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e double mouvement de concentration et d'expansion de la conscience qui est la vie de l'esprit humain. La sensibilité est pour ainsi dire le pôle externe ou inféIrieur; la raison est le pôle interne ou supérieur; et la connaissance est l'acte qui es met en communication acte sensitif en tant qu'il représente le mouvement ascendant de l'externe à l'interne par quoi la sensibilité s'idéalise; et acte rationnel, en tant qu'il représente le mouvement descendant de l'interne à l'externe par quoi la raison se réalise. Ce procédé de communication mutuelle trouve sa confirmation dans cette variété graduelle de formes qu'assument et la raison et les sens dans leurs développements respectifs. A partir de la perception sensitive, d'un côté, et de l'intuition rationnelle, de l'autre, qui sont les deux points extrêmes de la vie mentale, la sensibilité à travers une suite de formes de moins en moins matérielles atteint la raison, et la raison, à travers une suite de formes de moins en moins idéales, s'approche de la sensibilité; si bien qu'il n'est point contraire, qu'il est conforme plutôt à la nature des sens et de la raison que ceux-là aient aussi leur rôle dans la connaissance rationnelle, et celle-ci le sien dans la connaissance sensitive (p. 520). »

Au vocabulaire près, aux images près aussi, que le goût scientifique sévère de Kant aurait difficilement acceptées pour une théorie de la connaissance, cette réclamation en faveur de l'unité des fonctions mentales nous semble être dans l'esprit de la doctrine criticiste. Qui mieux que Kant, et d'une façon plus originale, plur profonde, a montré la part de l'entendement dans les sensations? Qui a plus franchement accordé le néant de la connaissance affranchie des sens? Mais l'harmonie, l'unité réelle (unité dans la variété) n'empêchent point les distinctions n certaines oppositions. Au contraire, elles les exigent. L'unité du moi, la simplicité de la conscience, quand on entend par là des synthèses corrélatives à des analyses, il n'y a rien dans les travaux de Kant qui ne tende à les fortifier au fond et à les faire comprendre, pourvu qu'on ne se laisse pas troubler par un certain abus, qu'on peut lui reprocher, des distinctions verbales. Mais si l'unité et la simplicité qu'on nous demande sont la détermination d'un être en soi, d'une substance, d'un nou. mène, oh! alors, on est définitivement sorti du criticisme.

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Et en effet, M. Ausonio Franchi parle à la fin de le remplacer et non plus de l'interpréter. «Nous criticistes disait-il volontiers jusque-là (t. I, p. 110). Et maintenant voici un autre langage (t. II, p. 522) : « Avec ces principes (ceux qu'on vient de voir à l'instant), on parvient à une théorie qui, mieux que le criticisme, répond au but que se proposait Kant. La réalité de la connaissance est la réalité même du moi. De cette manière, elle est assurée contre le scepticisme... contre le sensationisme... contre l'idéalisme... L'objectivité n'est plus le caractère exclusivement propre d'un élément de la connaissance; et la subjectivité d'un autre... La matière et la forme ont même racine et existence, même auteur et agent, et ne peuvent à aucun moment de la vie cognoscitive aller divisément et réellement disjointes l'une de l'autre. » Nous ne pouvons deviner à quelle partie de la doctrine de Kant s'adresse le reproche d'avoir réellement séparé ce que toute analyse, y compris celle de notre auteur, et en ce moment même, distingue. Quoi qu'il en soit, voici ses derniers mots : « On ne saurait admettre que la connaissance naisse de l'union des formes aprioriques avec les intuitions sensibles. Car, en premier lieu, il faudrait les supposer séparément existantes avant leur union, ce qui implique. »

