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tout ce qu'elles peuvent faire à cet égard dans les conditions actuelles, elles le font. Le but désormais ne saurait être que d'assurer plus de succès à leur action. Comment atteindra-t-on ce but? ce ne saurait plus être en question. M. le ministre de l'intérieur a montré mieux que personne les voies à suivre quand il a recommandé la vie agricole. Le tout est de mettre cette vie agricole d'une manière sûre à la portée des hospices. On en avait l'occasion il y a quinze ans quand on créa les fermes-écoles, et on l'a manquée. Elle se représente aujourd'hui; les lois que l'Empereur a provoquées relativement à la mise en valeur des communaux et au reboisement des montagnes en donnent les moyens : c'est à tous ceux qui s'intéressent à cette grande famille de la charité de ne point laisser perdre cette occasion nouvelle.

On connait les lois des 19-28 juillet 1860, qui ont enfin tiré l'administration de l'impasse où elle se trouvait enfermée auparavant quant à l'utilisation des terres communales sous quelque mode que ce fût. Ces lois généralisent les dispositions votées précédemment à l'endroit des seules landes de Gascogne. Elles prescrivent l'utilisation d'une manière formelle. Le préfet doit la proposer à la commune; si la commune refuse ou s'abstient, il la fait décréter en conseil d'Etat, sur avis préalable du conseil général ; après quoi les travaux sont entrepris par l'Etat aux frais de la commune, et l'Etat se récupère de ses avances sur la plusvalue ou moyennant une part des terrains. Tous les genres d'utilisation sont autorisés. Vente ou louage du sol, cultures, boisement par des particuliers ou par l'administration, on peut tout entreprendre; il n'y a qu'un but, la mise en valeur la plus avantageuse possible des 2,790,000 hectares présentement inertes ou sans produit suffisant, et dont une grande partie cause par son inculture tant de désastres d'inondation ou d'atterrissement sur de riches plaines inférieures.

Somme toute, voici le gouvernement mis en possession du vaste domaine communal pour le rendre productif. C'est une des missions qu'à tous égards on pouvait le plus désirer de lui voir donner. Dans l'intérêt des populations propriétaires, qui au fond n'en retiraient rien ou qui s'en voyaient prendre tout le revenu par quelques plus forts imposés habiles à les tenir indivis, comme dans l'intérêt de la richesse agricole du pays, aucune mesure n'eût été meilleure. Que fera le gouvernement pour mettre ce domaine en production? A coup sûr il n'y aura pas qu'une seule manière d'y pourvoir. Bien des voies se présenteront que la loi n'a point prévues et n'a voulu ni pu prévoir. Il n'est que très-probable aussi qu'une fois la vente parcellaire ou l'afferme des parties immédiatement exploitables ou rendues telles poussées aussi loin que l'élat des

besoins ou des moyens en chaque lieu le comporte, il restera encore libre une énorme surface à utiliser. Une manière d'utiliser cette surface consisterait dans des colonies agricoles d'enfants assistés. Je ne sais pas s'il est nécessaire de montrer que ce serait une manière facile, mais il me semble que c'en serait une pleine d'avantages.

Rurales ou industrielles, les colonies de travail n'ont rien de nouveau, en soi ni coinme moyen d'assistance ou de réforme vis-à-vis de certains membres de la société. On en a fait dans presque tous les pays et avec toutes sortes d'éléments, même avec des fous. On s'est beaucoup trompé en en faisant au moyen d'éléments qui ne donnaient ni travail, ni ressort moral, comme les mendiants ou les condamnés; on en a fait de trèsprofitables pour ceux qui en ont été l'objet et pour ceux qui les ont entreprises, avec des enfants, des orphelins ou de jeunes détenus. Avec les premiers, plusieurs sociétés charitables, l'institut des écoles chrétiennes, des ecclésiastiques ou des particuliers isolés ont déjà formé nombre de colonies jardinières ou culturales qui prospèrent et dont les services sont visibles; il ne faudrait que citer les asiles suisses pour exprimer d'un seul mot tout ce qui peut être réalisé d'utile pour ces enfants sans foyer, et par eux pour l'enseignement et la pratique agricoles. Avec les jeunes détenus, des personnes privées et l'Etat même en ont créé qui portent journellement d'excellents fruits.

