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ne lui appartient pas. Nous avons ajouté à ce dispositif les mots : ou les insignes d'un ordre, pour atteindre celui qui porterait, non pas la décoration, mais le ruban d'un ordre quelconque. Nous avons ensuite abaissé le taux de la peine, qui est hors de proportion avec le délit qu'il s'agit de réprimer. Quel est le mal qui en résulte pour la société ? Il est de fort peu d'importance. L'individu qui, par méchanceté, aurait dégradé tous les monuments qui ornent une ville, n'encourrait pas une peine plus sévère que celui qui se serait affublé d'un uniforme, ou qui aurait porté une décoration qui ne lui appartient pas. Un emprisonnement de huit jours à trois mois est une punition suffisante pour des faits pareils.

55. ART. 244 (229 du code). L'art. 9 de la loi du 11 juillet 1852, qui crée l'ordre civil et militaire de Léopold, porte: «La décoration d'aucun ordre que celui créé par la présente loi ne peut être portée par les Belges sans l'autorisation du roi. » Cette défense est dépourvue de sanction pénale. En effet, l'art. 259 du code pénal n'est pas applicable à celui qui, sans y avoir été autorisé par le roi, porte la décoration d'un ordre qui lui a été conféré par un souverain étranger; car on ne peut dire qu'il porte une décoration qui ne lui appartient point. Il est vrai que l'art. 6 de la loi du 25 juillet 1834, sur les démonstrations orangistes, punit d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de cinquante à cinq cents francs, celui qui a porté publiquement, sans autorisation du roi, l'un ou l'autre des insignes d'un ordre quelconque; mais cette loi a cessé d'avoir son effet par suite du traité avec la Hollande. La disposition du présent article a pour but de combler la lacune qui s'est produite depuis l'abrogation de cette dernière loi.

56. ART. 245 (250 du code). La seconde partie de l'art. 259 du code pénal punit toute personne qui s'est attribué des titres impériaux qui ne lui ont pas été légalement conférés.

En France, cette disposition a été supprimée par la loi du 28 avril 1852. Il importe d'examiner les motifs de ce changement introduit par la loi française et adopté par le projet belge de 1834.

Le retranchement de cette disposition de l'art. 259 fut d'abord proposé à la chambre des députés par M. Bavoux, qui basait son amendement sur la considération que celui qui s'attribuait des titres de noblesse qui ne lui appartenaient pas, ne portait préjudice ni aux intérêts de la société, ni aux droits des individus. Un autre orateur fit observer qu'une sanction pénale était, dans le cas dont il s'agit, d'autant plus inutile qu'il suffirait, pour empêcher de pareilles usurpations, d'une simple circulaire ministérielle, d'une instruction administrative qui défendrait aux officiers publics de donner, dans les actes qu'ils reçoivent et aux individus qui se présentent à eux, des titres qui ne leur appartiendraient pas. C'est le ridicule seul, ajoutait-on, qui doit faire justice des écarts de la vanité.

A la chambre des pairs, la commission proposa le même amendement, en s'appuyant, non sur l'inutilité, mais sur l'inconstitutionnalité de la seconde disposition de l'art. 259. En effet, disait le rapporteur, cet article, qui ne protége dans sa sanction pénale que les titres conférés par un décret impérial ou une ordonnance du roi, n'est plus en harmonie avec la disposition de la charte qui, en même temps qu'elle conserve à la nouvelle noblesse ses titres, permet à l'ancienne de reprendre les siens. Or, les titres conférés par ordonnance royale étaient autrefois les plus rares de tous, et presque tous ceux de l'ancienne noblesse reposaient sur la possession. Il était donc néces

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saire de faire disparaître cette contradiction entre la charte et le code pénal.

