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En vain une fière déesse
D'Énée a résolu la mort;
Ton secours, puissante sagesse,
Triomphe des dieux et du sort.
Par toi Rome au bord du naufrage
Jusque dans les murs de Carthage
Vengea le sang de ses guerriers,
Et suivant tes divines traces,
Vit au plus fort de ses disgrâces
Changer ses cyprès en lauriers.

Rousseau.

Les autres odes de Rousseau sont dans le même goût, tant les sacrées que les profanes; on n'a qu'à les consulter, si on en a la facilité. Celle-ci est un exemple pour les autres, et un modèle du genre sublime.

Ode sur la canonisation des saints Stanislas Kotska et
Louis de Gonzague.

De l'Éternel s'ouvre le trône;
Les anges saisis de respect,
De la splendeur qui l'environne
Ne peuvent soutenir l'aspect.
Mais quoi! vers ce trône terrible
A tout mortel inaccessible,
Dans un char plus brillant que l'or,
Par une route de lumière,
Quittant la terrestre carrière,
Deux mortels vont prendre l'essor.

Volez, vertus, et sur vos ailes
Enlevez leur char radieux;
Jusqu'aux demeures immortelles,
Portez ces jeunes demi-dieux.
Ils vont la main de la victoire
Les conduit au rang que la gloire
Au ciel dès long-temps leur marqua.
Frappé de cent voix unanimes,
L'air porte au loin les noms sublimes
Et de Gonzague et de Kotska.

Sur des harpes majestueuses
A l'envi les célestes chœurs

Chantent les flammes vertueuses
Qui consumèrent ces deux cœurs,
Leur jeunesse sanctifiée,
La fortune sacrifiée,

Les sceptres foulés sous leurs pas.
Plus héros que ceux de leur race,
A l'héroïsme de la grâce

Ils consacrèrent leurs combats.

Tout le ciel ému d'allégresse
Chante ses nouveaux habitans;
La religion s'intéresse

A leurs triomphes éclatans.
La vérité leur dresse un trône;
La candeur forme leur couronne
De myrtes saints toujours fleuris ;
Et dans cette fête charmante
Chaque vertu retrouve et vante
Ses plus fidèles favoris.

Qu'offrais-tu, profane Élysée?
Des plaisirs sans vivacité
Dont la douceur bientôt usée
Ne laissait qu'une oisiveté;
Vains songes de la poésie!
Le ciel offre à l'âme choisie
Un bonheur plus vif, plus constant,
Dans les délices éternelles

Qui conservent, toujours nouvelles,
Le charme du premier instant.

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Sans vous coûter de vains regrets.
Vous tombez dans la nuit profonde
Trop tôt pour l'ornement du monde,
Trop tard encor pour vos souhaits.

Dans les célestes tabernacles
Transmis des portes du trépas,
Touchez, changez par vos miracles
Ceux qui n'en reconnaissent pas.
Que Dieu par des lois glorieuses
Change en palmes victorieuses
Les cyprès de vos saints tombeaux,
Et que vos cendres illustrées,
De la foi morte en nos contrées,
Viennent rallumer les flambeaux.

Fiers conquérans, héros profanes,
Pendant vos jours, Dieux adorés,
Que peuvent vos coupables mânes?
Vos sépulcres sont ignorés.
Par le noir abîme engloutie,
Votre puissance anéantie
N'a pu survivre à votre sort,
Tandis que de leur sépulture,
Les saints régissent la nature
Et brisent les traits de la mort.

Peuples, dans des fêtes constantes,
Renouvelez un si beau jour;
Prenez vos lyres éclatantes,

Chantres saints du céleste amour :

Répétez les chants de louanges
Que l'unanime voix des anges
Consacre aux nouveaux immortels;
Et

que sous ses voûtes sacrées De fleurs leurs images parées Prennent place sur nos autels.

Gresset.

CHAPITRE VI.

Du sublime des pensées et des sentimens.

-LE sublime dont il s'agit n'est autre chose que le vrai et le nouveau réunis dans une grande idée, et exprimés avec élégance et précision: il se peut trouver dans une seule pensée, dans une seule figure, dans un seul tour de paroles qui présente quelque trait vif et frappant; comme dans ce récit de Moyse: Dieu dit : Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite (1).

D'où naît ici le sublime? C'est sans doute de ce sangfroid, de cette simplicité avec laquelle Moyse parle du plus beau moment du monde, du moment de la création. C'était sans doute sur ce ton que Moyse en devait parler. Accoutumé aux merveilles de Dieu, fait de longue main aux traits de sa puissance, ce beau moment était pour lui une chose tout unie, toute simple; aussi ne voyez-vous aucune marque d'étonnement dans sa narration : c'est là précisément ce qui produit le nôtre, et ce qui nous jette dans l'admiration. C'est l'effet que l'on doit trouver dans tous les traits du sublime, sans quoi il ne mériterait pas le beau nom qu'on lui a donné. Il en est de même de ces paroles que Dieu à dites à Job: Où étiez-vous, lorsque j'établissais la terre sur ses fondemens, lorsque les astres du matin me louaient d'un commun accord (2)? ou dans cette parole d'Ajax : Grand Dieu, rends-nous le jour et combats contre nous! En un mot, le sublime dans le genre dont nous parlons, n'est autre chose que l'expression courte et vive de tout

Gen. 3r.
Job, ch. 38.

ce qu'il y a dans une ame de plus grand et de plus superbe ; il doit marquer la hauteur et l'élévation du caractère de celui qui parle, et produire en nous une certaine admiration mêlée d'étonnement et de surprise : car il faut remarquer que l'étonnement est un sentiment qui est d'un grand prix pour nous. Au milieu de notre bassesse, nous nourrissons tous un sentiment de grandeur et de bouffissure. Tout ce qui excède nos forces, tout ce qui passe notre pouvoir, réveille notre admiration: or, une manière de peindre vivement un sentiment en peu de paroles, produit en nous cet effet, et c'est ce que nous appelons le vrai sublime. Il est aisé d'en sentir la raison, si l'on fait attention qu'il n'y a rien de si rapide que le mouvement avec lequel nos idées se présentent; les expressions, quelque énergiques qu'elles puissent être, les affaiblissent, et ne les rendent jamais à notre gré; mais quand par bonheur un mot ou deux mots peignent vivement un sentiment, nous sommes ravis, parce qu'alors le sentiment a été peint avec la même vitesse qu'il a été exprimé, qu'il en est plus vif de ce qu'il est resserré ; et comme toute sa chaleur est réunie, il la conserve tout entière.

Dans la pastorale d'Acis et de Galatée (1), Polyphème voyant qu'Acis son rival avait pris la fuite avec Galatée et ne sachant ce qu'ils étaient devenus, exhale sa fureur jalouse en ces termes :

Quel chemin ont-ils pris, ces amans trop heureux?
Sans doute Jupiter s'intéresse pour eux.

*

Qu'il se montre, ce Dieu que l'univers révère,

* C'est un objet digne de ma colère.

* Je l'attends. Mais il craint de paraître à mes yeux;
* Et croit braver ma rage, enfermé dans ses cieux.
* J'y monterai malgré l'effort de son tonnerre.
J'entasserai ces monts pour aller jusqu'à lui;

Et ferai plus trembler tout l'Olympe aujourd'hui
Que ne firent jadis les enfans de la terre.

(1) Pastorale héroïque dont les paroles sont de M. de Campistron, et la musique de M. de Lully.

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