le délire, est une métaphore qui rappelle les chasseurs ou les soldats ennemis qui courent les champs. 995. Battre quelqu'un à plate couture, c'est-à-dire le battre complètement, au point d'aplatir les coutures de son habit. 996. Monter sur ses grands chevaux, se mettre en colère, montrer de la sévérité dans ses paroles. Cette expression remonte au temps de la chevalerie. On distinguait alors deux espèces de chevaux: le palefroi et le destrier. Le palefroi était le cheval de parade; le destrier, le cheval de bataille, plus grand et plus fort que le palefroi. Quand un chevalier montait sur son destrier, c'était pour la bataille ou le tournoi. De là le sens de se mettre en colère. 997. Faire pièce à quelqu'un, se moquer de quelqu'un. « De même que l'on invente des sujets, des pièces de théâtre, dit Vaugelas, aussi ce qu'on invente contre une personne pour s'en jouer et divertir s'appelle une pièce ; et inventer ces choses-là s'appelle faire une pièce. » vou 998. Avoir maille à partir avec quelqu'un, c'est-à-dire avoir un différend avec lui, s'explique facilement grâce à la grammaire historique. La maille, monnaie de billon carrée qui avait cours sous les rois Capétiens, était la plus petite de toutes les monnaies; quand on fait la partir (la partager), on ne pouvait que se quereller, puisqu'il n'y avait aucune unité monétaire au-dessous d'elle. Du reste ce mot maille, qui entre aujourd'hui dans plusieurs gallicismes, était autrefois d'un usage courant et signifiait un demi-denier. On dit encore: « Un pince-maille, n'avoir ni sou (autrefois ni denier) ni maille, » etc. 999. Beau, belle, forment aussi une foule de gallicismes, sur le sens étymologique desquels on n'est pas bien d'accord: Vous avez beau jeu; vous avez beau dire; il cria de plus belle; vous me la baillez belle; il l'a échappée belle. 1000. Cœur, grâce a ses sens multiples de viscère, sentiment, partie intime d'un objet, etc., forme également nombre d'idiotismes: Il est au coeur de la difficulté; je vous aiderai de grand cœur; il a ri de bon cœur ; il a le cœur solide, etc. On voit par ces exemples que la plupart de nos gallicismes de figure sont des expressions venues de notre vieille langue et détournées peu à peu de leur sens primitif. On les emploie et on les cite à tout propos aujourd'hui, en comprenant d'instinct le sens général et figuré qu'elles représentent; mais on serait souvent bien en peine de les analyser et de rendre raison de chacun des termes pris à part. 1° Lire à deux 323. Exercices oraux et écrits. Géronte, Scapin SCAPIN, faisant semblant de ne pas voir Géronte. O ciel! ô disgrâce imprévue! O misérable père! Pauvre Géronte, que feras-tu! GÉRONTE, à part Que dit-il là de moi, avec ce visage affligé? SCAPIN N'y a-t-il personne qui puisse me dire où est le seigneur Géronte? Qu'y a-t-il, Scapin? GÉRONTE SCAPIN, courant sur le théâtre sans vouloir entendre ni voir Géronte. Où pourrai-je le rencontrer pour lui dire cette infortune? Qu'est-ce que c'est donc ? SCAPIN En vain je cours de tous côtés pour le pouvoir trouver. Me voici. GÉRONTE SCAPIN Il faut qu'il soit caché en quelque endroit qu'on ne puisse point deviner. GERONTE, arrêtant Scapin Holà! es-tu aveugle, que tu ne me voies pas? SCAPIN Ah! monsieur, il n'y a pas moyen de vous rencontrer. GÉRONTE Il y a une heure que je suis devant toi. Qu'est-ce que c'est donc qu'il y a? Est tombé dans une disgrâce la plus étrange du monde. Et quelle? GÉRONTE SCAPIN Je l'ai trouvé tantôt tout triste de je ne sais quoi que vous lui avez dit, où vous m'avez mêlé assez mal à propos; et, cherchant à divertir cette tristesse, nous nous sommes allés promener sur le port. Là, entre autres plusieurs choses, nous avons arrêté nos yeux sur une galère turque assez bien