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INTRODUCTION.

Le xvir siècle est l'époque la plus éclatante de notre littérature: c'est alors que l'esprit français, parvenu à sa maturité, se dégage de l'imitation servile des littératures voisines, n'accepte l'antiquité elle-même qu'en la modifiant d'après sa propre nature, arbore avec fermeté le principe qui doit constituer désormais l'originalité de toutes ses œuvres, la raison, ou, pour l'appeler d'un nom plus modeste, le bon sens; et, se faisant l'interprète éloquent de ce qu'il y a de plus universel dans la pensée humaine, se crée à lui-même le plus solide et le plus incontestable des empires. Nous reviendrons plus tard sur ce caractère général de notre xvir siècle1, quand nous entreprendrons l'histoire de ses deux périodes les plus célèbres: aujourd'hui nous nous contentons d'esquisser dans cette Introduction le caractère particulier de la première période, qui fait l'objet de ce livre.

1. J'ai tâché de le mettre en relief dans mon Discours d'ouverture du 2 décembre 1857, inséré dans le Journal général de l'instruction publique des 23 décembre 1857 et 2 janvier 1858.

Nous sommes tous un peu complices du mot injuste de Voltaire; nous disons volontiers le siècle de Louis XIV. C'est trop d'oublier à la fois Henri IV et Richelieu, si l'on ne veut pas parler de Louis XIII. On l'a dit depuis peu, et avec raison, tout ce qu'il y a de plus glorieux sous Louis XIV a pris naissance avant lui. Il est vrai que cet heureux et habile héritier de deux grands règnes a vu éclore entre ses mains ce qu'avaient semé ses prédécesseurs. Le xvi® siècle avait reçu dans son sein le moyen âge et l'antiquité, soulevé toutes les passions, agité toutes les idées. Henri IV avait calmé et discipliné les esprits sans les éteindre; Richelieu, établi une administration toute monarchique, un despotisme de toutes pièces, dont le principal défaut était d'exiger au sommet la présence d'un grand homme. Le fils d'Anne d'Autriche, et c'est là sa gloire, fut assez fort pour remplir cette place. Louis XIV fut la justification de Richelieu.

Pour qui veut connaître les choses en elles-mêmes, il est indispensable de remonter à leur source. La source de Louis XIV, c'est Henri IV, c'est Louis XIII. Il faut voir la fermentation tumultueuse du XVIe siècle s'apaiser sous ces mains puissantes, mais laisser encore au fond des cœurs la mâle énergie des jours où l'on savait mourir pour son parti et pour sa foi. La grandeur d'âme est le principe de toute grandeur littéraire le sublime, comme dit Longin, est le retentissement de la magnanimité1.

:

La grâce est la limite naturelle de la force leur jonction constitue la beauté. La grâce dans les mœurs et dans

1. Τὸ ύψος μεγαλοψυχίας ἀπήχημα.

le langage naquit encore avant Louis XIV. L'esprit de société, l'influence des femmes, commencent à se développer sous Henri IV, grandissent pendant tout le règne de Louis XIII, assouplissent outre mesure la vigueur un peu rude de la pensée, et bannissent pour un temps de la littérature tout ce qui n'est ni ingénieux ni frivole. Mais bientôt, aux leçons dangereuses de l'Italie et de l'Espagne, succèdent les enseignements plus virils de l'antiquité : l'esprit français ose enfin être lui-même, plein de sens, de raison, de grandeur, mais adouci par les obstacles mêmes qui ont retardé sa croissance.

Ce n'est point un spectacle sans intérêt, que ces débuts incertains d'une littérature, cettè adolescence d'une grande nation. Des poëtes d'un goût douteux, des prosateurs imparfaits ou timides expriment déjà dans leurs écrits les pensées et les sentiments de tous, mais ils n'en expriment qu'une partie, et la partie la plus accessible et la plus frivole. C'est déjà le grand siècle, mais il ne se révèle qu'à demi ce n'est pas encore le jour, c'est l'aurore avec tout le charme que lui a prêté l'imagination des poëtes; « c'est le rossignol et non l'alouette dont les sons viennent frapper notre oreille attentive.... non, ce n'est pas encore le jour1.

