Images de page
PDF
ePub

guent sous le rapport des mœurs, du caractère, des habitudes sociales, de toute leur manière d'être en un mot, suffisamment de leurs voisins français et allemands, pour n'être pas, en cas de rupture entre ces voisins, entraînées par des souvenirs ou des sympathies, fondés sur la communauté d'origine, à se joindre à l'un de ces peuples, pour combattre l'autre. Dans une guerre nationale entre la France et l'Allemagne, la Belgique peut s'abstenir de prendre parti, sans manquer à aucun des sentiments d'intérêt et de fraternité qu'une même origine ou une longue réunion font naître dans le cœur des peuples. Il en est de même d'une guerre de principes. L'organisation intérieure, les institutions que la Belgique s'est données, lui assurent une somme de libertés plus grande que celle possédée par aucun autre État en Europe, tout en lui permettant de

concilier ces libertés avec les intérêts de l'ordre et de la stabilité. L'opinion la plus avancée doit convenir que sous ce rapport il reste peu à désirer au pays. Grâce à cette circonstance la Belgique peut rester spectatrice tranquille et indifférente de la lutte, si jamais l'antagonisme des deux principes qui se partagent le monde, amène une guerre. Parfaitement désintéressée dans la question, elle ne peut jamais gagner mieux qu'elle ne possède, en suivant le drapeau de la révolution, et perdrait jusqu'à sa nationalité en se rangeant sous celui de l'absolutisme.

IV.

Il résulte des considérations qui précèdent que la Belgique pouvait accepter la neutralité perpétuelle, sans nuire à ses intérêts et sans compromettre en quoi que ce soit son avenir. Avant de passer à l'examen des obligations et des droits que ce régime crée pour elle dans l'ordre politique, il est nécessaire de porter notre attention sur quelques objections qui ont été faites contre la neutralité en elle-même et contre la possibilité de la maintenir. Nous allons reproduire aussi fidèlement que possible les diverses opinions qui ont été émises à cet égard, en nous servant, autant que cela peut se faire, des termes mêmes que leurs auteurs ont employés, et montrer ensuite ce qui dans ces opinions nous parait inexact ou dénué de fondement.

La première de ces opinions prend à son origine la condition politique qu'on a donnée à la Belgique, et n'y trouve qu'un expédient pour échapper aux complications et aux embarras

[ocr errors]

du moment, sans valeur absolue et indépendante des circonstances qui accompagnèrent sa création. «C'est à la suite de » la révolution de Juillet, dit-elle (1), lorsque l'Europe était » menacée d'un débordement des idées révolutionnaires et » d'une guerre de principes, que les représentants des grandes » Puissances concurent l'idée de constituer la Belgique en État » neutre. Cette idée leur fut suggérée par le besoin d'échapper » aux événements que n'aurait pu manquer d'amener la consti» tution de la Belgique en État indépendant, mais alliée poli» tiquement à une autre Puissance. Ce fut, on peut le dire, plutôt un expédient qu'autre chose. Il est plus que probable qu'au moment où la conférence de Londres proclamait la » neutralité de la Belgique, elle ne croyait pas cette neutralité possible; mais en la proclamant, elle éloignait la guerre, » elle affranchissait pour le moment l'Europe de cet affreux » malheur, et à cette époque c'était là le point important. On » commence à reconnaître aujourd'hui que la conservation de » la neutralité belge n'est plus un problème insoluble, une impossibilité. Depuis 1840 on est disposé à croire que la Belgique peut trouver, dans la position que les traités lui » ont faite et par ses propres ressources, le moyen de rester à » l'écart dans une guerre générale entre les grandes Puissan» ces, si l'Europe était encore destinée à subir un tel fléau. » D'après une autre opinion, assez répandue et souvent exposée, la neutralité de la Belgique n'est pas une chose sérieuse, ce n'est qu'un mot, sans portée et sans valeur. On peut bien la proclamer pendant la paix, mais au premier signal de guerre, elle tombe d'elle-même, et le pays, quant à la part qu'il peut

[ocr errors]
[ocr errors]

(1) Cette opinion a été mise en avant surtout dans la presse politique. C'est au journal l'Indépendant (année 1845, no 95) que nous empruntons le passage qui en contient l'expression.