Le motif d'inconstitutionnalité qui a engagé la chambre des pairs à adopter le retranchement de la seconde disposition de l'art. 259 n'existe pas chez nous, puisque l'art. 71 de la charte de 1814, devenu l'art. 62 de la charte de 1830, ne se trouve pas dans notre constitution. A la vérité, l'ancienne noblesse, qui n'émane ni de l'empire, ni de l'ancien gouvernement des Pays-Bas, et qui n'a pas été reconnue par ce dernier, ne pourrait, d'après la teneur de l'art. 259, prendre un titre qu'elle croirait lui appartenir sans s'exposer à des poursuites judiciaires. Mais, afin d'éviter ces poursuites, elle n'aurait qu'à s'adresser au roi pour lui demander la reconnaissance de ses titres, et cela en vertu de l'art. 75 de notre pacte fondamental, qui accorde au roi le droit de conférer des titres de noblesse, et, à plus forte raison, de reconnaître les titres existants.

En conséquence, nous proposons de réprimer par une amende de deux cents francs à mille francs la vanité de celui qui s'attribue des titres de noblesse qui ne lui ont pas été légalement conférés ou reconnus (1). L'art. 245 ne s'applique qu'aux Belges, tandis que l'art. 243 est applicable aux Belges et aux étrangers.

57. ART. 246 (251 du code). Le fait réprimé par le présent article est prévu par la loi du 6 fructidor an I, dont voici les dispositions :

« ART. 1er. Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance: ceux qui les auraient quittés seront tenus de les reprendre.

« ART. 2. Il est également défendu d'ajouter aucun surnom à son nom propre, à moins qu'il n'ait servi jusqu'ici à distinguer les membres d'une même famille, sans rappeler les qualités féodales ou nobiliaires.

« ART. 3. Ceux qui enfreindraient les dispositions des deux articles précédents seront condamnés à six mois d'emprisonnement et à une amende égale au quart de leur revenu.

«La récidive sera punie de la dégradation civique. »

Cette loi, dont les dispositions sont incompatibles avec nos institutions et avec les principes de notre droit pénal, nous semble tacitement abrogée. Telle-ne paraît cependant pas être l'avis de tous les tribunaux. Quoi qu'il en soit, cette œuvre législative qui porte l'empreinte de son époque a besoin d'être remplacée par une nouvelle disposition. Nous proposons de punir, soit d'un emprisonnement de huit jours à trois mois, soit d'une amende de vingt-six à trois cents francs, selon les circonstances, celui qui aura pris un nom qui ne lui appartient pas. Toutefois, s'il avait pris un faux nom, soit dans un passe-port, soit dans l'intention de commettre une escroquerie, soit enfin pour opérer une arrestation arbitraire, le fait tomberait sous l'application d'autres articles qui prononcent des peines plus sévères.

Du reste, les articles 245 et 246 de notre projet ne punissent ni ceux qui portent des prénoms qui ne leur appartiennent pas, ni ceux qui, sans déguiser leur véritable nom, prennent de fausses qualités autres que des titres de noblesse. Ces faits restent impunis, à moins, toutefois, qu'ils n'aient servi à commettre une escroquerie.

(1) Voyez, quant aux titres de noblesse, l'arrêté royal du 6 mars 1818 (Journal officiel, no 12, et Pasinomie, 2e série, t. IV, p. 335).

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RAPPORT fait, dans la séance du 17 novembre 1858, au nom de la commission spéciale, par M. PIRMEZ (1).

SOMMAIRE ANALYTIQUE.

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18. Art. 196 (182 du code). Application frauduleuse des marques de garantie des matières d'or ou d'argent sur d'autres objets. Contrefaçon de ces marques ou de l'empreinte d'un timbre sans emploi de poinçon ou de timbre contrefaits. 19. Art. 197 (183 du code). Usage du papier marqué d'un timbre contrefait ou falsifié.

20. Art. 198 (184 du code). Contrefaçon de coupons des chemins de fer, des sceaux, timbres ou marques d'une autorité, d'un établissement privé de banqué, d'industrie ou de commerce, ou d'un particulier.

