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Voici la réponse de Titus :

Oui, mais j'en suis comptable à tout le monde :
Comme dépositaire il faut que j'en réponde.
Un monarque a souvent des lois à s'imposer:
Et qui veut pouvoir tout, ne doit pas tout oser.

Titus et Bérénice, de Corneille.

Viriate, reine de Portugal, s'exprime de la manière suivante en parlant de Sertorius, général du parti de Marius en Espagne. Il est bon de savoir que la faction de Sylla l'avait emporté sur celle de Marius, en sorte que tous les partisans de ce dernier avaient été obligés de prendre la fuite et de s'exiler de l'Italie; mais Sertorius, qui était un grand homme de guerre, se soutint vaillamment en Espagne et battit souvent Pompée, qu'il appelait un écolier de Sylla.

Ce ne sont point les sens que mon amour consulte :
Il hait des passions l'impétueux tumulte;

Et son feu que j'attache aux soins de ma grandeur,
Dédaigne tout mélange avec leur folle ardeur.
J'aime en Sertorius ce grand art de la guerre
Qui soutient un banni contre toute la terre;
J'aime en lui ces cheveux tout couverts de lauriers,
Ce front qui fait trembler les plus braves guerriers,
Ce bras qui semble avoir le mérite en partage.
L'amour de la vertu n'a jamais d'yeux pour l'âge;
Le mérite a toujours des charmes éclatans,
Et quiconque peut tout est aimable en tout temps.

Sertorius, de Corneille.

Rhadamiste, dont on a parlé ci-dessus, ayant appris que son frère Arsame aimait Zénobie (celui-ci igno rait que Rhadamiste fût son époux), fait connaître qu'il est agité par des soupçons injurieux à Zénobie. C'est alors que cette princesse lui déclare qu'elle est prête à partir avec lui, et qu'elle ira où il voudra.

Prince (1), après cet aveu je ne vous dis plus rien :
Vous connaissez assez un coeur comme le mien,
Pour croire que sur lui l'amour ait quelque empire.
Mon époux est vivant, ainsi ma flamme expire.
Cessez donc d'écouter un amour odieux,

Et surtout gardez-vous de paraître à mes yeux.
Pour toi (2), dès que la nuit pourra me le permettre,
Dans tes mains, en ces lieux, je viendrai me remettre :
Je connais la fureur de tes soupçons jaloux ;

Mais j'ai trop de vertu pour craindre mon époux.

C'est dans ce dernier vers que réside le sentiment sublime; il est inutile d'ajouter ici aucune réflexion pour le faire comprendre. Il y a des choses qu'il est plus facile de sentir que d'exprimer. Telle est cette pensée de Zénobie, dont les personnes de bon goût connaîtront toute la beauté.

Dans la tragédie d'Héraclius, par Corneille, il est un temps où un faux billet de l'empereur Maurice jette dans l'erreur des principaux personnages de cette pièce. C'est à cette occasion que Pulchérie, croyant que Martian, qu'elle aimait, était le véritable Héraclius, et se trouvant par-là être son frère, fait éclater toute la deur de ses sentimens en ces termes :

Ce grand coup m'a surprise, et ne m'a point troublée;
Mon ame l'a reçu sans en être accablée;

Et comme tous mes feux n'avaient rien que de saint,
L'honneur les alluma, le devoir les éteint.

Je ne vois plus d'amant où je rencontre un frère,
L'un ne peut me toucher ni l'autre me déplaire :
Et je tiendrai toujours mon bonheur infini,
Si les miens sont vengés et le tyran (3) puni,

gran

C'est à l'occasion de cette même erreur Mar, que tian, fils de Phocas, croit être le véritable Héraclius; et comme il en prit le nom aussitôt, et qu'il se disait tel

(1) Elle parle à Arsame.

(2) Rhadamiste.

(3) Phocas, meurtrier de l'empereur Maurice, père de Pulchérie.