Mais ces colonies d'enfants ont d'autant mieux atteint leurs différents buts que l'agriculture a été davantage leur objet. Même avec les enfants en répression, c'est par là qu'on a surtout réussi. Il y en a un bel exemple dans la colonie penitentiaire du val d'Yèvre. Un membre de l'Académie des sciences morales, M. Charles Lucas, fondait, dès 1847, cette colonie dans les marais formés par la rivière d'Yèvre, au sud de Bourges. Il le faisait sur des terres à lui, à ses risques propres, en vue d'appliquer exclusivement le travail des jeunes détenus à la mise en valeur du sol submergé. Il entrait le premier, je crois, dans ces voies. Il avait affaire à la nature de terrain assurément la moins commode pour une telle entreprise, et son succès est complet. Il a reçu récemment au val d'Yèvre la commission qui visitait les domaines du département du Cher concourant pour la prime d'honneur régionale, et il a pu lui montrer les plus belles opérations de culture réalisées au moyen de ces enfants délinquants, 440 hectares de marais amenés en pleine production et couverts de riches récoltes, sans parler d'une grande étendue de cultures céréales produites sur des défrichements de terres sèches, voilà ce qui a été obtenu là en moins de quinze années, pendant lesquelles en outre il a fallu édifier des bâtiments considérables. On a réalisé cela avec des enfants dont la moyenne d'âge descend au-dessous de douze ans, et dont le nombre effectif n'est que d'environ cent quatre-vingts, quoique le nombre annuel ait, en fait, dépassé trois cents. Quelle ri

chesse entrée dans la circulation et quelle plus-value foncière représentent ces résultats, on peut se le figurer; on comprend aussi combien de ces enfants sont devenus de bons ouvriers ruraux, combien capables d'être des contre-mattres d'exploitation entendus, des métayers éclairés, desentrepreneurs habiles d'ouvrages agricoles, de petits fermiers capables de réussir! Cet établissement a-t-il entraîné de grands frais, engagé plus ou moins des fonds de l'Etat? Aucunement. La colonie du val d'Yèvre n'a exigé d'autres avances que celles nécessaires à toute exploitation intelligente qui se fùt trouvée de même nature; un propriétaire dans des conditions ordinaires de fortune a pu les faire; l'Etat, pour tout concours, n'a donné que le prix de journée de chaque enfant à la prison(1). Ce prix de journée seulement eût fait, à la prison, plus d'êtres vicieux que d'êtres utiles: ici c'est l'opposé.

Le val d'Yèvre, grâce à sa réussite, n'est plus la seule des colonies pénitentiaires appliquées à l'agriculture. A son imitation, le docteur Faucher a formé le pénitencier agricole des marais de Guermanez dans le département du Nord, plus hardi encore dans les travaux qu'il demande à ses colons, et ensemble ces beaux établissements ont eu l'immense mérite d'entrainer définitivement dans leur sens tout le régime pénitentiaire des enfants. Le gouvernement a voulu avoir lui-même, à son tour, ces résultats si désirables et si faciles. Il a d'abord formé le pénitencier agricole de défrichement de Saint-Hilaire, dans la Vienne; puis il a fait décider par le législateur que le pénitencier agricole deviendrait désormais le seul mode de détention des enfants en répression. C'est l'objet formel de la loi du 5 août 1860. Dans cette loi on se montre désireux par dessus tout de faire administrativement de toute cette catégorie de condamnés la pépinière de serviteurs ruraux éclairés et les créateurs de valeur foncière que le val d'Yèvre a révélés. Ce but est confirmé par les instructions qui ont suivi la loi; tout récemment encore, en même temps que M. le ministre de l'intérieur insistait auprès des administrations hospitalières pour le placement de leurs pupilles aux champs, il enjoignait à l'administration des prisons de réduire à 15 0/0 seulement du chiffre des colons, dans chaque colonie à la fois agricole et industrielle, le nombre qui en pourrait être employé aux travaux d'industrie, réservant d'une manière expresse tout le reste aux travaux de culture.

(1) J'emprunte ces détails à une récente publication de MM. Ch. Lucas, fondateur et propriétaire, et de Lezardière, directeur. Elle est intitulée: Un mol sur la fondation de la colonie agricole pénitentiaire du val d'Yèvre, considérée au point de vue du programme impérial du 5 janvier 1860. Bourges, 1861. Cette publication sera prochainement suivie d'une autre où toutes les opérations de la colonie, ses frais, sa production, ses résultats, seront exposées.

