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culier des premiers effets du traité de commerce qui date de cette année. Il n'y aurait eu rien d'étonnant à ce que l'année fléchît, relativement à 1859, année prospère, en dépit de la guerre d'Italie, et qui a vu un grand mouvement d'importation et d'exportation. La disparition des prohibitions, la diminution des droits prélevés, étaient une cause d'alarme pour beaucoup de gens. Dès le mois de mai 1860, les droits à l'entrée sur les matières premières, telles que le coton, la laine, etc., ont été supprimés. Les droits sur certains articles de grande consommation, le sucre, le café, le thé et le cacao ont été abaissés des deux cinquièmes. Ces diverses mesures ont été appliquées à des dates différentes, fixées diplomatiquement ou législativement; chacune d'elles a été précédée d'une stagnation complète et suivie d'un mouvement fébrile. D'une part, les approvisionnements de matières premières se sont trouvés tour à tour complétement suspendus ou extraordinairement multipliés; de l'autre, la fabrication s'est ralentie dans une foule d'industries, en prévision d'applications ultérieures des nouveaux tarifs. Il suit de là que l'année 1860 a été une année de perturbation et d'incertitude; et cependant, comparés aux chiffres de 1859, ceux de 1860 donnent une augmentation de 438 millions, ou 9 p. 100 sur l'ensemble du mouvement, savoir 244 millions sur les importations et 194 millions sur les exportations.

Le commerce spécial, c'est-à-dire celui qui ne comprend à l'importation que les marchandises introduites dans la consommation française et à l'exportation que les marchandises d'origine française, embrasse une valeur totale de 3,676 millions, soit 274 millions de plus qu'en 1859, savoir 181 millions d'augmentation sur les importations et 93 millions sur les exportations.

Voilà certes une magnifique attestation de notre puissance commerciale et manufacturière. Il serait intéressant de déterminer quelle a été l'influence de la réforme commerciale dans ce mouvement ascensionnel; mais, à cet égard, on est obligé de s'en tenir à quelques indications approximatives. Constatons seulement qu'en 1860 il est entré dans la consommation une valeur de 249 millions de cotons en laine; la consommation moyenne des cinq dernières années n'avait pas dépassé 139 millions et demi; la consommation des laines en masse a représenté 104 millions, la moyenne quinquennale n'accusait précédemment qu'une consommation annuelle de 75 millions; la houille consommée en 1860 représente une valeur de 74 millions, c'est 40 millions de plus que la moyenne des années précédentes; pour le café, nous trouvons une consommation de 30 millions de francs, au lieu d'une consommation moyenne de 24 millions. L'effet du dégrèvement n'a pas été moins marqué sur les sucres; la consommation du sucre de nos colonies a atteint 75 millions fr. au lieu de 63 millions. L'accroisse

ment est également très-sensible sur l'importation des graines oléagineuses, des bois communs, des peaux brutes, de l'indigo, du cuivre, du zinc, de la cochenille, des gommes exotiques, des pelleteries, des fils de lin ou de chanvre, etc., etc. Ce sont là de véritables matières premières, aliment nécessaire du travail intérieur. La valeur s'en est élevée, en 1860, à 1,179 millions; par contre, nos usines et nos ateliers ont exporté 4,528 millions d'objets manufacturés. Ainsi, les besoins de la consommation intérieure satisfaits, nos manufactures vendent à l'étranger 1,528 millions d'objets manufacturés pour 1,179 millions de matières premières, ce qui représente un accroissement de valeur de 349 millions ou 30 p. 100. Ces exportations pour 1860 ont consisté principalement en tissus de soie, 396 millions; tissus de laine, 226 millions; tissus de coton, 200 millions; tabletterie, bimbeloterie, meubles, 88 millions; linge et habillements, 86 millions; peaux ouvrées, 73 millions; sucre raffiné, 60 millions; poterie, verres et cristaux, 50 millions; papiers, 38 millions; tissus de lin et de chanvre, 36 millions; soies, 30 millions; ouvrages en métaux, 27 millions, etc., etc.

Toutes les évaluations qui précèdent sont officielles, c'est-à-dire conformes au tarif type de 1826; elles représentent aujourd'hui une valeur réelle bien supérieure; ainsi la masse totale de nos exportations du commerce spécial, estimée 2,091,300,000 fr. en valeurs officielles, s'élève à 2,277,100,000 fr. en valeurs réelles.

