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trichiens, lombards, italiens; ils ont pris l'emprunt turc, l'emprunt italien et, ce qui est fort instructif, si on leur défendait les opérations françaises, on les encourageait aux opérations étrangères en permettant à celles-ci de se faire coter à la Bourse de Paris.

En vérité, il n'est pas de pays qui ait accumulé tant de fautes à la fois contre le crédit et le développement du travail. Et notons en même temps ce fait, ce fait le plus considérable qu'ait vu se produire l'époque actuelle, c'est que pendant que se prenaient toutes ces précautions contre le développement du travail dans la crainte prévoyante de la réaction, on introduisait chez nous le régime de la liberté des échanges qui, à lui seul, est le remède qu'on cherche avec tant de peines et qui, sans tout ce fatras de restrictions, d'empêchements, d'entraves, de mesures de prévoyance, réduit à l'état de chimères les catastrophes attribuées à l'abus de la production. L'abus de la production! y a-t-il rien qui démontre l'ignorance des choses économiques comme cet étrange assemblage de mots?

Mais revenons aux sociétés en commandite dont s'occupe M. Blaise. Sa brochure analyse les opinions émises par M. l'avocat général Blanche et par M. Denière, président du tribunal de commerce. Puisque M. Blaise en fait l'éloge, il va sans dire que, dans leurs discours si remarquables, les deux magistrats appellent de tous leurs vœux un régime plus libre, en cherchant à le provoquer de leurs arguments. M. Blaise donne aussi l'analyse de la dernière loi anglaise sur les limited societies, et enfin il trace lui-même à grands traits l'esquisse d'une loi sur ces sortes d'associations. Nous conseillons à tous ceux que cette question intéresse de lire le travail de M. Blaise; ils auront une idée nette et précise de ce qui a été fait et de ce qui est à faire.

Pour notre compte, cependant, il nous semble que dans tous ces projets, et même dans la nouvelle loi anglaise, il est un intérêt dont on ne s'est pas assez préoccupé, c'est celui des tiers. On a discuté après les abus des gérants, après les pertes des actionnaires; on a cherché, sans le trouver, c'est évident, à concilier la responsabilité du gérant avec l'immixtion, dans les affaires de la société, des simples commanditaires. Le premier veut bien être responsable, mais à la condition qu'il dirigera, et c'est fort naturel; les deuxièmes demandent à diriger, mais à la condition qu'ils ne seront pas responsables, et comme c'est là une question insoluble, on propose :

1 Dans quelques projets français, que personne n'encourra de responsabilité;

2 Dans la loi anglaise, qu'on n'encourra qu'une responsabilité qui sera fixée d'avance, et dont tout le monde connaîtra le chiffre.

Il va sans dire que M. Blaise n'admet pas ces conclusions sans restrictions. Nous avouons, à notre tour, en toute humilité, que ces solutions ne nous satisfont pas. Lorsque la loi anglaise a été élaborée, la commission royale qui s'est adressée à tous les hommes de bonne volonté, a bien voulu nous adresser aussi une série de questions. Nous avons cru notre opinion de trop mince valeur pour oser la formuler et l'adresser à la commission royale; mais si nous l'avions fait, nous aurions dit qu'entre les intérêts des gérants et des actionnaires, il y a aussi des intérêts respectables, et ceux qu'il faut avant tout sauvegarder, à savoir les intérêts des créanciers, des hommes de bonne foi qui

commercent avec la société, lui vendent des produits, travaillent pour elle, lui prêtent des capitaux. Nous aurions dit, comme M. Blaise, qu'il arrive trop souvent que commanditaires et commandités font trop bon marché de ces intérêts, et qu'entre deux lois, la loi française anonyme qui ne reconnaît pas de personne responsable, et la loi anglaise Joint stock company, qui regarde comme responsables tous les intéressés, la moins mauvaise, et surtout et à coup sûr la plus morale, c'est la loi anglaise.