équipée. Un jeune Turc de bonne mine nous a invités d'y entrer, et nous a présenté la main. Nous y avons passé. Il nous a fait mille civilités, nous a donné la collation, où nous avons mangé des fruits les plus excellents qui se puissent voir, et bu du vin, que nous avons trouvé le meilleur du monde. GÉRONTE Qu'y a-t-il de si affligeant à tout cela? SCAPIN Attendez, monsieur, nous y voici. Pendant que nous mangions il a fait mettre la galère en mer; et, se voyant éloigné du port, il m'a fait mettre dans un esquif, et m'envoie vous dire que, si vous ne lui envoyez par moi, tout à l'heure, cinq cents écus, il va vous emmener votre fils en Alger. GÉRONTE Comment diantre! cinq cents écus! SCAPIN Oui, monsieur; et de plus il ne m'a donné pour cela que deux heures. GERONTE Ah! le pendard de Turc! m'assassiner de la façon ! SCAPIN C'est à vous, monsieur, d'aviser promptement aux moyens de sauver des fers un fils que vous aimez avec tant de tendresse. GÉRONTE Que diable allait-il faire dans cette galère? SCAPIN Il ne songeait pas à ce qui est arrivé. GERONTE Va-t'en, Scapin, va-t'en vite dire à ce Turc que je vais envoyer la justice après lui. SCAPIN La justice en pleine mer! Vous moquez-vous des gens? GRAMMAIRE. C. SUPÉRIEUR. GÉRONTE Que diable allait-il faire dans cette galère? SCAPIN Une méchante destinée conduit quelquefois les personnes. GÉRONTE Il faut, Scapin, il faut que tu fasses ici l'action d'un serviteur fidèle. SCAPIN Quoi, monsieur? GÉRONTE Que tu ailles dire à ce Turc qu'il me renvoie mon fils, et que tu te mettes à sa place, jusqu'à ce que j'aie amassé la somme qu'il demande. SCAPIN Hé! monsieur, songez-vous à ce que vous dites? et vous figurezvous que ce Turc ait si peu de sens, que d'aller recevoir un misérable comme moi à la place de votre fils? GÉRONTE Que diable allait-il faire dans cette galère? SCAPIN Il ne devinait pas ce malheur. Songez, monsieur, qu'il ne m'a donné que deux heures. Cinq cents écus! N'a-t-il point de conscience? SCAPIN Vraiment oui, de la conscience à un Turc! GÉRONTE Sait-il bien ce que c'est que cinq cents écus! SCAPIN Oui, monsieur, il sait que c'est mille cinq cents livres. GÉRONTE Croit-il, le traître, que mille cinq cents livres se trouvent dans le pas d'un cheval? Ce sont des gens qui n'entendent point de raisons. SCAPIN GÉRONTE Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? SCAPIN Il est vrai; mais quoi! on ne prévoyait pas les choses. De grâce, monsieur, dépêchez. GÉRONTE Tu trouveras une grosse clef du côté gauche, qui est celle de mon grenier. Oui. SCAPIN GÉRONTE Tu iras prendre toutes les hardes qui sont dans cette grande manne, et tu les vendras aux fripiers, pour aller racheter mon fils. SCAPIN, en lui rendant la clef Hé! monsieur, rêvez-vous? Je n'aurais pas cent francs de tout ce que vous dites; et de plus vous savez le peu de temps qu'on m'a donné. GÉRONTE Mais que diable allait-il faire dans cette galère? SCAPIN Oh! que de paroles perdues! Laissez là cette galère, et songez que le temps presse, et que vous courez risque de perdre votre fils. Hélas! mon pauvre maître, peut-être je ne te verrai de ma vie, et qu'à l'heure que je parle on t'emmène esclave en Alger. Mais le ciel me sera témoin que j'ai fait pour toi tout ce que j'ai pu, et que, si tu manques à être racheté, il n'en faut accuser que le peu d'amitié d'un père. GÉRONTE Attends, Scapin, je m'en vais querir cette somme. SCAPIN Dépêchez donc vite, monsieur; je tremble que l'heure ne sonne. Tiens, Scapin je ne me souvenais pas que je viens justement de recevoir cette somme en or, et je ne croyais pas qu'elle dût m'être sitôt ravie. (Tirant sa bourse de sa poche et la présentant à Scapin.) Tiens, va-t'en racheter mon fils. SCAPIN, tendant la main Oui, monsieur. |