8. Art. 179, 180 et 181 (160, 161, 162 et 163 du code): Contre- 21. Art. 199 (185 du code). Application ou usage préjudiciable façon ou altération des monnaies ayant cours légal dans le royaume.

9. Art. 182, 183 et 184 (164, 165, 166 et 167 du code). Contrefaçon ou altération des monnaies n'ayant pas cours légal dans le royaume.

10. Art. 185, 186 et 187 (168, 169 et 170 du code). Émission de monnaies contrefaites et participation à cette émission.

11. Art. 188 (171 et 172 du code). Fraudes dans le choix des échantillons destinés à la vérification du titre et du poids des monnaies.

CHAPITRE II. DE LA CONTREFAÇON OU FALSIFICATION DES EFFETS PUBLICS ET Des billets de BANQUE AUTORISÉS PAR UNE LOI.

12. Caractères du faux en effets publics et billets de banque. 13. Art. 189 (173 du code). Contrefaçon ou falsification des obligations émises par le trésor public, des coupons de ces obligations, des billets de banque.

14. Art. 190 (174 du code). Contrefaçon ou falsification des obligations de la dette publique d'un pays étranger, des coupons de ces obligations, ou des billets de banque d'un pays étranger.

15. Art. 191, 192 et 193 (176, 177 et 178 du code). Émission ou participation à l'émission des obligations, coupons, billets de banque contrefaits ou falsifiés.

CHAPITRE III.-DE LA CONTREFAÇON OU FALSIFICATION DES SCEAUX, TIMBRES, POINÇONS ET MARQUES.

16. Art. 194 (179 du code). Contrefaçon du sceau de l'État. 17. Art. 195 (180 et 181 du code). Contrefaçon ou falsification des timbres nationaux, des poinçons. Exposition en vente de papiers ou de matières d'or ou d'argent, revêtus d'un timbre ou d'un poinçon contrefait.

des vrais sceaux, timbres, marques, etc., qu'on s'est procurés indùment.

22. Art. 200 et 201 (188 et 189 du code). Contrefaçon des timbresposte ou autres timbres adhésifs nationaux ou étrangers. Art. 202 (190 du code). Usage d'un timbre-poste ou d'un coupon ayant déjà servi, après qu'on a fait disparaitre la marque de service.

23. Art. 203 (191 du code). Apposition frauduleuse, sur des objets fabriqués, du nom d'un fabricant ou de la raison commerciale d'une fabrique.

Disposition commune aux trois chapitres précédents. 24. Art. 204 (192 du code). Exemption de peines accordée aux révélateurs.

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26. Art. 206 et 207 (194 et 195 du code). Faux en écritures commis par un fonctionnaire ou officier public dans l'exercice de ses fonctions.

27. Art. 208 (196 du code). Faux en écritures commis par un particulier.

28. Art. 209 (n'a pas passé dans le code). Abus de blanc seing. 29. Art. 210 (197 du code). Usage de la pièce falsifiée. SECTION II. Des faux commis dans les passe-ports, feuilles de route et certificats.

30.

Caractère des faux compris dans cette section. Pourquoi ils sont punis moins sévèrement que les autres faux en écri

tures.

(1) La commission était composée de MM. DOLEZ, président, 31. Art. 214, 212 et 213 (198, 199 et 202 du code). Passe-ports. Jos. LEBEAU, Lelièvre, Moncheur, Pirmez, de Mue

LENAERE et VANDERSTICHELEN.

Fabrication, falsification, usurpation de nom. Délivrance de passe-port à un inconnu.

LIVRE II. TITRE III.

32. Art. 214 et 215 (200 et 201 du code). Feuilles de route. Fabrication, falsification, usurpation de nom. Art. 216 (202 du code). Délivrance d'une feuille de route à un inconnu. 33. Art. 217 (203 du code). Fabrication, sous le nom d'un médecin, d'un certificat de maladie, pour se rédimer ou affranchir une autre personne d'un service dû légalement. 34. Art. 218 (204 du code). Fabrication, par un médecin, d'un certificat de maladie propre à dispenser d'un service, etc. 35. Art. 219 et 220 (205 et 206 du code). Fabrication de certificats d'autre nature.

