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lectuel, comme aussi la condition si souvent douloureuse des femmes dans l'industrie et les diverses professions laborieuses. Il y a deux ans, je consacrais plusieurs leçons à ce pénible sujet, et je signalais cette recherche comme une lacune sur laquelle j'appelais votre attention. Depuis lors, j'ai la satisfaction de le dire, cette lacune a été dignement remplie par un généreux philosophe. Vous avez tous nommé l'auteur du livre de l'Ouvrière. Nous pourrons donc y revenir avec opportunité en complétant nos propres observations par des vues nouvelles.

C'est à ces études aussi nobles qu'utiles que je vous convie en finissant. J'y apporte bien peu de chose, je le sais; mais tout enseignement qui s'appuie sur une masse déjà imposante de faits observés et d'idées mûrement méditées par des hommes qui ont dévoué à la science leur vie tout entière, acquiert à vos yeux une valeur plus que personnelle. Vous voulez bien penser qu'il y a dans la parole, même très-imparfaite, de celui qui enseigne, une vertu que n'ont pas les livres. Elle a parfois, cette parole toute faible qu'elle est, le pouvoir de réveiller quelque germe enfoui, qui n'attendait qu'une occasion pour se développer. Tel d'entre nous a dû peut-être à une audition de quelques heures, dans les cours publics, le goût pour toute sa vie d'une étude à laquelle il n'aurait pas songé autrement, sans que lui-même s'en soit jamais bien rendu compte. L'épi mûr ne se souvient pas qu'il n'a d'abord été qu'une humble graine confiée au sol par la main d'un ouvrier inconnu. Je n'ai pas d'autre ambition, messieurs, que d'être cet ouvrier obscur, utile et oublié. Il est permis peut-être sans présomption de compter sur des efforts que soutient votre bienveillant concours.

HENRI BAUDRILLART.

ÉTUDES

SUR LE SYSTÈME DES IMPOTS

IMPOTS SUR LES ACTES

QUATRIÈME SECTION. DROITS DE MUTATION SUR LES TRANSMISSIONS DE BIENS ENTRE VIFS A TITRE GRATUIT ET ONÉREUX ET SUR DIVERSES CONVENTIONS.

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Si, au lieu de se faire par l'intermédiaire de la monnaie, les transmissions de biens immobiliers se font par voie d'échange, il n'y a pas emploi d'un capital mobilier, il y a une opération qui ne suppose pas les mêmes ressources pour l'acquittement d'un impôt et qu'on a cru devoir pour ce motif régir par des règles spéciales. En outre, la fixation du droit, en cette matière, se rattache à la question de savoir dans quelle mesure les échanges d'immeubles doivent être favorisés par l'État. Nous verrons quelles phases a subies, principalement en France, ce point de la législation fiscale, plus important en principe que sous le rapport financier, car les échanges ne donnent qu'un contingent insignifiant à la masse des mutations de biens à titre onéreux. Constatons dès à présent que depuis longtemps cette question des échanges avait éveillé la sollicitude du gouvernement, car une déclaration du roi du 2 décembre 1776, article 1er, porte : « Les actes d'échange de terrain au-dessous de dix arpents qui seront faits tant en Bourgogne, en Comté et pays dépendants, que dans les pays de Bresse, de Bugey et de Gex, continueront d'être exempts, jusqu'au 31 décembre 1780, du droit de centième denier et autres droits royaux et seigneuriaux, à l'exception du droit de

(1) Voy. les numéros de janvier 1860, février, juillet et octobre 1861,

controle, lequel demeurera fixé jusqu'audit terme, à 5 sols pour les terrains échangés dont la valeur ne montera pas à 50 livres, et ne pourra excéder la somme de 10 sols pour les terrains dont le prix montera audessus de 50 livres, de quelque valeur que soient lesdits terrains échangés. »

Cette disposition de faveur pour les échanges, admise à une époque à laquelle elle était sans aucun doute moins conseillée qu'elle ne l'a été depuis par la division progressive des terres, fut à certain degré continuée par la loi des 5-19 décembre 1790 qui, en substituant au droit fixe de contrôle un droit proportionnel, n'en porta le montant qu'à 1 p. 100 sur l'une des parts. L'article 69, § 5, no 3 de la loi du 22 frimaire an VIII éleva ce droit à 2 p. 100, mais elle ne le fit qu'à cause de la situation des finances et tout en constatant la faveur qui devait être attachée aux contrats de cette nature. Ces dispositions bienveillantes furent plus tard oubliées, pour quelque temps du moins. L'article 54 de la loi du 28 avril 1816 ayant disposé que, dans tous les cas où les actes seraient de nature à être transcrits au bureau des hypothèques, le droit serait augmenté de 1 1/2 pour cent et que la transcription ne donnerait plus lieu à aucun droit proportionnel,» les échanges tarifés jusque-là à 2 p. 100 se trouvèrent soumis, à dater de cette loi, à un droit proportionnel de 3,50 p. 100. C'est peut-être aux événements politiques de cette époque et aux besoins du trésor qui s'y rattachèrent, qu'on doit cette élévation de taxe, inais elle ne pouvait être de longue durée. Ce droit parut trop élevé bientôt pour un contrat qui peut favoriser l'agglomération des propriétés et en faciliter l'exploitation.

L'article 2 de la loi du 16 juin 1824, en abaissant le droit à 2,50p. 100 sur l'une des parts, y compris le droit de transcription, disposa en outre que les échanges d'immeubles ruraux ne paieraient qu'un franc de droit fixe pour tous droits d'enregistrement et d'inscription, lorsque l'un des immeubles échangés serait contigu aux propriétés de celui des échangistes qui le recevrait.