Nous ne voyons pas pourquoi il faudrait supposer cela. «En second lieu, il doit y avoir entre la forme et la matière d'une chose, non-seulement unité réelle d'existence, mais encore identité spécifique ou générique de nature, puisque leur union doit produire une chose unique. Or les intuitions sensibles et les formes aprioriques de Kant n'ont entre elles aucune communauté de genre ni d'espèce; ce sont choses entièrement disparates : l'une ne peut donc être la forme ou la matière de l'autre ; et leur union pourra bien être un accouplement de deux choses, mais non la génération d'une chose unique. » Nous sommes complétement insensibles à cet argument qui impugne nous ne savons quelles essences séparées, et qui prétend démontrer aprioriquement l'impossibilité de reformer la synthèse des éléments mêmes que l'analyse seule a pu donner! « Et en troisième lieu, il faut trouver pour unir cette forme et cette matière un agent capable de disposer de l'une et de l'autre; que sera-ce? Ce ne sera pas la sensibilité, les formes étant rationnelles, ni la raison, les intuitions étant sensibles. Ce sera donc le moi, la conscience, en tant qu'elle est sensibilité et raison tout ensemble. Mais alors les intuitions et les formes appartiennent à un seul et même sujet, participent d'une seule existence et d'une même nature. La différence entr'elles est d'ordre logique, non métaphysique; la priorité des unes et la postériorité des autres sont deux degrés, deux modes, deux moments d'une même chose, non des propriétés opposées de deux choses diverses. On sauve ainsi l'unité et l'identité de la conscience; mais que devient la doctrine fondamentale du criticisme? »

La doctrine fondamentale du criticisme ne nie pas que les intuitions et les formes ne trouvent leur unité dans la conscience qui est elle-même l'unité de l'entendement et de la sensibilité. Cette doctrine s'oppose seulement aux systèmes d'ontologie et de psychologie prétendues rationnelles qui, dépassant l'analyse et la synthèse des phénomènes, érigent l'unité et l'harmonie en êtres en soi, ou substances, et croient pour cela comprendre quelque chose de plus, quand elles ne comprennent pas seulement ce qu'elles supposent. Cette doctrine ne conteste pas que les différences soient d'ordre logique; elle n'en connaît même point d'autres; elle laisse à la métaphysique les différences d'ordre métaphysique. Kant n'a nulle part envisagé, que nous sachions, les intuitions et les formes (antérieures ou postérieures qu'elles puissent être) comme des propriétés opposées de deux choses diverses. S'il eut fait cela, il eut contredit sa propre méthode qui ne permet la détermination ni de deux noumenes ni d'un seul.

M. Ausonio Franchi fait consister son criticisme et son degré de discipulat kantien à se maintenir dans un certain concept de la philosophie, intermédiaire entre le dogmatisme et le scepticisme, entre la science de tout, dit-il, et la science de rien (p. 530). Mais ce ne serait point assez, si l'acceptation des thèses principales de la critique de la raison pure et de la raison pratique ne fournissait pas le critère propre à distinguer ce qui est matière de science.

La partie essentielle, la doctrine vraiment fondamentale des deux critiques, et dans laquelle elles se réunissent, est l'antagonisme du sujet et de l'objet; non pas l'antagonisme de deux essences métaphysiques, tel que le combat M. Ausonio Franchi, mais un antagonisme qui n'exclut point, qui suppose au contraire les rapports nécessaires, et doit tendre à l'harmonie : l'antagonisme du sujet individuel et

des objets réels à connaître ou des vérités à affirmer; objets et vérités qui ne sont ni lui ni dans lui, mais qu'il dépend de lui de poser ou de nier, et qui, eux et en eux-mêmes, ne dépendent pas de ses déterminations sensibles ou rationnelles, de ses raisonnements et de ses croyances. Cet antagonisme là est un gage d'indépen dance du sujet individuel dans le monde, une condition de liberté morale, car il n'existe en dehors que panthéisme et nécessité. Nous ne voulons pas croire encore que M. Ausonio ait entendu le détruire. Si en effet il ne l'avait combattu que faute de le bien reconnaître, il n'y aurait plus entre lui et nous, sur le point capital, que des malentendus.

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BIBLIOGRAPHIE

PHILOSOPHISCHE MONATSHEFTE, cahiers philosophiques mensuels, publiés à Berlin par F. Ascherson, conservateur à la bibliothèque de l'université de Berlin; J. Bergmann, professeur de philosophie à l'université de Koenigsberg, et E. Bratuscheck, professeur privat docent à l'Université de Berlin, avec des collaborateurs. Dix livraisons de 3 francs chaque par an. (Librairie Henschel.)

Nous traduisons le prospectus de cette intéressante publication:

« Le nouveau mouvement philosophique de l'Allemagne, pour acquérir de l'unité et de la force, réclame un organe central qui, sans représenter une école particulière, donne aux recherches faites dans toutes les directions l'occasion de se manifester et présente d'une manière objective le développement actuel de la philosophie allemande.