Dans la société en commandite, les tiers ont devant eux un homme qui est responsable vis-à-vis d'eux, non-seulement de la commandite qui lui est faite, mais de toute sa fortune, de sa liberté, de sa vie; quant aux commanditaires, qu'ils le jugent, puis après, qu'ils courent les bonnes et les mauvaises chances. Contrôler, c'est le droit des actionnaires, mais diriger serait un abus, et la loi a été sage de déclarer que cette direction c'est la responsabilité même.

L'espace nous manque pour analyser le chapitre que M. Blaise consacre aux agents de change. Il suffit de dire qu'il conclut à l'entière émancipation de leur industrie, et nous croyons que chaque jour nous rapproche de cette solution.

Mais, si dans cette question, M. Blaise diffère d'opinion avec le savant M. Blanche, il se rapproche de lui sur le terrain des instruments de crédit, ou en d'autres termes, représentations de valeurs, warrants, chèques, nantissements, intérêt libre des capitaux, etc.

Toutes ces questions abordées par M. Blanche et posées à leur véritable point de vue par M. Blaise seront, sans aucun doute, discutées par la commission des réformes des lois commerciales. M. Blaise a rendu un bon service à la science en les élucidant.

H. DUSSARD.

TURGOT PHILOSOPHE, ÉCONOMISTE ET ADMINISTRATEUR, par A. BATBIE. Ouvrage couronné par l'Institut. Paris, Cotillon. 1 vol. in-8°. 1861.

Il est des sujets qu'on ne se lasse pas d'étudier, auxquels on revient toujours de nouveau après un certain intervalle, dans l'espoir rarement déçu de découvr quelque recoin encore inexploré. De ce nombre, sont les grandes époques et les grands hommes. Tout n'a pas été dit sur le siècle qui commence en 1450 et finit en 1550, et qui vit l'invention de l'imprimerie, la découverte de l'Amérique et du chemin des Indes, la réforme, la renaissance des sciences et des arts et tant d'événements d'une incalculable portée. Épuisera-t-on jamais l'histoire des cent dernières années comprenant la deuxième moitié du XVII siècle et la première moitié du XIXe siècle?

De même, il est certains hommes dont les actions et les paroles ou les écrits ont un attrait tout particulier pour le penseur, et qui forment autant de points lumineux projetant une clarté bienfaisante sur les temps à venir; des hommes auprès desquels le publiciste, l'économiste, le philosophe, le moraliste aiment à chercher et où ils ne manquent pas de trouver conseil et encouragement. Or personne ne conteste à Turgot une place dans ce panthéon.

Ce qui donne un intérêt à part à la vie de Turgot, c'est qu'il fut non

seulement un esprit éminent, mais encore un grand citoyen. Sa biographie, mise à la portée des diverses classes de lecteurs, devrait être entre les mains des enfants comme des parents, dans la chaumière du paysan comme dans les bibliothèques des riches et des savants.

Ce temps arrivera. Déjà le nom de Turgot est populaire, et plusieurs esprits distingués se sont donné la tâche de le faire mieux connaître encore. Parmi eux, nous ne nommerons aujourd'hui que M. Batbie, dont l'ouvrage a reçu le prix dans le concours ouvert par l'Académie des sciences morales et politiques (1).

Le lecteur auquel s'adresse le Journal des Économistes connaît Turgot; nous n'avons donc pas à lui exposer, l'ouvrage de M. Batbie à la main, les doctrines et les idées de cet homme d'État. C'est plutôt cet ouvrage que nous devons analyser, et nous le faisons d'autant plus volontiers, qu'outre sa valeur intrinsèque, — valeur proclamée par des juges plus compétents que nous, — il a le mérite de faciliter l'étude du caractère et des opinions de Turgot.