36. Art. 221 (207 du code). Falsification de certificats, usage de certificats falsifiés.

37. Art. 222 (208 du code). Fonctionnaires ou officiers publics qui, dans l'exercice de leurs fonctions, délivrent un faux certificat ou falsifient un certificat.

38. Art. 223 (209 du code). Participation, comme témoin, à la délivrance d'un faux certificat. Art. 224 (n'a pas passé dans le code). Fabrication de certificat par abus de blanc seing.

39. Art. 225 (210 du code). Faux commis par des logeurs ou aubergistes sur les registres des personnes qu'ils logent. SECTION III.—Des faux commis dans les dépêches télégraphiques. 40. Art. 226 (211 du code). Faux commis par les agents des services télégraphiques dans l'exercice de leurs fonctions. Art. 227 (n'a pas passé dans le code). Réserve de peines plus fortes.

Dispositions communes aux quatre chapitres précédents.

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CHAPITRE V. · DU FAUX TÉMOIGNAGE, DU FAUX SERMENT ET DES FAUSSES EXCUSES ALLÉGUÉES POUR S'AFFRANCHIR D'UN SERVICE DU LÉGALEMENT.

42. Introduction. Art. 230 et 231 (215 et 216 du code). Faux témoignage en matière criminelle.

43. Art. 232 (217 du code). Peines applicables aux personnes appelées pour donner des renseignements, qui font de fausses déclarations.

44. Art. 233 (221 du code). Peines applicables aux interprètes et aux experts coupables de fausses déclarations.

45. Art. 234 et 235 (218 et 219 du code). Faux témoignage en matière correctionnelle ou en matière de police.

46. Art. 256 (220 du code). Faux témoignage en matière civile. Art. 237 (222 du code). Peine accessoire de l'interdiction applicable aux faux témoignages.

47. Art. 238 (223 du code). Subornation de témoins. 48. Art. 239 (224 du code). Faux témoignage ou fausses déclarations payés.

49. Art. 240 (226 du code). Faux serment en matière civile. 50. Art. 241 (n'a pas passé dans le code). Allégation, par un témoin ou un juré, d'une excuse reconnue fausse. CHAPITRE VI. DE L'USURPATION DE FONCTIONS, de titres et dE

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NOMS.

51. Art. 242 (227 du code). Immixtion dans des fonctions publiques, civiles ou militaires.

52. Art. 243 (228 du code). Port illicite d'un costume, d'un uniforme, d'une décoration.

53. Art. 244 (229 du code). Port, sans autorisation préalable, d'une décoration étrangère.

41. Art. 228 et 229 (213 et 214 du code). Intention frauduleuse ou dessein de nuire, condition essentielle de la criminalité 54. Art. 245 (250 du code). Attribution, sans droit, de titres de de l'usage du faux. Peine d'amende applicable à tous les faits de faux.

noblesse.

55. Art. 246 (231 du code). Usurpation de nom.

Messieurs,

TEXTE DU RAPPORT (1).

1. Le titre III du livre II du projet du code pénal s'occupe des crimes et des délits contre la foi publique. Cette dénomination, nouvelle dans notre législation, est empruntée aux codes d'Italie; elle exprime avec justesse la classe d'infractions à laquelle elle s'applique.

L'altération de la vérité, qui est toujours une faute aux yeux de la morale, constitue le faux dans le sens le plus large de ce mot (2); mais la loi peut, en général, laisser aux particuliers le soin de s'en prémunir, sans protéger le vrai par des dispositions pénales. Elle ne doit édicter des peines que lorsque le faux, commis avec des caractères de criminalité spéciale, porte sur certains signes dans lesquels la confiance est une nécessité sociale.

