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j'ai pensé plus de vingt fois oublier ma réfolution pour me jeter à fes pieds, & lui faire un avcu fincère de l'ardeur que je fens pour elle.

MORON.

Donnez-vous-en bica garde, Seigneur, fi vous m'en voulez croire. Vous avez trouvé la meilleure invention du monde, & je me trompe fort fi elle ne vous réuffit. Les femmes font des animaux d'un naturel bizarre; nous les gâtons par nos douceurs ; & je crois tout de bon que nous les verrions nous courir, fans tous ces refpects, & ces foumiffions où les hommes les acoquinent.

ARBATE.

Seigneur, voici la Princeffe qui s'eft un peu éloignée de fa fuite.

MORON.

Demeurez ferme, au moins, dans le chemin que vous avez pris. Je m'en vais voir ce qu'elle me dira. Cependant promenez-vous ici dans ces petites routes, fans faire aucun femblant d'avoir envie de la joindre; & fi vous l'abordez, demeurez avec elle le moins qu'il vous fera poffible.

SCENE III.

LA PRINCESSE, MORON.

LA PRINCESSE.

TU as donc familiarité, Moron, avec le Prince d'Ithaque.

MORON.

Ah, Madame, il y a long-tems que nous nous connoitfons!

LA PRINCESSE.

D'où vient qu'il n'est pas venú jusqu'ici, & qu'il a pris cette autre route quand il m'a vue?

MORON.

C'est un homme bizarre, qui ne fe plaît qu'à entre tenir fes penfées.

LA PRINCESSE.

Étois-tu tantôt au compliment qu'il m'a fait ?

MORON.

Oui, Madame; j'y étois ; & je l'ai trouvé un peu impertinent, n'en déplaise à fa principauté.

LA PRINCESSE.

Pour moi, je le confeffe, Moron, cette fuite m'a choquée, & j'ai toutes les envies du monde de l'engager pour rabattre un peu fon orgueil.. i

MORON.

Ma foi, Madame, vous ne fericz pas mal, il le mériteroit bien; mais, à vous dire vrai, je doute fort que vous y puiflicz réuffir.

Comment?

LA PRINCESS E.

MORON.

Comment? C'est le plus orgueilleux petit vilain que <vous ayez jamais vu. Il lui femble qu'il n'y a per- fonne au monde qui le mérite, & qui le mérite, & que la terre n'est pas digne de le porter,

LA PRINCESSE.

Mais encore, ne t'a-t-il point parlé de moi ?

Lui? Non,

MORON.

LA PRINCESS E.

Il ne t'a rien dit de ma voix & de ma danfez

MORON.

Pas le moindre mot.

LA PRINCESSE.

Certes, ce mépris eft choquant, & je ne puis fouffrir cette hauteur étrange de ne rien estimer.

MORON,

Il n'estime & n'aime que lui,

LA PRINCESS E.

Il n'y a rien que je ne faffe pour le foumettre comme il faut.

MORON.

Nous n'avons point de marbre dans nos montagnes qui foit plus dur & plus infenfible que

lui.

LA PRINCESSE

Le voilà.

MORON.

Voyez-vous comme il paffe, fans prendre garde à

yous?

LA PRINCESSE...

De grace, Moron, va le faire aviser que je fuis ici, & l'oblige à me venir aborder.

SCÈNE I V.

LA PRINCESSE, EURIALE, ARBATE, MORON.

MORON allant au - devant d'Euriale, & lai parlant bas,

SEIGNEUR, je vous donne avis que tout va bien. La Princeffe fouhaite que vous l'abordiez: mais fongez bien à continuer votre rôle; &, de peur de J'oublier, ne foyez pas long-tems avec elle,

LA PRINCESSE.

Vous êtes bien folitaire, Seigneur ; & c'est une humeur bien extraordinaire que la vôtre, de renoncer ainfi à notre fexe, & de fuir à votre âge cette galanterie, dont fe piquent tous vos pareils. EURIAL E.

Cette humeur, Madame, n'eft pas fi extraordinaire qu'on n'en trouvât des exemples fans aller loin d'ici, & vous ne fauricz condamner la réfolution que j'ai prife de n'aimer jamais rien, fans condamner auffi vos fentimens.

LA PRINCESS E.

Il y a grande différence; & ce qui fied bien à un fexe, ne fied pas bien à l'autre. Il est beau qu'une femme foit infenfible, & conferve fon cœur exempt des flammes de l'amour; mais ce qui eft vertu en elle, devient un crime dans un homme & comme la beauté eft le partage de notre fexe, yous ne fauriez ne nous point aimer, fans nous dérober les hommages qui nous font dûs, & commettre une offenfe dont nous devons toutes nous reffentir.

EURIAL E.

Je ne vois pas, Madame, que celles qui ne veulent point aimer, doivent prendre aucun intérêt à ces fortes d'offenfes.

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