En présence de ces succès des colonies agricoles d'enfants, et en voyant la faveur dont ils font jouir les enfants délinquants, qui ne voudrait qu'ils eussent profité à ces enfants sans famille que la charité recueille et élève avec tant de dévouement sans pouvoir assurer leur avenir, avant ces vicieux mis en correction pénale? On a pris un soin tout particulier des coupables dans notre pays. Depuis longtemps il n'y a pas eu d'études plus assidues que pour le bien-être ou la réformation des condammés et des pervertis. Tout un service d'État a eu cela pour objet et des publicistes l'ont pris ou reçu pour mission. Pour les institutions de prévoyance qui auraient empêché beaucoup de ces condamnés ou de ces pervertis de le devenir, il ne s'est guère trouvé que les utopistes. Tandis que l'œuvre de l'apprentissage agricole est si avancée pour le service pénitentiaire, à l'égard du service hospitalier elle n'est pour ainsi dire pas entreprise. Pour les pupilles de la charité il existe quelques colonies privées, n'ayant la plupart que des moyens très-restreints. Leur action est infiniment méritoire par cela même, mais elle a des limites si resserrées en regard des besoins, qu'on en est réduit à laisser placer dans les colonies pénitentiaires un certain nombre d'enfants des hospices, et à s'applaudir encore de ce mélange regrettable comme moins malheureux que les suites de beaucoup d'autres placements!

Demander que l'on fasse pour les enfants assistés ce qui vient d'être fait pour les enfants en répression, que l'on organise administrativement la colonie agricole d'enfants des hospices comme celle des enfants des prisons vient de l'être, qu'on la rattache à la mise en valeur de la propriété actuellement inculte comme évidemment on se propose d'y rattacher celle-ci, ce n'est donc pas demander trop. C'est d'ailleurs un complément promis depuis longtemps au service hospitalier. Le dernier projet de loi élaboré pour l'amélioration de ce service, un projet qui remonte à 1849 et qui avait été l'œuvre des personnes les plus compétentes, rangeait formellement la création de colonies agricoles d'enfants assistés parmi les moyens qui seraient donnés pour l'éducation de ces enfants (1). N'est-ce pas le moment de tenir enfin cette promesse. A toutes les raisons morales qui le commandent, la libre disposition désormais de vastes étendues à rendre productives ajoute des facilités d'exécution qui auraient manqué plus tôt. Il ne devrait plus être permis, quand on s'occupe de grouper à nouveau toutes les forces sociales comme pour une destinée nouvelle, de laisser davantage stériles ou se pervertir celles que récèle cette population d'enfants déshérités si soigneusement recueillis maintenant par la charité publique, mais que malheureusement elle n'est pas encore à même de faire servir assez à leur bien propre ou à celui de la société.

(1) Art. 63 du projet de loi de 1849.

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Nulle part les colonies de travail n'ont guère réussi que formées d'enfants. De ces dernières, en outre, ce sont celles ayant eu pour objet une agriculture sérieuse qui ont donné le plus de résultats heureux. Leur succès en tout, discipline, moyens financiers, utilité pour leur personnel, avantage pour la société, a été d'autant plus grand qu'on les a mises sur le pied d'une véritable exploitation rurale, vivant d'elle-même et dès lors forcément active, exigeante, comptant de près. Faire prendre à l'enfant une instruction pratique complète au sein même de cette éducation rude et forte que le fils du paysan reçoit des labeurs, des difficultés, des pénibles vicissitudes de la vie agricole, à ce prix seul elles ont été utiles et ont pu agrandir d'année en année leur action (4). Les asiles de Suisse donnent à tous ces égards des modèles qu'on ne peut trop avoir présents, et que notre ferme-école à d'ailleurs naturalisés chez nous en partie.

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Des conditions de cette nature ont le plus parfait rapport avec le but qui doit être assigné à l'institution des colonies hospitalières et avec ce qu'il convient de se proposer en liant cette institution à la mise en valeur des terres incultes. D'une part, l'éducation efficace de l'enfant, une éducation qui fasse de lui, à un âge donné, un agent rural facilement plaçable ou un cultivateur capable d'entreprises et pourvu déjà d'un pécule qui soit le fruit de son travail; d'autre part, l'exploitation productive du sol inutilisé, une exploitation donnant un produit régulier, progressif, qu'on puisse étendre annuellement et qui annuellement aussi assure à ses agents un pécule plus fort; enfin l'enseignement agricole accru, un personnel plus nombreux d'adultes en possession de connaissances culturales raisonnées mis chaque année au service des cultivateurs, et dès lors au service de l'extension annuelle du défrichement: voilà en effet les objets principaux à poursuivre dans la colonie hospitalière envisagée en soi. Elle offre un autre objet d'une grande importance quand on la considère relativement aux êtres dont elle deviendrait le mode nouveau d'assistance. Ce ne sont pas des garçons seulement que les hospices ont pour pupilles et qu'ils doivent mettre en état de se créer une existence utile; ce sont aussi des filles. Elles constituent dans la population hospitalière celle qu'il leur est le moins aisé de faire réussir. Presque jusqu'à la limite d'âge elles

(1) MM. de Lurieu et H. Romand, inspecteurs des établ. de bienfaisance, ont publié en 1851 des Études sur les colonies agricoles où tout ceci est trèsjudicieusement démontré.

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