Le pouvoir souverain donne aux monnaies une empreinte déterminée qui en garantit l'origine et la valeur; l'authenticité des actes des autorités est manifestée par les sceaux et les signatures dont ils sont revêtus; les particuliers font connaître, par l'apposition de leur signature, les obligations qu'ils acceptent; la justice prononce des sentences sur des renseignements recueillis. On conçoit que contrefaire l'empreinte des monnaies, le sceau des autorités, la signature des fonctionnaires ou même des citoyens, altérer la vérité dans

(1) Annales parlementaires, 1858-1859, p. 134.

(2) A. MORIN, Rép. de dr. crim., vo Faux; DALLOZ, Rép., vo Faux, no 1; CHAUVEAU et HÉLIE, chap. XXI.

(3) C'est en se plaçant à ce point de vue que la commission

une déposition judiciaire, c'est compromettre gravement l'action du pouvoir et les relations des citoyens, en ébranlant la confiance dans la certitude des faits sur lesquels elles reposent (3).

Cette confiance, si nécessaire dans les faits de cette nature, est appelée foi publique par la rubrique de notre titre. Il prononce, pour la maintenir, des peines contre les diverses altérations de la vérité qui y portent atteinte.

Le faux se commet de trois manières : par faits, par écrits, par paroles (4).

Par faits. Les faux de cette nature sont prévus dans notre titre par le chap. Ier, qui traite de la fausse monnaie, et par les chap. II et III, qui punissent la contrefaçon des effets publics et des billets de banque autorisés par une loi, et la contrefaçon des sceaux, timbres, poinçons et marques.

Par écrits. L'altération de la vérité dans les écritures, auxquelles viennent s'assimiler les dépêches télégraphiques, constitue le faux proprement dit. Il est l'objet du chap. IV.

Par paroles. Le faux témoignage et le faux serment, à côté desquels vient se ranger l'allégation de fausses excuses par les jurés et par les témoins, sont les diverses espèces du faux par paroles. Elles sont prévues par le chap. V.

croit, contrairement à la manière de voir du rapport des rédacteurs du projet, que le faux en écriture privée est une infraction contre la foi publique.

(4) MERLIN, Rép., vo Faux, pr.

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2. Il est peu d'infractions dont la nature et la gravité aient été pendant longtemps moins bien appréciées que la fausse monnaie.

Les erreurs économiques sur les monnaies se joignaient aux idées juridiques inexactes pour en altérer complétement le caractère et la portée.

On a cru pendant des siècles, et les idées communes n'admettent encore que trop aujourd'hui, que la monnaie forme la principale, si pas l'unique richesse d'une nation. C'était une première erreur qui devait disposer à punir sévèrement ceux qui falsifiaient la monnaie; mais ce qui achevait de détourner les esprits de la vérité, c'est que, partant de cette circonstance que le souverain peut seul fabriquer la monnaie, on était arrivé à penser qu'elle n'est qu'une représentation de valeur dont il détermine à son gré l'importance, et par une autre conséquence aussi inexacté de la même prémisse, que celui qui en fabrique est coupable de lèsemajesté (1).

Čes idées erronées avaient conduit à ce singulier résultat, que tandis que les princes altéraient sans cesse le titre ou le poids des monnaies (2), et faisaient ainsi en réalité de la fausse monnaie, ils punissaient les faux monnayeurs ordinaires des peines les plus cruelles en en aggravant encore l'application par tous les vices de la procédure dans les crimes de lèse-majesté (3). La peine du feu, prononcée par l'empereur Constantin pour remplacer l'exposition aux bêtes (4), fut conservée en France, avec cette modification que l'on faisait bouillir vivants les coupables dans l'eau, et lorsque les cas étaient plus graves, dans l'huile (5). Ce cruel supplice ne cessa d'être appliqué qu'au xvIe siècle, époque à laquelle les faux monnayeurs furent généralement condamnés à la potence.