Voici l'économie du livre de M. Batbie. Après une courte introduction, l'auteur donne une attachante biographie de Turgot. Il divise ensuite les matières en trois parties, savoir :

I. Doctrines philosophiques de Turgot, comprenant la métaphysique et la psychologie, la morale, la politique et la philosophie de l'histoire;

II. Doctrines économiques, chapitre dans lequel M. Batbie expose les opinions de Turgot sur le commerce, les impôts, la culture du sol, en un mot sur presque toutes les branches de l'économie politique;

III. Administration. Ici nous trouvons réuni tout ce qui se rattache à la gestion administrative de Turgot, comme intendant (préfet) ou comme ministre.

Des notes et des pièces diverses complètent l'œuvre.

Il ne faudrait pas croire que M. Batbie se borne à réunir avec méthode des extraits bien choisis des œuvres de Turgot, et qu'il se soit complétement effacé. Un travail ainsi entendu aurait sans doute eu un certain degré d'utilité, mais il n'aurait eu aucun charme, et les lacunes inévitables d'une collection d'aphorismes auraient pu produire des malentendus. M. Batbie a mieux fait. Une fois son cadre rationnellement disposé, il l'a rempli, pour ainsi dire, artistement. Il nous montre dans une narration claire et bien combinée, entremêlée de nombreuses citations, émaillée d'anecdotes curieuses ou peu connues, l'enchaînement des idées de Turgot, leurs relations avec les idées dominantes alors, les points dans lesquels elles concordaient et ceux par lesquels elles différaient, soit des doctrines philosophiques de Locke et de Condorcet, soit des théories politiques de Montesquieu, soit des principes économiques des physiocrates. M. Batbie apprécie et discute les idées qu'il expose et celles qu'il en rapproche, et si nous ne sommes pas toujours de l'avis de M. Batbie, nous devons cependant reconnaître qu'il juge en connaissance de cause.

Nous résistons avec peine à la tentation de rompre quelques lances avec M. Batbie; c'est un adversaire par lequel on peut être vaincu sans déshonneur,

(1) Prix institué par madame Léon Faucher pour perpétuer le souvenir de son mari.

et qu'on serait fier d'avoir désarçonné. Mais l'espace restreint dont nous disposons ne nous permet pas de discuter, et les matières dont il s'agit sont trop importantes pour qu'on puisse se contenter de quelques courtes observations.

D'ailleurs, plus il y a de ressemblance entre les opinions, plus il faut de mots pour marquer les nuances. C'est seulement quand on contredit carrément qu'on peut être bref. Un exemple fera comprendre notre pensée. La propriété est justifiée par les uns comme utile à la société, par les autres comme un droit basé sur la justice, etc., etc. M. Batbie dit : « L'argument, tel que nous l'avons développé, ne s'appuie pas sur l'utilité sociale, mais sur la nécessité (p. 119 en note). » Il revient sur ce point à un autre endroit de son livre (p. 257), mais sans donner de véritables arguments en faveur de la nécessité. Tous les arguments s'appliquent autant à l'utilité qu'à la nécessité, ce qui prouve qu'il s'agit ici de nuances peu tranchées.

Quant à nous, nous considérons la propriété comme basée sur la nature humaine, c'est-à-dire la propriété existe parce que l'homme a le sens de l'appropriation, comme il a le sens de l'égoïsme et de l'amour, la soif des jouissances matérielles et la soif du savoir, comme il a tant de qualités et tant de vices. Or, si notre manière de voir diffère beaucoup de la doctrine de l'utilité, elle paraît se confondre dans celle de la nécessité, et comment dire en peu de mots comment elle en diffère? Ne faudrait-il pas commencer par exposer ou faire connaître les points de la nature humaine sur lesquels la propriété est bâtie ? etc., etc.

Du reste, nos critiques auraient porté seulement sur un petit nombre de passages, tandis que l'éloge s'appliquerait à l'ensemble et à de nombreuses parties de l'œuvre. Nous signalerons seulement, à titre d'actualité, la discussion aussi sage que lumineuse de la théorie constitutionnelle que M. Batbie nous donne page 130 et suivantes.

