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EURIAL E.

Explique, explique, Arbate, avec toute licence
Ces foupirs, ces regards, & ce morne filence.
Je te permets ici de dire que l'amour

M'a rangé fous fes loix, & me brave à fon tour;
Et je confens encor que tu me faffes honte

Des foibleffes d'un cœur qui fouffre qu'on le domte.
ARBATE.

Moi,vous blâmer,Seigneur, des tendres mouvemens
Où je vois qu'aujourd'hui penchent vos fentimens?
Le chagrin des vieux jours ne peut aigrir mon ame
Contre les doux tranfports de l'amoureuse flamme;
Et bien que mon fort touche à fes derniers foleils,
Je dirai que l'amour fied bien à vos pareils ;
Que ce tribut qu'on rend aux traits d'un beau vifage,
De la beauté d'une ame cft un clair témoignage,
Et qu'il eft mal aifé que, fans être amoureux,
Un jeune prince foit & grand & généreux.
C'est une qualité que j'aime en un monarque;
La tendrelle du cœur eft une grande marque
Que d'un Prince à votre âge on peut tout préfumer,
Dès qu'on voit que fon ame eft capable d'aimer.
Oui, cette paffion, de toutes la plus belle,
Traîne dans un efprit cent vertus après elle;
Aux nobles actions elle pouffe les cœurs,
Et tous les grands héros ont fenti fes ardeurs.
Devant mes yeux, Seigneur, a paffé votre enfance,
Et j'ai de vos vertus vu fleurir l'efpérance;

Mcs

Mes regards obfervoient en vous des qualités
Où je reconnoiffois le fang dont vous fortez;
J'y découvrois un fond d'efprit & de lumière;
Jevous trouvois bien fait, l'air grand & l'ame fière;
Votre cœur, votre adreffe, éclatoient chaque jour
Mais je m'inquiètois de ne point voir d'amour;
Et puifque les langueurs d'une plaie invincible
Nous montrent que votre ame à fes traits eft fenfible,
Je triomphe, & mon cœur, d'allégreffe rempli,
Vous regarde à préfent comme un Prince accompli
EURIAL E.

Si de l'amour un tems j'ai bravé la puiffance,
Hélas, mon cher Arbate, il en prend bien vengeance!
Et, fachant dans quels maux mon cœur s'est abyliné,
Toi-même tu voudrois qu'il n'eût jamais aimé.
Car enfin, vois le fort où mon aftre me guide;
J'aime, j'aime ardemment la Princeffe d'Élide,
Et tu fais que l'orgueil, fous des traits fi charmans,
Arme contre l'amour fes jeunes fentimens,
Et comment elle fuit en cette illuftre fête
Cette foule d'amans qui briguent fa conquête.
Ah! qu'il eft bien peu vrai que ce qu'on doit aimer,
Auffi-tôt qu'on le voit, prend droit de nous charmer,
Et qu'un premier coup d'œil allume en nous les flammes
Où le ciel, en naiffant, a destiné nos ames!
A mon retour d'Argos je paffai dans ces lieux,
Et ce paffage offrit la Princeffe à mes yeux;

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Je vis tous les appas dont elle eft revêtue,
Mais de l'œil dont on voit une belle ftatue.
Leur brillante jeuneffe obfervée à loifir
Ne porta dans mon ame aucun fecret defir,
Et d'Ithaque en repos je revis le rivage,
Sans m'en être en deux ans rappelé nulle image.
Un bruit vient cependant à répandre à ma cour
Le célèbre mépris qu'elle fait de l'amour;
On publie en tous lieux que fon ame hautaine
Garde pour l'hymenée une invincible haine,
Et qu'un arc à la main, fur l'épaule un carquois,
Comme une autre Diane elle hante les bois,
N'aime rien que la chaffe, & de toute la Grèce
Fait foupirer en vain l'héroïque jeunesse.
Admire nos efprits, & la fatalité.

Ce que n'avoit point fait fa vue & fa beauté,
Le bruit de fes fiertés en mon ame fit naître
Un transport inconnu dont je ne fus point maître:
Ce dédain fi fameux eut des charmes fecrets
A me faire avec foin rappeler tous les traits;
Et mon efprit jetant de nouveaux yeux fur elle,
M'en refit une image & fi noble & fi belle,
Me peignit tant de gloire & de telles douceurs
A pouvoir triompher de toutes fes froideurs,
Que mon cœur, aux brillans d'une telle victoire,
Vit de fa liberté s'évanouir la gloire;

Contre une telle amorce il cut beau s'indigner,
Sa douceur fur mes fens prit tel droit de régner,

Qu'entraîné par l'effort d'une occulte puiffance,
J'ai d'Ithaque en ces licux fait voile en diligence,
Et je couvre un effet de mes voeux enflammés,
Du defir de paroître à ces jeux renommés,
Où l'illuftre Iphitas, père de la Princeffe,
Affemble la plupart des Princes de la Grèce.

ARBATE.

Mais à quoi bon, Seigneur, les foins que vous prenez ?
Et pourquoi ce fecret où vous vous obtinez ?
Vous aimez, dites-vous, cette illuftre Princeffe,
Et venez à fes yeux fignaler votre adreßè;
Et nuls empreílemens, paroles ni foupirs,
Ne l'ont inftruite encor de vos brûlans defirs?
Pour moi, je n'entends rien à cette politique
Qui ne veut point fouffrir que votre cœur s'explique;
Et je ne fais quel fruit peut prétendre un amour
Qui fuit tous les moyens de fe produire au jour.

EUKIALE.

Et que ferai-je, Arbate, en déclarant ma peine,
Qu'attirer les dédains de cette ame hautaine,
Et me jeter au rang de ces Princes foumis,
Que le titre d'amans lui peint en ennemis ?
Tu vois les fouverains de Mefsène & de Pvlc
Lui faire de leurs coeurs un hommage inutile,
Et de l'éclat pompeux des plus hautes vertus,
En appuyer en vain les refpects affidus :

Ce rebut de leurs foins, fous un trifte filence,
Retient de mon amour toute la violence :
Je me tiens condamné dans ces rivaux fameux,
Et je lis mon arrêt au mépris qu'on fait d'eux.

ARBATE.

Et c'eft dans ce mépris, & dans cette humeur fière,
Que votre ame à fes voeux doit voir plus de lumière,
Puifque le fort vous donne à conquérir un cœur
Que défend feulement une fimple froideur,
Et qui n'impofe point à l'ardeur qui vous preffe
De quelque attachement l'invincible tendreffe.
Un cœur préoccupé réfifte puiffamment ;
Mais quand une ame eft libre, on la force aifément;
Et toute la fierté de fon indifférence

N'a rien dont ne triomphe un peu de patience.
Ne lui cachez donc plus le pouvoir de ses yeux,
Faites de votre flamme un éclat glorieux;
Et, bien loin de trembler de l'exemple des autres,
Du rebut de leurs vœux enflez l'efpoir des vôtres.
Peut-être pour toucher fes févères appas,
Aurez-vous des fecrets que ces Princes n'ont pas ;
Et, fi de fes fiertés l'impérieux caprice
Ne vous fait éprouver un deftin plus propice,
Au moins eft-ce un bonheur en ces extrêmités,
Que de voir avec foi fes rivaux rebutés.
EURIALE.

J'aime à te voir preffer cet aveu de ma flamme;
Combattant mes raifons, tuchatouilles mon ame;

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