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La toile est animée et le marbre respire.
Quels sages (1) rassemblés dans ces augustes lieux,
Mesurent l'univers et lisent dans les cieux;
Et dans la nuit obscure apportant la lumière,
Sondent les profondeurs de la nature entière!
L'erreur présomptueuse à leur aspect s'enfuit,
Et vers la vérité le doute les conduit.

Et toi, fille du ciel, toi, puissante harmonie,
Art charmant qui polis la Grèce et l'Italie,
J'entends de tous côtés ton langage enchanteur,
Et tes sons souverains de l'oreille et du cœur.
Français, vous savez vaincre et chanter vos conquêtes :
Il n'est point de lauriers qui ne couvrent vos têtes.
Un peuple de héros va naitre en ces climats.

Je vois tous les Bourbons voler dans les combats.
A travers mille feux, je vois Condé paraître,
Tour à tour la terreur et l'appui de son maître.
Turenne, de Condé le généreux rival,

Moins brillant, mais plus sage, et du moins son égal.
Catinat réunit par un rare assemblage

Les talens du guerrier et les vertus du sage.
Celui-ci dont la main renfermit nos remparts,
C'est Vauban, c'est l'ami des vertus et des arts.
Malheureux à la cour, invincible à la guerre,
Luxembourg de son nom remplit toute la terre.
Regardez dans Denain l'audacieux-Villars
Disputant le tonnerre à l'aigle des Césars,
Arbitre de la paix que la victoire amène,
Digne appui de son roi, digne rival d'Eugène.
Quel est ce jeune prince (2) en qui la majesté
Sur son visage aimable éclate sans fierté?
D'un œil indifférent il regarde le trône.

Ciel! quelle nuit soudaine à mes yeux l'environne!
La mort autour de lui vole sans s'arrêter;

Il tombe au pied du trône étant près d'y monter.
O mon fils! des Français vous voyez le plus juste;
Les cieux le formeront de votre sang auguste.
Grand Dieu! ne faites-vous que montrer aux humains
Cette fleur passagère, ouvrage de vos mains?
Hélas! que n'eût point fait cette ame vertueuse!
La France sous son règne eût été trop heureuse.
Il eût entretenu l'abondance et la paix;
Mon fils, il eût compté ses jours par ses bienfaits;

(1) L'Académie des sciences.

(2) M. le duc de Bourgogne, père de Louis XV.

Il eût aimé son peuple. O jours remplis d'alarmes !
O combien les Français vont répandre de larmes!
Quand sous la même tombe ils verront réunis
Et l'époux et la femme, et la mère et le fils!
Un faible rejeton sort entre les ruines

De cet arbre fécond coupé dans ses racines.
Les enfans de Louis descendus au tombeau

Ont laissé dans la France un monarque au berceau (1).

Henriade, de Voltaire.

On regarde avec raison comme un point essentiel de l'éducation des jeunes gens, qu'ils soient instruits de l'histoire de France, et on met entre leurs mains des abrégés de cette histoire. On ne peut que louer ceux qui tiennent une pareille conduite; mais on peut dire que si on leur faisait apprendre le morceau qu'on vient de rapporter, ce serait contribuer à perfectionner cette connaissance dans leur esprit, et leur fournir en même temps une voie aussi commode qu'agréable, de graver pour toujours dans leur mémoire les traits les plus éclatans de l'histoire de France.

Portrait de Catherine de Medicis, femme de Henri II, roi de France, et mère des rois François II, Charles IX et Henri III.

Dans l'ombre du secret depuis peu Médicis
A la fourbe, au parjure, avait formé son fils (2);
Façonnait aux forfaits le cœur jeune et facile
De ce malheureux prince à ses leçons docile...
Son époux expirant dans la fleur de ses jours,
A son ambition laissait un libre cours.

Chacun de ses enfans, nourri sous sa tutelle,
Devint son ennemi dès qu'il régna sans elle.
Ses mains autour du trône avec confusion

Louis XV.
Charles IX.