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Un des faits moraux les plus remarquables du XVIIe siècle, celui qui contribua le plus à la perfection de notre littérature, c'est la formation d'un public. Depuis la Renaissance, il n'y avait plus de vrai public pour les écrivains français;

1.

It was the nightingale, and not the lark
That pierced the fearful hollow of thine ear....

let's talk, it is not day.

(SHAKSP. Romeo.)

les savants se considéraient comme s'ils eussent été seuls en Europe. Ils travaillaient pour les initiés, et répétaient volontiers l'Odi profanum d'Horace. Ils s'admiraient ou se déchiraient entre eux, ils avaient leur éducation spéciale, leurs doctrines, leurs idées et même leur langue. Tout cela change, au moins pour une partie de la nation, dans le premier tiers du XVIIe siècle : les gens du monde deviennent avides des plaisirs de l'esprit; les gens de lettres recherchent les suffrages de la cour. Les idées se rapetissent, mais elles deviennent un commun patrimoine : désormais écrivains et lecteurs vont vivre et grandir ensemble.

C'est ce travail des esprits que nous nous proposons d'étudier dans la littérature qui en est l'interprète. Nous diviserons cette histoire en deux parties, comme le temps qu'elle embrasse est divisé en deux règnes. Sous Henri IV, nous verrons se déterminer les tendances nouvelles d'abord l'apaisement et le calme des choses politiques passe dans les esprits et laisse régner dans les compositions littéraires un ordre et une méthode inconnus au xvre siècle. En même temps nous constaterons un symptôme non moins nouveau : c'est que les œuvres littéraires s'animent au contact des intérêts vivants de la société : les auteurs se rapprochent de leurs contemporains, et réunissent deux choses presque toujours séparées dans l'âge précédent, la valeur pratique de l'idée et le soin donné à la forme. Les œuvres les plus diverses, les romans et les traités scientifiques, les livres ascétiques et les essais de philosophie nous présenteront ce commun caractère.

Nous prêterons ensuite l'oreille aux derniers échos du

passé, aux derniers frémissements des guerres civiles, à travers les mémoires et les compositions historiques des premières années du xvi siècle. Nous entendrons l'ordre nouveau, qui commence à prendre la parole dans les discours, les lettres politiques, les négociations, les controverses, travaux qui n'appartiennent qu'à peine à la littérature, et n'en accusent que mieux les caractères quand on peut les y découvrir.

Nous verrons se préparer et s'accomplir la réforme poétique de Malherbe nous tâcherons de faire comprendre dans toute son étendue le rôle de ce sage et excellent esprit, dont on ne fait trop souvent qu'un grammairien; injustice qui lui dérobe la moitié de sa gloire.

Le règne de Louis XIII est surtout celui de la société polie. L'histoire de la littérature n'est guère alors que l'histoire des cercles mondains qui la protégent. Les divers genres littéraires naissent ou fleurissent dans des réunions diverses; ici la lettre missive, là le roman, l'ode, l'épopée ; plus loin l'épigramme, la devise, ailleurs les portraits, ailleurs encore les maximes; dans un monde plus libre la poésie franche, licencieuse, burlesque. Puis le théâtre, d'abord exclusivement populaire, ensuite aristocratique, enfin classique et littéraire. Nous parcourrons successivement celles de ces réunions qui exercèrent sur la littérature une influence marquée, depuis le plus ancien et le plus célèbre des salons, celui de Mme de Rambouillet, jusqu'à la plus durable et la plus illustre des compagnies littéraires, l'Académie française.

Richelieu lui-même tiendra sa place dans nos études, et comme principe du mouvement social, et comme

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