L'assemblée constituante, qui ne craignait pas de rompre avec les précédents les plus enracinés, ne punit la fausse monnaie que de quinze années de fers; mais la peine de mort, rétablie dès l'an xi, fut maintenue dans le code pénal de 1810 pour ne disparaître qu'en 1832, en même temps en France et en Belgique. Cherchons à nous faire une idée exacte de la nature et des diverses espèces de falsification des monnaies. Et d'abord précisons bien ce qu'est la monnaie. Les métaux ont dès le commencement des sociétés servi aux échanges.

Il était, dans le principe, nécessaire de peser pour chaque marché la quantité de métal transmise; à Rome, un officier public était même préposé pour effectuer cette opération (6). On ne tarda pas à découvrir qu'il est un moyen très-simple de remplacer ce pesage réitéré, c'est de former de petits lingots d'un poids déterminé dont l'exactitude serait garantie par une empreinte apposée par l'autorité; la monnaie était trouvée; sa nature n'a pas changé. Aujourd'hui

(1) Voy. L. 2, C., de fals. mon. Majestatis crimen committunt; PEREZ, ad Cod. h. t., cum hujus criminis rei maximum inferant rei publicæ detrimentum et simul Principis lædant majestatem gravissima pœna plectuntur.

(2) Michel CHEVALIER, De la monnaie.

(3) Ordonnance de 1670, titre Ier, 12; JOUSSE, titre III,

encore les pièces de monnaie ne sont pas autre chose que de petits lingots de métal revêtus de l'attestation du poids et du titre émanée du pouvoir souverain.

Elles sont en général frappées pour le compte des particuliers qui peuvent, en supportant les frais de fabrication, convertir en monnaies le métal qu'ils possèdent; mais c'est le gouvernement qui leur donne l'existence par l'apposition de l'empreinte, qui n'est en réalité que l'acte authentique constatant la vérification de leur poids et de leur titre. Les choses ne se passent autrement que pour la monnaie que les économistes appellent billon (quelle que soit la matière dont elle se compose). Le billon est frappé par le gouvernement en quantités limitées et seulement pour servir aux appoints; il ne doit qu'à cette limitation d'émission et d'usage, d'être reçu pour une valeur supérieure à sa valeur intrinsèque. C'est sur la fabrication du billon seulement que les Etats réalisent un bénéfice.

Il résulte de ce qui précède que le caractère essentiel de la monnaie est le type ou empreinte qu'elle porte. « C'est ce caractère, dit M. le procureur général Leclercq dans le remarquable réquisitoire qui a précédé l'arrêt de la cour de cassation du 22 octobre 1836 (7), qui distingue la monnaie de toute autre chose et surtout du métal, soit d'or, soit d'argent, soit de cuivre,... c'est ce caractère qui, appliqué au métal, forme la qualité essentielle de la monnaie en général et de chaque espèce de monnaie. »

Ce n'est pas toutefois le seul caractère de la monnaie: elle est destinée à servir aux échanges; lorsque ni la loi ni l'usage ne lui ont conservé cette destination, les pièces de métal ne sont plus que des objets de curiosité.

C'est d'après ces idées que le rapport de la commission de révision du code pénal donne une définition des monnaies que nous pouvons pleinement accepter au point de vue juridique. Les monnaies sont, porte-t-il, des pièces de métal, frappées au coin de l'autorité souveraine et destinées par la loi ou par l'usage à déterminer le prix des choses qui sont dans le commerce.»

3. La détermination de la nature de la monnaie permet d'apprécier sainement les caractères et la gravité de l'infraction de fausse monnaie.

Et d'abord comment peut-elle se commettre? Evidemment de deux manières seulement ou en fabriquant une empreinte qui imite celle du gouvernement, ou en faisant qu'une empreinte véritable s'applique à une autre pièce qu'à celle dont elle devait attester le titre et le poids.

Dans le premier cas, il y contrefaçon de monnaie, ou, en adoptant l'idée que nous avons émise plus haut, fabrication d'un faux acte de contrôle du titre et du poids de la pièce de métal; dans le second, altération de monnaie, ou, si l'on veut, application d'un acte véritable à une chose à laquelle il ne devait pas s'appliquer.