» La publication commencée il y a quatre ans a suivi son chemin, malgré les tempêtes politiques, sous la direction du fondateur, le professeur Bergmann, Aujourd'hui elle prend une nouvelle extension et partage les tâches. M. Bratuscheck se charge principalement de l'extérieur. Il y aura exposition de doctrines et critiques réciproques. La rédaction veillera à ce que les polémiques ne dégénèrent pas en personnalités...

» Il y aura des articles sur l'art, la science, la politique et l'économie sociale, au point de vue philosophique.

» Une série d'articles traitera: 1° du matérialisme et du sensationisme; 2o du spinozisme; 3° de l'influence des sciences empiriques sur le développement de la philosophie; 4° de l'influence des anciens systèmes allemands, et de leurs transformations (a. Kant, b. Schelling, c. Fichte, d. Hegel, e. Herbart, f. Krause, g. Baader, h. Schopenhauer, i. Beneke, k. Leibniz); 5° de l'influence de la religion positive sur le mouvement philosophique actuel; 6° de l'influence des conditions politiques et sociales; 7o de la direction historique de la philosophie.

> La philosophie étrangère sera principalement présentée dans ses rapports avec la philosophie allemande. Les articles seront fournis par la rédaction. Les rectifications seront toujours admises.

>> Une partie de la publication sera consacrée aux annonces des travaux philosophiques. La bibliographie sera dirigée par le docteur Ascherson. La haute portée de ses vues vient de se montrer de nouveau dans son esquisse, parvenue à la troisième édition, de l'histoire de la philosophie moderne de Ueberweg.

> On donnera des extraits d'ouvrages et de journaux, des notices biographiques, etc. >>

Ce prospectus qui a paru en mai 1872 sous la signature de M. Bratuscheck, a été suivi de la publication de plusieurs livraisons où l'on remarque une application sérieuse et impartiale du plan annoncé par les directeurs des Philosophische monatshefte.

Ce plan nous paraît excellent de tout point, et convenir surtout à un pays où non-seulement la philosophie s'adresse à un public nombreux de travailleurs et de lecteurs, mais encore où le travail se produit avec un certain ensemble, on ne saurait dire de vues, mais enfin de communications et de discussions qui tendent à donner à la philosophie quelque chose de l'unité des sciences dont le progrès est dû à des efforts combinés.

Nous aurions voulu réaliser pour la France une idée à peu près semblable, quand nous avons fondé la Critique philosophique. Mais alors même que l'extrême acuité de notre situation politique, l'urgence des discussions portant sur les réformes sociales qui sont devenues si nécessaires, ne nous eussent pas contraints de donner à notre publication un caractère plus actuel, au moins temporairement, nous aurions été arrêtés par l'état d'incohérence et de dispersion des travaux philosophiques dans notre pays. Dans l'Université, en effet, on travaille peu ou mal, on produit des œuvres sans vertu; d'un autre côté, les penseurs indépendants sont isolés, et il nous manque un public considérable, une galerie philosophique de gens compétents avec lesquels ou devant lesquels puissent s'engager utilement des débats d'idées et de systèmes. Tous ces motifs plus ou moins tristes nous ont forcés d'adopter pour la Critique philosophique un plan qui exagère et met fortement en relief le caractère doctrinal et exclusif en un sens de cette publication. Celui de la nouvelle revue allemande convient, au contraire, parfaitement aux conditions d'un peuple éminemment instruit et travailleur.

Nous n'avons jamais renoncé cependant, et nous espérons le montrer par la suite, à faire connaître le mouvement des idées en France et même à l'étranger, dans tous les ordres d'études qui touchent à la philosophie par leur nature ou par la généralité des objets qu'elles atteignent. La revue que nous annonçons ici nous aidera à remplir cette partie de notre tâche relativement à l'Allemagne et dans la mesure qui nous est permise à nos débuts par la place dont nous disposons, comparée avec l'étendue des sujets pressants qui nous sollicitent.

