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sortait d'un despotisme anarchique, nécessairement capricieux, parce qu'en tous lieux et en toute occasion il rencontrait des limites à sa puissance, et l'on passait sous un despotisme régulièrement organisé, qui travaillait à courber sous son niveau les têtes les plus hautes. Ce caractère est celui de toutes les mesures législatives de quelque importance prises à cette époque sur quelque matière que ce soit.

La création des censeurs royaux se rattache à la concentration des pouvoirs qui s'effectuait alors dans la main de l'autorité royale. La juridiction de l'université sur les livres devait être entraînée dans le mouvement d'attraction qui faisait succéder une autorité absolue, mais unique, à mille autorités absolues aussi, mais divergentes. La littérature commençait à acquérir de la force et de l'influence. Le pouvoir royal sentait le besoin de la faire dépendre de lui.

C'est vers le même temps qu'a été fondée l'Académie française. On peut reconnaître une communauté d'origine entre l'Académie et les censeurs royaux. La même intelligence de l'accroissement d'influence qui arrivait aux gens de lettres, le même pressentiment de leur agrandissement futur, ont présidé à la naissance des deux institutions. Mettre la littérature sous la main de l'autorité royale par la censure, se l'attacher par les caresses et les faveurs, c'était alors une grande pensée digne d'être conçue par Richelieu et continuée par Louis XIV.

On expliquerait mal cette pensée, si l'on y voyait un pur amour du despotisme. Il s'y mêlait de la bienveillance pour les lettres. On ne créait ni n'aggravait la censure; car l'idée ne venait à personne que la presse pût être libre; on déplaçait la censure en l'ôtant au pouvoir secondaire de l'université, pour la transporter au pouvoir royal: on ne formait pas de propos délibéré le projet de corrompre les auteurs; mais, habitué que tout le monde était à voir les gens de lettres vivre par les faveurs des princes, on trouvait profit pour la littéra ture et pour la royauté à augmenter tout à-la-fois le bien-être,

la considération sociale et la dépendance des écrivains. Il y a sous ce point de vue de l'instruction à recueillir dans l'histoire de l'Académie française par Pellisson. L'humilité des gens de lettres vis-à-vis du pouvoir s'y peint avec naïveté; mais on y voit aussi que la tendance politique de la fondation de l'Académie n'échappa point aux habiles du parlement.

L'édit de fondation est de janvier 1635. De simples conférences amicales, établies vers 1629 et tenues d'abord dans le secret de l'intimité, puis portées à la connaissance de Richelieu par l'abbé de Boisrobert, l'un de ses familiers, furent le berceau de l'Académie. Le parlement résista deux ans et demi à l'enregistrement de l'édit. Pellisson, malgré son extrême réserve, en dit assez sur cette opposition pour en faire comprendre les motifs : «J'estime, dit-il, qu'il pouvait y avoir trois partis dans le parlement sur ce sujet. Le premier et le moindre, de ceux qui, jugeant sainement les choses, ne voyaient rien à blâmer ni à mépriser dans ce dessein. Le second de ceux qui, pour être ou animés contre le cardinal ou trop attachés à la seule étude du palais et des affaires civiles, se moquaient de cette institution comme d'une chose puérile, et de ceux-là il y en eut un (1) (à ce que j'ai appris) qui opinant sur la vérification des lettres, dit «que cette rencontre lui re<< mettait en mémoire ce qu'avait fait autrefois un empereur, << qui, après avoir ôté au sénat la connaissance des affaires << publiques, l'avait consulté sur la sauce qu'il devait faire à un << grand turbot qu'on lui avait apporté de bien loin. >> Je crois enfin qu'il y avait un troisième et dernier parti, qui peut-être n'était pas le moins puissant, de ceux qui, tenant tout pour suspect, appréhendaient aussi bien que le vulgaire, quelque dangereuse conséquence de cette institution. J'en ai deux preuves presque convaincantes, la première dans cette lettre du cardinal où vous voyez qu'il assure le premier président

(1) Scarron, père du poète. Ce conseiller fut, dans la suite, exilé cardinal de Richelieu, qui supprima sa charge en 1641.

par le

que les académiciens ont un dessein tout autre que celui qu'on avait pu lui faire croire; la seconde, cette clause de l'arrêt de vérification: que l'Académie ne pourra connaître que de la langue française et des livres qu'elle aura faits ou qu'on exposera à son jugement; comme s'il y eût eu quelque danger qu'elle s'attribuât d'autres fonctions, et qu'elle entreprît de plus grandes choses. Et c'est là, comme je pense, la cause des obstacles qu'on apporta durant deux ans à la vérification de ces lettres. >>

Enfin le 10 juillet 1637, après lettres de jussion et lettres de cachet, l'enregistrement fut accordé, mais avec cette restriction remarquable : « A la charge que ceux de ladite assem« blée et académie ne connaîtront que de l'ornement, embel<< lissement et augmentation de la langue française et des li<< vres qui seront par eux faits et par autres personnes qui le <<< desireront et voudront. >>

De nouveaux statuts pour la librairie, rédigés en 1649, à l'époque où les innombrables pamphlets de la Fronde débordaient avec le plus de licence, reproduisirent dans la plupart de leurs dispositions, tant pour le fond que pour la forme, les règlemens de 1618. Ils contenaient, relativement aux privilèges, de notables innovations qui, ainsi que nous le verrons, donnèrent lieu à de vifs débats, auxquels l'université prit une grande part.