La contrefaçon ou l'altération de la monnaie constitue donc dans tous les cas un faux, dont l'essence est toujours de tendre à faire croire, par une empreinte, ou contrefaite ou dont l'application a été changée, à une attestation par le gouvernement de la sincérité d'une pièce, alors que cette attestation n'existe pas. De là nous pouvons tirer plusieurs conséquences

page 452; CHAUVEAU et HÉLIE, chapitre XX.

(4) L. 19, ff., ad leg. Corn. de fals.; L. 2, C., de fals. mon. (5) MERLIN, Rép., vo Bouillir.

(6) Le libripens; de là les contrats per æs et libram. Voyez ORTOLAN, Institutes, p. 235.

(7) Pasicrisie, à sa date.

importantes et déterminer plusieurs faits qui, voisins de l'infraction de fausse monnaie, ne peuvent cependant en recevoir la qualification.

1 Il n'y a pas fausse monnaie dans le fait de faire passer pour une monnaie un morceau de métal sans empreinte. En effet, le caractère essentiel de la monnaie n'a pas été imité, le faux acte n'a pas été dressé; le fait peut constituer une fraude punissable, mais non l'infraction de fausse monnaie.

C'est ce qu'a décidé un arrêt de la cour de Bruxelles du 28 novembre 1817. « Attendu, porte l'arrêt, qu'une pièce de métal n'est réputée monnaie qu'autant qu'elle porte le coin de l'empreinte, soit en tout, soit en partie, du souverain dont elle émane, et que ce n'est que dans la contrefaçon de pareilles pièces ou dans leur émission que le législateur a fait consister le crime de fausse monnaie. »

2o Il faut également décider, et en vertu des mêmes principes, qu'il n'y a pas fausse monnaie dans le fait d'argenter ou de dorer des pièces de cuivre ou d'argent afin de les faire passer pour des pièces d'un métal plus précieux.

ne constituent pas des pièces de monnaie avant que les signes déterminés par la loi, pour constituer telle ou telle monnaie, n'y soient empreints; d'où il résulte que, pour qu'il y ait contrefaçon d'une monnaie, il faut qu'il y ait contrefaçon des signes déterminés par la loi pour constituer cette monnaie, et que, s'il y a des signes différentiels entre deux monnaies, l'une de cuivre et l'autre d'argent, c'est à ces signes différentiels qu'il faut s'attacher principalement pour savoir si, en abusant de l'une, on a réellement contrefait l'autre...;

< Attendu que l'action de blanchir un centième n'a contrefait aucun de ces caractères différentiels et distinctifs... d'où résulte que l'action de blanchir un centième, seule et par elle-même, ne peut constituer le crime de contrefaçon de monnaie d'argent. »

Le fait dont nous nous occupons ne peut cependant demeurer impuni. L'arrêt dont nous venons de transcrire une partie l'a considéré comme un vol des centièmes reçus par le prévenu en échange de la prétendue pièce de 25 centièmes donnée par lui; mais cette décision est-elle aussi irréprochable au point de vue de la rigueur des principes que les considérations que nous venons de transcrire? Il est difficile de l'admettre: Le projet du nouveau code érige ce fait en délit spécial, ce qui enlèvera toute difficulté. (Voy. art. 588 et suiv.) (5).

Cette décision a toutefois soulevé une vive controverse sous le code pénal. La proposition contraire, qui paraissait avoir pour elle l'autorité du droit romain et de l'ancien droit (1), a été adoptée par la cour de cassation de France, qui a vu dans ce fait tantôt une altération (2), tantôt une contrefaçon de monnaie (3). 3° Il faut encore conclure des principes posés plus Les auteurs ont généralement partagé ce dernier sen-haut, que la fabrication de pièces avec une empreinte timent (4). Mais la cour de cassation de Belgique nous toute différente de celle qui est admise par la loi ne semble avoir établi sur des bases inébranlables la dé- pourrait en rien rentrer dans les dispositions de notre cision que nous avons énoncée, dans l'arrêt rendu chapitre. chambres réunies, le 22 décembre 1836, sur les conclusions conformes de M. le procureur général Leclercq déjà citées.

