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coureur du monde; il fe plaît à fe promener de liens en liens, & n'aime guère à demeurer en place.

D. JUAN.

Et ne trouves-tu pas, dis-moi, que j'ai raifon d'en ufer de la forte?

SGANARELLE.

Hé, Monfieur...

D. JUA N.

Quoi? Parle ?

SGANARELLE.

Affurément que vous avez raison, fi vous le voulez, on ne peut pas aller là contre. Mais, fi vous ne le vouliez pas, ce feroit peut-être une autre

affaire.

D. JU A N.

Hé bien, je te donne la liberté de parler, & de me dire tes fentimens.

'SGANARELLE.

En ce cas, Monfieur, je vous dirai franchement que je n'approuve point votre méthode, & que je trouve fort vilain d'aimer de tous côtés comme vous faites.

D. JUA N.

Quoi? Tu veux qu'on fe lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde

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pour lui, & qu'on n'ait plus d'yeux pour perfonne? La belle chose de vouloir fe piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'enfevelir pour toujours dans une paffion, & d'être mort dès fa jeuneffe à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux! Non, non, la conftance n'eft bonne que pour des ridicules; toutes les belles ont droit de nous charmer, & l'avantage d'être rencontrée la première, ne doit point dérober aux autres les juftes prétentions qu'elles ont toutes fur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit par-tout où je la trouve, & je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon ame à faire injustice aux autres; je conferve des yeux pour voir le mérite de toutes, & rends à chacune les hommages & les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en foit, je ne puis refufer mon cœur à tout ce que je vois d'aimable; & dès qu'un beau vifage me le demande, fi j'en avois dix mille, je les donnerois tous. Les inclinations naiffantes, après tout, ont des charmes inexplicables, & tout le plaifir de l'amour eft dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le coeur d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait, à combattre par des tranfports, par des larmes & des foupirs, l'innocente pudeur d'une ame qui

a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites réfiftances qu'elle nous oppofe, à vaincre les fcrupules dont elle fe fait un honneur, & la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en eft maître une fois, il n'y a plus rien à fouhaiter; tout le beau de la paffion eft fini, & nous nous endormons dans la tranquillité d'un tel amour, fi quelque objet nouveau ne vient réveiller nos defirs, & préfenter à notre cœur les charmes attrayans d'une conquête à faire. Enfin, il n'eft rien de fi doux, que de triompher de la réfiftance d'une belle perfonne; & j'ai, fur ce fujet, l'ambition des conquérans, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, & ne peuvent fe réfoudre à borner leurs fouhaits. II n'eft rien qui puiffe arrêter l'impétuofité de mes defirs, je me fens un coeur à aimer toute la terre; &, comme Alexandre, je fouhaiterois qu'il y cût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.

SGANARELLE.

Vertu de ma vie, comme vous débitez! Il femble que vous ayez appris cela par cœur, & vous parlez tout comme un livre.

D. JUA N.

Qu'as-tu à dire là-deffus?

SGANARELLE.

Ma foi, j'ai à dire... Je ne fais que dire ; car vous tournez les chofes d'une manière, qu'il femble que vous ayez raifon; & cependant il eft vrai que vous ne l'avez pas. J'avois les plus belles pensées du monde, & vos difcours m'ont brouillé tout cela. Laiffez faire; une autre fois je mettrai mes raisonnemens par écrit, pour difputer avec vous.

Tu feras bien.

D. JUAN.

SGANARELLE.

Mais, Monfieur, cela feroit-il de la permiffion que vous m'avez donnée, fi je vous difois que je fuis tant foit peu fcandalifé de la vie que vous menez? D. JUA N.

Comment, quelle vie eft-ce que je mène?

SGANAR ELLE.

Fort bonne. Mais, par exemple, de vous voir tous les mois vous marier comme vous faites.

D. JUAN.

Y a-t-il rien de plus agréable?

SCANARELLE.

Il est vrai. Je conçois que cela eft fort agréable & fort divertiffant, & je m'en accommoderois affez, moi, s'il n'y avoit point de mal; mais, Monfieur, fe jouer ainfi du mariage, qui...

D. JUA N.

Vas, vas, c'eft une affaire que je faurai bien démêler, fans que tu t'en mettes en peine.

SGANAR ELLE.

Ma foi, Monfieur, vous faites une méchante raillerie.

D. JUA N.

Holà, maître fot. Vous favez que je vous ai dit que je n'aime pas les faifeurs de remontrances.

SGANARELLE.

Je ne parle pas auffi à vous, Dieu m'en garde. Vous favez ce que vous faites, vous; &, fi vous êtes libertin, vous avez vos raifons; mais il y a de certains petits impertinens dans le monde, qui le font fans favoir pourquoi, qui font les efprits forts, parce qu'ils croient que cela leur fied bien; &, fi j'avois un maître comme cela, je lui dirois nettement, le regardant en face: c'eft bien à vous, petit ver de terre, petit.mirmidon que vous êtes; (je parle au maître que j'ai dit) c'est bien à vous à vouloir vous mêler de tourner en raillerie ce que tous les hommes révèrent? Penfez-vous que pour être de qualité, pour avoir une perruque blonde & bien frifée, des plumes à votre chapeau, un habit bien doré, & des rubans couleur de feu; (ce n'ct pas à vous que je parle, c'est à l'autre) pen

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