Un arrêt du conseil du 27 février 1682 ordonna d'exécuter à Lyon les ordonnances, arrêts et règlemens sur l'imprimerie et la librairie. L'arrêt défend d'imprimer, vendre et débiter aucun livre sans privilège scellé du grand sceau, ni aucun livret ou feuille volante sans la permission expresse du lieutenant-général de la ville. Il s'occupe des privilèges, des visites et ordonne qu'avant d'imprimer un livre on fera présenter au chancelier le manuscrit, sur lequel le chancelier commettra des docteurs, ou autres personnes capables, résidantes à Lyon, qui procéderont à l'examen préalable.

Un règlement général, fort important, fut donné en 1686 et enregistré au parlement de Paris le 21 août. Ce règlement,

contenant 69 articles divisés en quinze titres, existait depuis 1683; il avait servi d'occasion, suivant l'usage, à des plaintes assez nombreuses, et des réclamations avaient même été présentées au parlement et au conseil.

Le titre 1" concerne les franchises, exemptions et immunités des imprimeurs et libraires de Paris.

Titre 2. Des imprimeurs et libraires en général. Sous ce ti tre sont les articles qui obligent tout imprimeur à avoir deux presses; à insérer à la fin ou au commencement des livres les privilèges ou extraits des privilèges et des permissions qu'ils auront obtenus; à ne point imprimer hors du royaume les livres de privilège; à habiter le quartier de l'université; à déposer trois exemplaires des livres avec privilège. Le même titre fait à toutes personnes, même aux auteurs, défenses d'imprimer ni vendre aucun livre; et à tous imprimeurs et libraires d'imprimer ou faire imprimer aucun livre de privilège hors du royaume.

Les titres 3 à 12 sont relatifs aux fondeurs en caractères ; aux apprentis imprimeurs et libraires; aux compagnons ; à la réception des maîtres; aux veuves; aux correcteurs ; aux colporteurs; aux libraires forains; à l'élection des syndics et adjoints; et à la suppression des maîtres de cónfrairies.

Un article fort important est le 43 placé sous le titre 6, qui ordonne qu'il ne sera reçu aucun imprimeur, jusqu'à ce qu'ils soient réduits à trente-six; le même article ajoute : « Ceux << des libraires qui sont actuellement imprimeurs ne pourront «< ci-après en faire la profession, tenir aucune imprimerie, ni « même se présenter pour remplir les places des imprimeurs <<< qui seront vacantes, lesquelles seront seulement remplies « par les fils des imprimeurs, s'ils se trouvent avoir les quali«tés requises, ou par ceux qui auront fait apprentissage chez << les maîtres imprimeurs conformément aux articles précé« dens. » Un arrêt du conseil du 21 juillet 1704 a réglé le nombre des imprimeurs dans toutes les villes du royaume.

Le titre 12 a pour objet la visite des imprimeries et librairies, et celle des livres venant de dehors, en la chambre syn

dicale. L'article 58 se termine par la disposition suivante : « Où il se trouverait des livres ou libelles diffamatoires con<<< tre l'honneur de Dieu, bien et repos de notre état, ou im<<< primés sans nom d'auteur, du libraire et de la ville où ils <«< auront été imprimés, des livres contrefaits sur ceux qui au<< ront été imprimés avec privilège ou continuation de privi« lège, lesdits syndics et adjoints seront tenus d'arrêter tous <<< lesdits livres, et ceux qui y seront joints, même les marchan<<< dises, s'il y en a, qui se trouveront avoir servi de couverture « ou de prétexte pour faire passer lesdits livres. >>

Le titre 13 confirme les dispositions des précédentes ordonnances contre les libelles diffamatoires et autres livres prohibés et défendus.

Le titre 14 s'occupe des privilèges. (Voyez le chapitre suivant.)

Le 15 et dernier titre est relatif aux inventaires, prisées et ventes d'imprimeries et de librairies.

Cet édit fut suivi d'un autre, donné en août 1686, et enregistré au parlement le 7 septembre, qui sépara les relieurs et doreurs de livres de la communauté des libraires et imprimeurs, leur conféra le droit exclusif de relier et dorer les livres, mais leur fit défense de s'immiscer dans la profession de librairie et d'imprimerie.

On a imprimé, en 1687, en une brochure in-4o, l'édit sur l'imprimerie et la librairie, en l'accompagnant d'une conférence des anciennes ordonnances, et des statuts, arrêts et règlemens. Cet ouvrage, qui ne porte pas de nom d'auteur, est de Jean de la Caille, libraire à Paris, auteur d'une Histoire de l'imprimerie et de la librairie publiée en 1689.

L'université vit les nouveaux règlemens avec un vif déplaisir, et se plaignit, ainsi qu'elle l'avait fait déjà en 1618 et en 1649, qu'ils eussent été rédigés sans sa participation. Elle obtint, le 6 juin 1689, un arrêt du conseil qui forma, pour recevoir ses mémoires et entendre ses griefs, une commission composée des conseillers d'état Pussort, Courtin, de Fieubet,

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