à Phocas, ce tyran le menaçait de la mort. C'est dans ces circonstances que Martian parle ainsi à Phocas :

J'entends donc mon arrêt sans qu'on me le prononce;
Héraclius mourra comme a vécu Léonce (1).
Bon sujet, meilleur prince, et ma vie et ma mort
Rempliront dignement et l'un et l'autre sort.
La mort n'a rien d'affreux pour une ame bien née :
A mes côtés pour toi je l'ai cent fois traînée,
Et mon dernier exploit contre tes ennemis,
Fut d'arrêter son bras qui tombait sur ton fils.

Héraclius.

(1) Le vrai Martian passait pour Léonce, et le vrai Héraelius

Martian.

pour

CHAPITRE VII.

Des scènes célèbres.

AVANT de rapporter quelques scènes brillantes de nos poëtes les plus célèbres, on a cru devoir donner une idée du caractère des deux grands hommes qui ont si fort illustré le théâtre français; nous commencerons par celui de Corneille.

Avant M. de Corneille, la France n'avait rien vu sur la scène du sublime, ni même, pour ainsi dire, de raisonnable. Ce grand homme, guidé par son seul génie, étudia les grands maîtres de l'antiquité qui avaient traité cette matière, et joignant ses propres réflexions aux connaissances qu'il puisa chez eux, il se fraya des routes qu'on avait ignorées jusqu'alors. Dédaignant fièrement le faux goût de son siècle qui régnait dans les pièces de ceux qui l'avaient précédé (1) « il se forma une haute idée » de la tragédie, et il comprit de bonne heure que les plus grands intérêts devaient en être les uniques res» sorts. » Peignant donc ses caractères d'après l'idée de cette grandeur romaine dont il était si bien rempli, il la mit en œuvre avec tout le succès que ses heureux talens pouvaient lui promettre. Il forma ses figures plus grandes, à la vérité, que le naturel, mais nobles, hardies, admirables dans toutes leurs proportions; et comme la pompe des vers lui était naturelle, il revêtit de leur harmonie les sentimens qu'il donna à ses héros, et répandit sur tous ses grands tableaux des grâces fières et sublimes.

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(1) Ce qui est marqué par des guillemets est pris des réflexions de M. de Fontenelle dans la vie de Corneille.

On admira la richesse de ses expressions, l'élévation de ses pensées, et la manière impérieuse dont il maniait, pour ainsi dire, la raison humaine.

Le succès de ses premières pièces tragiques fut si prodigieux, que les lecteurs, autant que les spectateurs, se sentirent transportés pour lui d'une admiration qui alla, pour ainsi parler, jusqu'à l'idolâtrie. Ses vers étaient dans la bouche de tout le monde, et cela est beau comme le Cid était une louange qui avait passé en proverbe. L'ingénieux (1) auteur de sa vie nous apprend " que M. de >> Corneille avait dans son cabinet cette pièce traduite en » toutes les langues de l'Europe, hors l'esclavonne et » la turque. » Tout le monde sait que cette célèbre pièce excita la jalousie du cardinal de Richelieu. Ce ministre dont le nom sera immortel, par une faiblesse qu'on ne sait comment allier avec ses grandes qualités, y voulait joindre celle de faire des pièces de théâtre; il engagea donc l'Académie française à porter un jugement sur le Cid, relativement à la critique qu'en avait faite M. de Scudéry. Comment refuser un ministre qui protégeait les talens et qui remuait à son gré toute l'Europe? Cependant les hommes sages qui furent chargés de cette critique « vinrent à bout de conserver tous les égards

qu'ils devaient d'un côté à un si grand homme, qui >> ne cessait de l'être qu'en cela seul, et de l'autre à » l'estime prodigieuse que le public avait conçue du » Cid. L'Académie satisfit le cardinal, dit M. de Fonte» nelle, en reprenant exactement tous les défauts de cette pièce, et le public, en même temps, en les reprenant avec modération, souvent même avec louange. De là on fit cette remarque, que si la plus belle pièce du théâtre était le Cid, la plus saine critique qui eût jamais été faite, était celle du Cid.

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On peut dire enfin de Corneille, « qu'il a donné le » premier les véritables règles du poëme dramatique, qu'il a découvert les vraies sources du beau, et qu'il les a ouvertes à tout le monde. » Il a jeté le sublime dans

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(1) M. de Fontenelle.

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