En résumé, l'ouvrage dont nous avons donné une analyse peut-être trop succincte est de ceux qu'on est heureux de recommander, parce qu'ils sont à la fois utiles à la science et à la société.

MAURICE BLOCK.

CHRONIQUE ÉCONOMIQUE

SOMMAIRE.

Un mot sur l'année 1861. Restitution des prisonniers MM. Mason et Slidell à l'Angleterre. Aperçu du commerce de l'année 1860. Le commerce américain et l'Europe. Le courtage privilégié. Commission nommée pour l'examen de la question de la propriété littéraire et des droits des auteurs.

L'année 1861 inspirera peu de regrets. Elle a été une année de crises et de craintes perpétuelles : crise de commerce par suite de la guerre américaine; craintes de guerre de différents côtés et surtout par suite de l'incident anglo-américain. Mais, au point de vue des réformes

économiques, elle a eu sa fécondité. Elle a vu tomber deux des principales pierres de l'édifice protectionniste, l'échelle mobile et l'ancien système colonial. Le traité de commerce avec l'Angleterre a achevé de s'appliquer à nos transactions avec ce grand pays et s'est complété par un traité avec la Belgique, en attendant la levée des dernières difficultés avec le Zollverein. Jamais, on peut le dire, les prévisions de l'économie politique n'ont été si littéralement confirmées par les faits. Jamais les assertions protectionnistes n'ont reçu un aussi éclatant démenti. Nulle inondation de produits. Le coton, le fer et la houille, qui devaient être les grandes victimes sacrifiées à l'étranger, ont vu leur production se maintenir et leurs prix se soutenir ou s'élever. Quant à l'échelle mobile, son abolition a trouvé dans le déficit de la récolte une opportunité immédiate. Grâce à la liberté commerciale, les arrivages de blé ont été plus abondants que jamais, non de manière à peser sur notre agriculture, mais à empêcher la disette. Quant aux questions financières, nous n'en sommes qu'au prélude. Elles ont été posées, non résolues. Le seront-elles? Les aveux faits officiellement profiteront-ils à l'économie de nos finances et à l'équilibre de nos budgets? Du moins plus de publicité et de contrôle semblent le fruit inévitable de cette confession publique dont le Mémoire de M. Fould a été, vers la fin de l'année, le monument si curieux. La nouvelle année commence par la nouvelle de la restitution des prisonniers MM. Mason et Slidell à l'Angleterre. Cette restitution des envoyés des Etats du Sud par les Américains du Nord vient à propos couper court à une incertitude qui, en se prolongeant, était devenu un véritable malaise. La calamité d'une guerre fratricide et ruineuse, désastreuse pour l'Europe entière, et tôt ou tard pour la France elle-même, entre les Etats du Nord et la Grande-Bretagne, est, grâce à la prudence américaine que l'on suspectait, écartée aujourd'hui. La mesure d'un désarmement partiel, opéré toutefois dans une proportion assez étendue pour réaliser une économie notable, ne rencontre donc plus d'objection pressante. C'est de ce côté que devra se tourner l'opinion publique, si elle est bien avisée. Nous ne sommes pas de ceux qui croient les économies sur les travaux publics impossibles. Mais nous ne saurions nous faire illusion sur leur étendue. On a exagéré ces travaux. On s'est jeté dans une voie dont il est impossible de sortir du jour au lendemain. Les engagements les plus positifs ont été pris. Le plus réductible des budgets est évidemment celui de la guerre. Encore une fois, c'est le devoir de la presse de se tourner de ce côté.

- La direction générale des douanes et des contributions indirectes vient de mettre au jour le tableau général du commerce de la France avec ses colonies et les puissances étrangères pendant l'année 1860. Les chiffres qui résument ce tableau acquièrent un intérêt tout parti

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