La livraison des Philosophische monatshefte dans laquelle a paru le prospectus ci-dessus se continue par les articles suivants, dont l'indication peut intéresser nos lecteurs :

4° Sur la véritable grandeur du monde selon la théorie nativiste de la vision d'Ueberweg, par Ed. Johnson. Cet article où nous trouvons une exposition remarquable de l'état actuel, en Allemagne, d'une question des plus importantes pour toute philosophie sérieuse, à cause de son rapport étroit avec la théorie de l'espace, nous a paru bon à faire connaître en France. On en trouvera un résumé dans notre prochain numéro avec les observations qu'il nous a suggérées.

2o Le rapport de la morale et de la religion par le docteur A. Richl. Il est question dans cet article d'un livre de 0. Pfleiderer, Morale et Religion, dont l'auteur définit la moralité par la conformité à la volonté divine. Cependant le critique constate plus loin avec plaisir, dans l'ouvrage, la reconnaissance d'une moralité

humaine spécifique. Il adhère lui-même au principe kantien de l'indépendance absolue de la loi morale par rapport à l'ordre passionnel. Sa conclusion semble réduire à peu de chose le contenu propre de la religion.

3o Analyse du livre du docteur Struhunek: Souveraineté et Sacerdoce, esquisses de philosophie et d'histoire, par L. Freund. Le critique tient l'auteur en grande estime comme éminemment libéral et profond penseur.

4° Analyse du Système d'esthétique de Weisse, par G. Engel (de Berlin). Le noeud du système est placé dans la conscience de la nature spirituelle de la beauté, dans le développement de la philosophie, combiné partout avec l'idée que l'esprit humain lui-même n'est qu'une créature ou une émanation d'un esprit plus élevé qui possède en lui les causes et les fins des choses. » C'est bien la peine qu'une nation ait produit en esthétique des génies tels que Kant, Schiller, Hegel, pour rétrograder ainsi dans la voie de la fondation d'une esthétique scientifique ! Le critique se rattache à la classification de l'art de Hegel. Nous remarquons sa très-vive admiration pour la musique de Wagner, le supréme musicien.

5o Courte notice sur un cours élémentaire de philosophie de l'Italien Carlo Cantoni.

6° Compte rendu des conférences de l'Istituto reale lombardo. M. Cantoni s'y est occupé successivement du livre de l'Intelligence, de Taine, et des travaux de philosophie physiologique de Weber, Fechner, Helmholtz, J. Muller, Herbart et Lotze. Le critique allemand loue les Italiens comme interprètes excellents de la philosophie allemande. Ce que Véra a fait pour Hegel, Cantoni l'a fait pour les recherches allemandes dans le domaine de la sensation. «Nous félicitons, dit en finissant le docteur Eberty, nous félicitons l'auteur et l'Italie de ce premier travail si sérieux, si profond. Il est descendu dans la couche de l'esprit où l'on doit chercher le fer pour la consolidation de l'intelligence humaine, le Gnóti seauton. Si profonde que gise cette couche, elle n'offre un produit que plus rémunérateur. Par lui, l'homme devient le maître de la nature et le maître de lui-même. La sérieuse recherche est le lien des hommes libres qui embrassent l'humanité entière, le lien qui tient et tiendra l'Italie et l'Allemagne unies pour le rétablissement de la paix sur la terre.» Voilà qui est fort beau. Mais l'Allemagne et l'Italie toutes seules ne suffiront peutêtre pas, quelque bonne volonté qu'on leur suppose, pour rétablir la paix entre les douze cents millions d'habitants de ce pauvre globe terraqué!

7o D'un travail français du docteur Bertillon sur la philosophie du mariage, par F. A. Hartsen. Le critique témoigne la plus grande considération pour l'ouvrage. Toutefois il ne peut comprendre le règlement proposé par M. Bertillon touchant le a concubinat régulier. » Comment, dit-il, par quelles mesures obtenir qu'il n'y ait de mariages qu'entre des individus sains, beaux de corps, d'esprit et de conscience? Nous convenons qu'il ne serait pas facile d'atteindre un tel résultat par des moyens directs; mais les législations peuvent quelque chose, peuvent beaucoup pour améliorer et pour dégrader les races. Quand elles sont conçues, comme en France, de manière à pousser à l'abandon des enfants naturels et à déverser la honte sur les liens civilement irréguliers, quelque licites naturellement qu'ils puissent être, et, d'une autre part, à établir l'impunité en faveur de la séduction des filles, et même la protection publique en faveur de certaines branches de liber

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