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COUP-D'OEIL

SUR

L'HISTOIRE DU PROTESTANTISME

EN FRANCE.

Opus adgredior opimum casibus, atrox præliis, discors seditlonibus, ipsâ etiam pace sævum.

TACITI Histor.

A l'époque où les doctrines de la Réforme pénétrèrent en France, rien ne faisait prévoir le terrible combat qui ne devait pas tarder à s'engager; tout, au contraire, semblait leur assurer un triomphe facile.

Habitués depuis longtemps à lutter contre les empiétements de la Cour de Rome et à braver ses menaces, les rois de France ne tenaient plus au Saint-Siége que par un assez faible lien. Louis XII venait tout récemment de montrer jusqu'où pourrait aller le sentiment de la vengeance dans le cœur d'un prince jaloux de l'honneur de sa couronne, ou irrité de la mauvaise foi des pontifes romains.

La noblesse était mécontente des nombreux priviléges du clergé, elle convoitait ses immenses richesses et nourrissait contre les prêtres une sourde hostilité, qui n'attendait que l'occasion pour éclater.

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Dans le clergé même, beaucoup de prélats éminents réclamaient hautement une réforme, tandis que la plupart des prêtres ne portaient qu'avec impatience le joug pesant de la hiérarchie.

Le tiers-état enfin, c'est-à-dire la partie la plus saine et la plus éclairée du peuple, ne trouvant dans ses pasteurs ni foi, ni vertus, ni lumières, mais seulement un âpre désir de s'enrichir et de dominer, n'éprouvait pour eux que du mépris, en même temps qu'accablé par le lourd fardeau des impôts, il soupirait après la réforme d'une constitution encore empreinte de l'esprit féodal.

Pour un observateur superficiel, tout semblait donc favoriser les efforts des Réformateurs; mais pénétrons plus avant.

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François Ier, qui avait succédé à Louis XII en 1515, — deux ans avant que l'héroïque moine de Wittemberg proclamât bien haut ce que des milliers d'autres ne se disaient encore que tout bas, -voulait faire valoir ses droits réels ou prétendus sur le duché de Milan et le royaume de Naples, et le concours du pape lui était nécessaire pour mettre à exécution ses projets.

Beaucoup de seigneurs possédaient en commende de riches bénéfices et ils n'entendaient nullement se laisser dépouiller, en sorte que leurs intérêts les rattachaient à la cause du clergé.

La masse du peuple enfin, plongée dans la plus grossière ignorance, abrutie par le despotisme, habituée à un culte tout matériel, sans piété véritable, sans sentiments vraiment religieux, peu propre d'ailleurs dans tous les temps à comprendre les questions abstraites qui divisaient alors les théologiens, devait rester au moins indifférente; mais il était à prévoir que cette indifférence se changerait en hostilité ouverte, si l'on en venait à toucher à ses images et à ses reliques, objets de sa profonde vénération.

Tel était l'état des esprits en France, lorsque l'appel de Luther à la Sorbonne mit cette célèbre Faculté en demeure de se prononcer sur les opinions soutenues par le Réformateur à la

conférence de Leipzig, touchant la suprématie du pape, le purgatoire, les indulgences et les bonnes œuvres. Ses doctrines furent condamnées, en 1521, comme des erreurs détestables; mais ce décret ne fut pas sanctionné généralement par le clergé de France. Il n'empêcha pas au moins l'évêque de Meaux, Guillaume Briçonnet, un des prélats les plus vertueux et les plus instruits du royaume, d'appeler dans son diocèse, pour y prêcher une doctrine plus pure, Jacques Fabri, Guillaume Farel Gérard Roussel et d'autres docteurs imbus des opinions nouvelles. Leurs prédications eurent un si grand succès, qu'en moins de deux ans elles convertirent la plupart des ouvriers des nombreuses fabriques de Meaux. Irrités de leurs progrès, les Cordeliers les dénoncèrent au parlement de Paris qui, moins par zèle pour la religion dominante que par aversion pour toute espèce d'innovation ou de progrès en matière de foi comme en politique, s'empressa d'appliquer aux prévenus les lois barbares. de Philippe-Auguste et de Louis IX. Briçonnet eut hâte d'abjurer ses projets de réforme, les prédicateurs s'enfuirent; mais les cardeurs de laine, persévérant courageusement dans la foi qu'ils avaient embrassée, offrirent à Dieu, selon l'expression de Théodore de Bèze, les prémices des martyrs de l'Église protes

tante de France.

A cette époque cependant, la Cour ne paraît avoir conçu aucune inquiétude des progrès de la Réforme, soit qu'elle n'y vît pas de danger réel pour l'Église catholique, soit plutôt qu'elle ne fût pas fâchée de donner quelques soucis à Adrien VI, qui était entièrement dévoué aux intérêts de son ancien élève, l'empereur Charles-Quint. On rapporte même qu'en 1524, François Ier permit de jouer en sa présence une espèce de mystère où le pape et les moines étaient tournés en dérision. Mais lorsqu'il eut été fait prisonnier à la bataille de Pavie, en 1525, la régente sentit combien il lui importait de ménager le SaintSiége; elle autorisa la publication d'une bulle de Clément VII, lancée contre les hérétiques (Pièces justif. N° 1), et pour don

ner l'exemple du zèle, elle fit brûler deux de ces malheureux à Paris.

Loin d'arrêter la marche de la Réforme, la persécution ne servit qu'à la répandre plus rapidement. « La Réforme, dit Sismondi, s'avançait par deux routes différentes; elle gagnait des partisans parmi les classes pauvres et laborieuses, par une conséquence du besoin de croire et d'espérer, qui dispose à la religion les malheureux et qui n'était nullement satisfait par un clergé haïssable et méprisable; elle s'étendait en même temps dans la classe aisée et intelligente par le besoin de s'éclairer, par la faculté naissante d'examiner, par la répugnance qu'éprouvait la raison pour des doctrines absurdes et contradictoires. » François Ier fut rendu à la liberté en 1526. Son premier soin, en rentrant dans ses États, fut de modérer l'ardeur persécutrice de la Sorbonne, qui était allée jusqu'à intenter un procès à Érasme; mais ses dispositions favorables jusque-là aux réformateurs changèrent lorsque leurs disciples, s'abandonnant imprudemment à leur enthousiasme, commencèrent à s'attaquer, non plus aux vices des prêtres et des moines que le roi haïssait, ou bien à des dogmes abstraits dont il se souciait assez peu, mais aux images. Ignorant et superstitieux, il vit dans ces profanations un attentat contre la divinité elle-même ; jaloux à l'excès de son pouvoir, il prêta trop facilement l'oreille aux prélats qui lui représentaient les novateurs comme de dangereux révolutionnaires, et il poursuivit les Réformés avec une rigueur dont il n'y avait point encore eu d'exemple sous son règne. Cependant soit qu'il eût cédé aux instances de sa sœur Marguerite ou de sa maîtresse, qui toutes deux protégeaient la Réforme, soit qu'il eût senti la nécessité de traiter moins sévèrement les Protestants français au moment où il cherchait à s'allier avec la Ligue de Smalcalde, il mit bientôt un terme à cette première persécution. L'union étroite qu'il venait de contracter avec Henri VIII, roi d'Angleterre, et les griefs personnels qu'il croyait avoir contre le pape, ne furent pas étrangers non plus à ce changement de po

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