. XLVIII, tit. 15), et le code (lib. ix, tit. 20). Or, Martial dans une de ses épigrammes (lib. 1, ep. 53), compare ses vers à ses enfans, leur voleur est un plagiaire. Cette énergique allégorie est devenue ensuite, pour employer les termes de l'école, une simple catachrèse ; c'est-à-dire que l'usage a effacé la métaphore, et que le mot s'emploie maintenant sans que l'on garde le souvenir de la figure hardie qu'il a d'abord représentée.

Les législations anciennes, qui gardaient le silence sur les droits des auteurs, ne s'occupaient pas, non plus, d'une police spéciale sur les livres. C'était en vertu des dispositions générales des lois criminelles qu'il était défendu d'écrire sur certaines matières, et que les auteurs, les éditeurs, souvent même aussi les détenteurs d'ouvrages regardés comme injurieux pour les particuliers, ou comme attentatoires aux lois et à la sûreté des états, ont été exposés à des peines qui ont va

Jérémie (c. XXIII, v. 30): Propterea ecce ego ad prophetas, ait dominus, qui furantur verba mea unusquisque a proximo suo.

1

rié selon les temps (1). Les exemples de ces rigueurs sont nombreux dans l'antiquité. Plusieurs philosophes grecs ont payé de leur vie la hardiesse de leurs écrits ou de leurs leçons. La loi des Douze Tables condamnait à périr sous le bâton les auteurs d'écrits diffamatoires. Si qui pipulo occentassit, carmenve condissit quod infamiam faxit flagitumve alteri, fuste ferito. Le premier chapitre des Machabées raconte que du temps de la persécution des Hébreux sous Antiochus, la possession des livres de la loi était punie de mort (2). Plusieurs lois des empereurs plaçaient les libelles au rang des crimes de lèse-majesté. Les exemples d'écrivains condamnés à la mort, au bannissement ou à d'autres peines, et de livres condamnés à être brûlés publiquement, marquent toutes les époques de l'histoire.

Quelques débris de l'ancienne civilisation furent rassemblés par Charlemagne : l'un des titres de ce grand homme à da gloire, est d'avoir distinctement entrevu que la dévotion, unie aux lumières, devait éveiller des sentimens de dignité morale dans les barbares au milieu desquels il vivait. Il encouragea l'instruction, recommanda au clergé de donner le plus grand soin à la calligraphie; il provoqua la surveillance des comtes, des évêques et des abbés sur les notaires chargés de rédiger les actes publics, sur les clercs qui faisaient métier de transcrire les offices ecclésiastiques, et enfin sur les moines dont le soin était de conserver à la postérité les auteurs sacrés et profanes.

Les registres des métiers et marchandises de la ville de Paris, d'Estienne Boileau (3), précieux document sur l'état

(1) Cod. IX, 36. De famosis libellis.

(2) Libros legis Dei combusserunt igni, scindentes eos: et apud quemcumque inveniebantur libri testamenti Domini, et quicumque observabat legem Domini, secundum edictum regis trucidabant eum.

Voir

(3) Cet ouvrage a été publié pour la première fois en entier par M. Depping, dans la Collection des documens inédits de l'histoire de France. aussi mon Traité des brevets d'invention, p. 67 et suiv.

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