Semaient la jalousie et la division:

Opposant sans relâche avec trop de prudence
Les Guises aux Condés, et la France à la France;
Toujours prête à s'unir avec ses ennemis,
Et changeant d'intérêts, de rivaux et d'amis;
Esclave des plaisirs, mais moins qu'ambitieuse,
Infidèle à sa secte et superstitieuse;

Possédant en un mot, pour n'en pas

dire plus,

Les défauts de son sexe et peu de ses vertus.

Henriade.

Portrait du duc de Guise, sous le règne de Henri III.

On vit paraître Guise et le peuple inconstant
Tourna d'abord ses yeux vers cet astre éclatant.
Sa valeur, ses exploits, la gloire de son père,
Sa grâce, sa beauté, cet heureux don de plaire,
Qui mieux que la vertu fait régner sur les cœurs,
Attiraient tous les voeux par leurs charmes vainqueurs.
Nul ne sait mieux que lui le grand art de séduire;
Nul sur ses passions n'eut jamais plus d'empire,
Et ne sut mieux cacher sous ses dehors trompeurs
Des plus vastes desseins les sombres profondeurs.
Impérieux et doux, cruel et populaire,
Des peuples en public il plaignait la misère,
Détestait des impôts le fardeau rigoureux :
Le peuple allait le voir, et revenait heureux.
Souvent il prévenait la timide indigence :
Ses bienfaits dans Paris annonçaient sa présence.
Il savait captiver les grands qu'il haïssait :
Terrible et sans retour alors qu'il offensait;
Téméraire en ses vœux, souple en ses artifices,
Brillant par ses vertus et même par ses vices;
Connaissant les périls, et ne redoutant rien,
Heureux guerrier, grand prince et mauvais citoyen.

Henriade.

Portrait de l'Envie et de divers autres vices.

Le poëte fait la peinture de l'Envie et des différens vices. C'est dans l'endroit de la Henriade où Saint-Louis

transporte Henri IV aux Champs-Élysées et aux autres demeures des enfers, imaginées par les poëtes.

Là gît la sombre Envie à l'œil timide et lauche,
Versant sur des lauriers les poisons de sa bouche:
Le jour blesse ses yeux dans l'ombre étincelans:
Triste amante des morts, elle hait les vivans.
Elle aperçoit Henri, se détourne, soupire.
Auprès d'elle est l'orgueil qui se plaît et s'admire :
La faiblesse au teint pâle, aux regards abattus,
Tyran qui cède au crime, et détruit les vertus:
L'ambition sanglante, inquiète, égarée,

De trônes, de tombeaux, d'esclaves entourée:
La tendre hypocrisie aux yeux pleins de douceur;
Le ciel est dans ses yeux, l'enfer est dans son cœur :
Le faux zèle étalant ses barbares maximes;

Et l'intérêt enfin, père de tous les crimes.

Henriade, de Voltaire.

II

CHAPITRE V.

Du genre sublime, ou du sublime en général.

y a deux sortes de sublimes, le sublime des images ou des idées grandes et magnifiques, et le sublime des pensées ou des sentimens. Nous allons d'abord parler de ce premier genre de sublime, l'autre suivra immédiate

ment.

Du sublime des Images.

Le sublime des images est ordinairement soutenu par des expressions nobles et pompeuses : il se rencontre dans des discours étendus et dans des endroits amplifiés où la briéveté ne saurait régner, il peut même dominer dans toute une pièce de poésie, dans une narration, dans une description, dans une scène brillante et majestueuse. On en peut voir des exemples dans plusieurs morceaux que nous avons déjà mis sous les yeux. Mais il ne faut pas croire que le sublime consiste dans de grands mots assemblés au hasard, ce ne serait alors qu'une vaine enflure de paroles, et ce qu'on appelle un discours empoulé. Un homme de goût est en garde contre ce défaut; il évite pareillement celui qui lui est opposé, selon le précepte d'Horace: projicit ampullas et sesquipedalia verba (1). Le vrai sublime consiste. dans une manière de penser noble, grande et magnifique; il suppose dans

(1) Art poétique.

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