Le projet de loi présenté par le gouvernement ne renfermait pas cette dernière disposition; elle fut introduite dans la loi sur l'amendement d'un membre de la chambre des députés, M. de Séguret. On fit observer que c'était dans le cas de la contiguïté des immeubles qu'il y avait lieu surtout de protéger l'échange. On cita l'exemple de l'Angleterre, où depuis 1782 ces sortes de contrats sont, dit-on, obligatoires, lorsque des commissions nommées à cet effet en ont reconnu l'avantage pour le bien

public, et on a assuré qu'une mesure analogue avait été adoptée en Prusse depuis 1816. Toutefois, l'amendement fut vivement combattu comme étant de nature à faciliter la fraude.

« Il y aurait, dit le ministre des finances, un obstacle réel à l'adoption de l'amendement, c'est celui qui résulte de la fraude. Ne pourrait-on pas acheter une parcelle de terre et y réunir ensuite, par le moyen d'un échange qui ne serait soumis qu'au droit fixe d'un franc, une propriété considérable, qui aurait dû être assujettie au droit proportionnel ? »

Malgré cette observation, l'amendement fut adopté.

Le but de cet amendement avait été, d'une part, de favoriser la petite propriété en facilitant la réunion des petites parcelles dans les mêmes mains; d'autre part, d'arrêter autant que possible le morcellement des propriétés dont la progression toujours croissante alarmait alors les esprits.

Les échanges de propriétés rurales, avait dit l'auteur de l'amendement, ne portent que sur des objets de mince valeur, et il ne s'agit que de sillons épars qu'on cherche à réunir dans l'intérêt de l'agriculture. »

On a souvent insisté, en effet, sur la trop grande division des propriétés considérée comme nuisant essentiellement aux progrès de l'agriculture. Elle s'oppose, a-t-on dit, à toute amélioration, parce qu'elle entraîne, pour des parcelles de terrain, des frais de clôture et d'exploitation presque aussi onéreux que pour des terres d'une valeur beaucoup plus considérable. On a ajouté qu'en entravant la culture sur une grande échelle, elle nuit aux assolements alternes, à l'élève du bétail et du cheval, et enfin qu'elle entretient l'esprit de jalousie et de chicane si facile à éveiller par le contact intime des intérêts. Dès le commencement de notre siècle, ces idées, que nous avons vues favorisées par une déclaration royale de 1776, ont trouvé des organes sérieux Par la réunion de plusieurs pièces de terre en une, dit M. de Montyon (1), la perte du sol par les chemins riverains est supprimée ou diminuée; chaque propriétaire peut faire de sa terre l'usage qu'il juge à propos, sans être obligé de raccorder sa culture avec celle de son voisin, pour ne point causer de dommage par le passage sur son sol; les difficultés et les contestations sur les limites sont restreintes, la propriété peut être enclose, le sol peut être arrosé ou desséché, et il est nombre de grandes améliorations qui ne peuvent être

(1) De l'influence des divers systèmes d'impôts sur l'activité, la moralité et l'industrie des peuples. (Ch. 11, sect, X, en note.)

exécutées dans le morcellement et le mélange des propriétés. Il est des communes en France, surtout celles de vignobles, où on a compté, dans un terroir de mille arpents, cinq à six mille portions de propriétés foncières appartenant à cinquante ou soixante propriétaires; si les propriétés avaient été réunies, leur extension aurait été dans la proportion d'environ un à cent. »

<< Dans divers États, en Danemark, en Prusse, sous le règne de Frédéric le Grand, dans le canton de Berne, ces réunions ont été opérées dans quelques cantons, et partout avec un grand succès. »

L'un des hommes les plus célèbres de notre époque, dont le nom se rattache à l'histoire de nos arts, au progrès de notre industrie, au perfectionnement de notre agriculture, à tout le bien qui a pu se faire dans des temps désastreux, Chaptal, n'avait pas hésité à placer la faveur due aux échanges au rang des premiers bienfaits que l'agriculture attendait de la législation. Dans l'un de ses ouvrages (1) il s'exprime ainsi :

« Si l'agriculture réclame de nouvelles lois favorables à ses intérêts, elle demande aussi la suppression d'un petit nombre qui y sont con

traires.

La loi devrait protéger et favoriser les échanges: le gouvernement ne doit voir dans cette opération que des convenances réciproques entre deux propriétaires, et ne percevoir de droits que sur la plus-value de l'une des propriétés échangées.

En facilitant et en provoquant les échanges, le gouvernement ferait beaucoup pour l'agriculture. Les propriétés éparses et morcelées se réuniraient insensiblement autour de l'habitation: la surveillance deviendrait plus forte. Un meilleur système d'exploitation pourrait s'établir aisément, les transports seraient plus prompts et moins coûteux, les animaux éprouveraient moins de fatigues et le travail deviendrait plus considérable.

«La facilité des échanges aurait encore l'avantage de réunir à des propriétés contiguës les petites parcelles de terre qui ne présentent pas assez d'étendue pour y développer toutes les ressources d'une bonne exploitation.

«Enfin les échanges éteindraient une foule de contestations qui s'élèvent entre les propriétaires à raison des limites, des usurpations et des dégâts. »

Lorsque Napoléon Ier conçut le projet de la rédaction d'un Code

(1) La chimie appliquée à l'agriculture (Discours préliminaire), p. 30.

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