Les puissances étrangères avec lesquelles nous commerçons se présentent chaque année dans un ordre presque invariable au point de vue de l'importance des échanges, à savoir: l'Angleterre, les Etats-Unis, la Suisse, le Zollverein, la Belgique, les Etats sardes, l'Espagne, la Turquie, le Brésil et la Russie. Elles figurent à elles seules pour trois quarts dans la totalité des échanges, soit 75 p. 100; vient ensuite l'Algérie pour 7 1/2 p. 100; le reste de l'univers se partage les 17/100es 1/2

restants.

· Jusqu'à quel point l'Europe a-t-elle été atteinte dans son commerce en l'année 1861 par le conflit américain? Quelques chiffres empruntés à un article bien fait du journal le Temps nous l'apprendront.

Si nous prenons pour terme de comparaison les dix premiers mois de l'année courant du 1er janvier au 31 octobre, nous trouvons, par exemple, qu'en 1859 le port de New-York a exporté 727,944 barils de farine, contre 2,414,200 en 1861;-118,303 hectolitres de blé il y a deux ans, contre 44,274,794 pendant l'année courante; -10 millions et demi de kilogrammes de viandes salées, lard et autres provisions, à la première époque, contre 55 millions de kilog. pour l'époque actuelle, etc.

L'Europe, inquiète pour sa subsistance, s'est emparée avec une sorte

d'avidité des ressources alimentaires qui lui étaient offertes; mais il ne lui est pas possible de les payer, comme d'habitude, avec les produits de son propre travail. Le planteur du Sud n'a plus la liberté d'acheter; quant au Nord, à part l'influence restrictive de la nouvelle législation douanière connue sous le nom de tarif Morrill, le Yankee limite sa demande aux approvisionnements de guerre et à quelques objets de nécessité absolue le genre de luxe dont il s'était fait une nécessité lui paraissant hors de saison, il se prive des articles européens dont il était le plus passionné consommateur.

L'industrie des tissus a souffert particulièrement de cet état de choses.

Les importations d'étoffes à New-York, depuis le commencement de l'année jusqu'au 31 octobre 1861, atteignent à peine le quart des achats faits habituellement, et il est probable que la proportion tombera plus bas encore, quand les résultats du mois de novembre et de décembre seront connus. La décroissance se prononce de plus en plus, sur les divers articles, à mesure qu'ils se rapprochent de la classe des objets de luxe.

Pendant les trois premiers trimestres de cette année, et comparativement à l'année 1860, où la baisse commençait à se prononcer, l'Angleterre à vu réduire ses envois aux Etats-Unis de 236 millions de fr., ou 58 pour cent, bien qu'elle eût la ressource de leur vendre des armes et des provisions de guerre.

Quoique absolument étrangère au conflit, la France est frappée durement. Nos affaires avec les Etats-Unis représentent habituellement un mouvement de 400 à 500 millions, ventes et achats réunis. Les principaux articles d'échange sont, comme chacun sait, le coton en laine et le tabac en feuilles, que nous payons avec nos étoffes de soie et nos rubans, nos vins et nos liqueurs. L'importation américaine de 1859 s'est élevée à 199 millions 516,926 fr. (commerce spécial, valeurs actuelles), dont 185 millions pour le coton et 40 pour le tabac. Nos envois de la même année, dépassant le niveau ordinaire, ont atteint la somme de 299 millions, comprenant 137 millions pour les soieries, 37 millions pour les autres tissus, 48 millions pour les vins et liqueurs.

Nos ventes de cette année s'élèveront-elles au tiers ou au quart de nos expéditions ordinaires? Les documents publiés jusqu'ici ne nous permettent pas de répondre avec précision. Nous nous contenterons de livrer quelques chiffres à l'appréciation des lecteurs.

Au nombre des principales marchandises exportées de France pour les Etats-Unis, pendant les dix premiers mois de 1859 et la période correspondante pour 1861, nous trouvons :

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Quant aux soieries, dont la France exporte chaque année plus de s 3 millions de kilogrammes, au prix moyen de 120 fr., d'après les tableaux de sortie des dix premiers, complétés par les indications que la direction des douanes fournit actuellement tous les dix jours, on entrevoit pour cette année une réduction de 80 à 100 millions de francs, et ce déficit ne peut être attribué qu'à la crise américaine, puisqu'il coïncide avec la situation déclarée par la douane de New-York.