Cet arrêt expose avec trop de netteté les principes de la matière, pour que nous n'en transcrivions pas une partie.

Le prévenu avait blanchi une pièce d'un centième de florin, qu'il avait donnée pour une pièce de 25 centièmes.

En ce qui concerne la question de savoir s'il y a eu altération de monnaies d'argent ou de cuivre : « Attendu que, quelle que soit l'opération à laquelle on soumet un centième de florin, monnaie de cuivre, elle ne peut jamais constituer l'altération d'une monnaie d'argent;

Attendu que l'action de blanchir un centième de florin ne peut être considérée comme une altération d'une monnaie de cuivre, puisque cette action ne lui a rien ôté de son poids ni de sa valeur intrinsèque, et a laissé subsister ses signes caractéristiques, et notamment l'expression de sa valeur, un centiême, ce qui est le point le plus important;

En ce qui concerne la question de savoir s'il y a contrefaçon:

« Attendu que les différentes opérations auxquelles on soumet les métaux dans les hôtels des monnaies

(1) La loi 8, ff., ad leg. Corn. de fals., porte: Quicumque nummos aureos partim raserit, partim tinxerit vel finxerit, si quidem libert sunt ad bestias dari, si servi summo supplicio affici debent. Mais comme cette loi s'occupe de pièces d'or, il est impos sible que tinxerit signifie teindre. On peut voir dans le réquisitoire qui précède l'arrêt du 22 décembre 1836, les diverses explications de cette loi et l'appréciation de l'ancienne jurisprudence. (2) Arrêts des 4 juillet 1811 et 4 mars 1830.

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C'est ainsi que, si un prétendant à un trône étranger faisait faire en Belgique des monnaies à son effigie, comme Louis XVIII le fit en Angleterre, il ne se rendrait aucunement coupable de fausse monnaie; mais il est clair que ces monnaies ne jouiraient d'aucune protection légale.

Le cas s'est présenté d'une autre manière pendant la révolution. Des particuliers avaient fait frapper des monnaies qu'ils appelaient médailles de confiance; il fullut une loi spéciale pour le leur interdire (6). Elle porte: «Il est défendu à tous particuliers de fabriquer ou faire fabriquer, directement ou indirectement, des monnaies de métal, sous quelque forme que ce soit. › La peine édictée est cinq ans de fers et la confiscation.

Cette loi n'a pas été publiée en Belgique; les pénalités qu'elle prononce n'appartenant plus à notre système répressif général, ne pourraient d'ailleurs être appliquées.

4° Il est incontestable que rien ne s'oppose aujourd'hui à ce que les particuliers fondent les monnaies quand ils y trouvent leur avantage. La déclaration du 24 octobre 1711 l'édit de février 1718, celui de février 1726, et une décision de la cour des monnaies du 30 septembre 1782, avaient défendu ce fait; mais ces défenses ont perdu leur force obligatoire par la disposition du dernier article du code pénal de 1794 (7).

(4) DALLOZ, Rép., vo Fausse monnaie, nos 22 et suiv.; CHAUVEAU et HÉLIE, chap. XX; A. MORIN, Rép. de dr. crim., vo Fausse monnaie, no 4.

(5) Ces articles, qui avaient été adoptés par la chambre en 1862, sous les nos 560, 561 et 562, sont devenus dans le code l'art. 497. (G. N.)

(6) Loi du 3 septembre 1792.

(7) MERLIN, Rép., vo Monnaie, no 40. — Tel n'est pas l'avis du gouvernement français, qui a rappelé en 1856 l'existence de ces ordonnances. Voy. Gaz. des trib. du 10 octobre 1856 et Moniteur belge (reproduisant un article du Constitutionnel) du 16 octobre 1856. (G. N.)

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