[ocr errors]

vouloir ou ne pas vouloir y prendre, se trouve, de fait, aussi libre et aussi maître de sa politique que tout autre gouvernement. Voici le raisonnement sur lequel on s'appuie pour émettre cette étrange doctrine : «Aussi longtemps que la paix règne (1), » la neutralité de la Belgique est une chose réelle et incontestable, mais aussi une chose dépourvue de toute valeur parti» culière; je ne sache pas quelle différence on pourrait trouver, » durant la paix, entre la Belgique neutre et un État non neutre quelconque, d'une égale importance politique; à moins tou» tefois que, d'après ce qu'on dit s'être passé, au sujet du projet » d'union de douanes entre la Belgique et la France, on ne pût. prétendre qu'un État neutre est moins libre dans le choix de

[ocr errors]
[ocr errors]

>> ses relations et de ses alliances, même commerciales, que tout

» autre, ce qui ne serait certes pas propre à rendre à la Belgique sa neutralité plus précieuse.

[ocr errors]
[ocr errors]

» Dans le doute abstenons-nous et admettons que la neutra

lité, pendant la paix, est une chose sinon bonne, au moins » non fàcheuse.

>> Mais supposons que la guerre éclate et voyons ce que devient >> alors la neutralité et de quelle utilité, de quelle défense elle » peut être par elle-même pour la nation dont elle aura été l'enseigne pendant la paix.

[ocr errors]

» La paix c'est le règne des traités; la guerre c'est leur annu»lation. Il est impossible en effet de concevoir une guerre, » s'allumant au sein de l'Europe, qui ne déchirerait point et » les traités de 1814 et 1815 et ceux de 1839 qui, les uns et » les autres, lient entre elles toutes les Puissances de l'Europe, » sans exception, ou à l'exception seule de la Turquie et de » la Grèce.

(1) Voyez Revue militaire belge, tome III, 3me livraison, 1843, p. 133.

" Mais que deviendrait alors la neutralité de la Belgique, effet » du traité de 1839? Évidemment l'effet aurait le sort de la » cause, il serait annulé.

[ocr errors]
[ocr errors]

» Donc au moment où une guerre éclaterait, la Belgique serait » à peu près dans la situation politique de la Sardaigne, de la » Suède, du Danemarck, des Pays-Bas, enfin de tous les Étas indépendants de l'Europe non compris dans la confédération germanique; et elle aurait comme eux ou à rester neutre, si » on le lui permettait, ou à choisir ses alliances, si elle devait » être entraînée dans la sphère d'action de la guerre. N'ac»corder à la question de paix ou de guerre pour la Belgique » que le caractère d'une éventualité, c'est admettre que la » guerre éclatant en Europe, la Belgique pourrait conserver sa neutralité, pourrait être reconnue neutre par les parties belligérantes. Mais cette reconnaissance serait un fait nouveau, » devant sortir de conventions nouvelles, et ces conventions » elles-mêmes dépendraient, sans aucun doute, surtout quant » à la mesure des avantages qu'elles feraient ou conserveraient à » la Belgique, des conditions d'existence dans lesquelles celle-ci » se trouverait alors, du poids et de la valeur militaire, qu'on » lui reconnaîtrait. »

[ocr errors]

Il est facile de démontrer que ces opinions sont erronées et manquent tout à fait de fondement. La première, celle qui ne voit dans la neutralité qu'un expédient, pour prévenir des complications momentanées, méconnait essentiellement la véritable nature de cette condition, en ne comprenant pas que loin d'avoir un caractère passager, la neutralité de la Belgique répond plutôt à un besoin permanent, à une exigence absolue du système politique de l'Europe, et que sans elle l'érection du pays en État indépendant eût été impossible. A part cela, il est inexact de dire que la proclamation de la neutralité ait empêché

« PrécédentContinuer »