En définitive, le placement de nos marchandises s'est amoindri des deux tiers et peut-être des trois quarts, à ce qu'on entrevoit, et nous avons dû racheter, argent en main, une grande partie des approvisionnements en blés et en farines que les Anglais ont tirés d'Amérique.

-Est-il vrai qu'il soit sérieusement question d'abolir le courtage privilégié, et notre confrère l'Avenir commercial verra-t-il aboutir heureusement d'ici à peu la courageuse campagne qu'il a entreprise? Nous le souhaitons au nom des principes que nous soutenons et de l'intérêt général. Le Courrier de la Gironde, qui s'est associé à cette campagne, semble en annoncer l'issue favorable, et rend compte d'une brochure d'un courtier de marchandises converti à la liberté, M. Deleyre, portant ce titre A bas les privilégiés! plus de courtiers! Dans cet opuscule, dit le Courrier de la Gironde, M. Deleyre examine d'abord les raisons qui, d'après lui, militent en faveur de la réforme réclamée par l'opinion. Les courtiers brevetés se plaignent de ne plus voir leurs droits garantis; les courtiers marrons protestent contre la restriction, et les commerçants demandent eux-mêmes que la barrière soit abaissée : tels sont les trois arguments sur lesquels s'appuie M. Deleyre pour conclure à la suppression du courtage restreint. Nous ne saurions dire si, en se plaignant de la violation quotidienne du privilége, les courtiers brevetés entendent bien réclamer une réforme dans le sens libéral; et, bien que nous aimions à le croire, nous renoncerions à nous étayer d'un pareil argument.

Pour les deux autres, ils sont concluants; ils disent implicitement tout ce qui peut attaquer en brèche le courtage breveté. Désaccord de la législation réglant la matière avec les aspirations du temps; insuffisance des intermédiaires, nécessité de favoriser par la liberté le développement du commerce, tout est là.

Le Courrier de la Gironde reconnaît la sage réserve avec laquelle l'auteur de la brochure discute les opinions déjà émises sur le même sujet.

Comme lui, il voit, non sans étonnement, que certains poursuivent l'abolition du courtage sans paraître songer que les droits établis méritent d'être respectés. Ce n'est pas, sur des ruines injustement entassées qu'il convient d'élever l'édifice de la liberté des transactions par intermédiaires. Il ne faut pas que son inauguration ouvre des abimes, arrache des larmes, provoque des malédictions.

Ainsi que l'établit M. Deleyre, la justice exige que, avant leur dépossession du privilége actuel, les courtiers soient désintéressés par le rachat des charges et par l'allocation d'une indemnité. Quel sera le taux de ce rachat et celui de cette indemnité? M. Deleyre cherche à établir l'un et l'autre par un prix absolu, uniforme, sans prendre en considération la position relative des courtiers. Il y aurait peut-être peu d'équité dans ce mode de transaction, pas plus qu'il ne serait juste, dans l'expropriation des immeubles, de fixer le dédommagement avant un examen préalable de choses. Comme, dans ces circonstances, on s'en remet à la sagesse d'un jury qui fonde sa décision sur des recherches scrupuleuses, de même il n'est pas possible de liquider d'une manière équitable la position des courtiers sans l'intervention d'experts éclairés.

- Une commission vient d'être nommé par le ministre d'État pour examiner la question de la propriété littéraire et la fixation des droits d'auteur. Cette commission se compose d'hommes distingués, mais dont la plupart, à ce qu'il nous a parú, sont peu favorables à la propriété littéraire. On sait quelle est, malgré de graves dissentiments, l'opinion du Journal des Économistes sur cette grande question de principe.

Nous verrions avec satisfaction cette importante question tranchée dans le sens des opinions qui nous paraissent les vraies. Il n'est guère douteux que, même dans l'hypothèse la plus défavorable, il ne doive résulter de ce nouvel examen une extension nouvelle des droits des auteurs.

-Notre éminent collaborateur, M. Cherbuliez, professeur d'économie politique à l'institut fédéral polytechnique de la Suisse, vient de publier, en 2 vol. in-8°, un Précis de la science économique, fruit de vingt-cinq années d'études et d'enseignement. Le Journal des Economistes rendra compte de cet ouvrage remarquable.

Paris, 15 janvier 1862.

HENRI BAUDRILLART.

L'Administrateur-Gérani, GUILLAUMIN.

311.- PARIS. — - INPR.MERIE POUPART-DAYTL ET C, DIE DE BAC, 30.

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