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Ainsi que je l'ai exposé plus haut, les ressources du budget extraordinaire sont la mesure de ce que l'Etat peut entreprendre en dehors du budget régulier. Pour savoir quels travaux il sera possible d'exécuter en 1863, il faut donc commencer par connaître de quelles ressources sera doté le budget extraordinaire. Ces ressources, ont une partie ne peut être encore indiquée qu'approximativement, se composent en premier lieu :

De 57,500,000 fr. provenant du solde disponible de la négociation des obligations trentenaires émises en 1861 ;

De 10 millions provenant de la troisième annuité de l'indemnité chinoise. Ces deux sommes ne permettraient pas à elles seules d'imprimer aux travaux déjà engagés une activité en rapport avec l'importance extrême que le pays attache au prompt achèvement de notre réseau de chemins de fer et aux autres entreprises d'utilité publique qui ont fait l'objet de votes dans les dernières sessions. Aussi Votre Majesté a pensé que le Corps législatif, dont les membres se sont faits à tant de reprises les interprètes des vœux des populations, ne refuserait pas de concourir à l'exécution de travaux d'une utilité incontestable par l'établissement temporaire d'une surtaxe sur deux articles de grande consommation.

La réduction de l'impôt du sel qui a été opérée en 1849, et qui a privé le Trésor d'un revenu considérable, a eu pour unique résultat de porter de 6 kilogrammes et demi à 8 la consommation par tête, et à 54 millions la consommation totale.

Une augmentation de droits de 40 centimes par kilogramme ne saurait donc constituer une bien lourde charge pour les populations. Porté à 20 centimes par cette augmentation, le droit sur le sel serait encore inférieur à ce qu'il a été jusqu'en 1849, et il en résulterait néanmoins un important accroissement de revenu. Cet accroissement aurait été de 38 millions, si Votre Majesté n'eût pensé qu'il fallait tenir compte de la situation des industries qui emploient le sel comme matière première. Non seulement Votre Majesté n'a pas voulu que les industries fussent assujetties à l'augmentation du droit, mais dans sa vigilante sollicitude pour le travail national, elle désire les affranchir complétement, afin de les mettre en situation de soutenir la concurrence étrangère. Le bénéfice que le Trésor retirera de l'augmentation du droit sur le sel sera atténué d'environ 5 millions par cet affranchissement (1), et sera, par conséquent, ramené à 33 millions.

La réduction du droit sur les sucres a commencé à produire dans la consommation l'accroissement qu'amène toujours, pour les denrées à l'usage du grand nombre, une diminution notable du prix. Néanmoins l'importance qui s'attache au prompt achèvement des grands travaux dont l'exécution doit avoir une si grande influence sur la fortune publique m'a fait penser que le droit sur les sucres pouvait être temporairement reporté à 42 francs, décimes compris. Les sucres profiteraient encore de la moitié du dégrèvemeut fait il y a deux ans.

(1) Les sels affranchis auraient à acquitter 6 millions et demi; mais comme 1,500,000 francs étaient déja remboursés par voie de drawback, l'atténuation de recette causée par leur affranchissement n'est, en réalité, que de 5 millions.

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une consommation de 240 millions de

29 millions environ.

... temporaires, et ce caractère leur est garanti dire des dépenses auxquelles elles sont destie ces dépenses n'est permanente, et toutes sont a n'est douteux pour personne que la progresaos revenus indirects ne soit due en grande partie des voies de communication intérieure; et plus nous ere de ces améliorations, plus les effets en deviendront piece nous donne le droit d'espérer que cette portion du recira un chiffre assez élevé pour rendre inutile, au delà d'une que in continuation des sacrifices que le pays est appelé à s'imaka dës vues d'avenir.

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ajoute aux 67 millions que j'ai indiqués plus haut les 62 millions ront les deux surtaxes temporaires, on trouvera une somme de 130 malous environ. A cette somme viendront se joindre, par voie de report, les excedants de crédits non employés en 1862 et qu'on peut évaluer de 15 à 20

millions.

La dotation des services extraordinaires se composera donc, en 1863, de 130 et peut-être de 150 millions. Je n'entrerai pas dans le détail des travaux qu'il sera possible d'exécuter avec cette dotation. Ces travaux seront énumérés dans la loi spéciale qui va être soumise à l'examen du conseil d'Etat; mais je crois utile de placer sous les yeux de Votre Majesté un tableau qui résume ce qui a été fait dans les exercices précédents, et qui est conforme à la nouvelle classification adoptée pour 1863.

TRAVAUX EXTRAORDINAIRES.

Crédits affectés aux travaux extraordinaires pendant les exercices 1858 à 1863.

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en 1858. en 1859. en 1860. pour 1861. pour 1862.

Dépenses reportées du service ordinaire au service extraordinaire.

Ministère de la guerre.... 7.287.852 6.126.353 6.934.400 7.589.000 7.389.000 Gouvernement général de

l'Algérie....

Ministère de la marine et

des colonies. ....

Ministère de l'instruction

6.826.193 5.050.315 6.158.936 4.750.000 3.650.000

16.493.041 16.704.131 16.801.000 16.801.000 17.301.000

publique et des cultes.. 4.005.426 3.977.982 4.826.304 4.000.000 4.000.000 34.612.812 31.858.781 34.720.640 33.140.000 32.340.000

Dépenses faisant l'objet de l'ancienne section des travaux extraordinaires. Ministère d'État..... 4.671.990 4.863.024] 4.048.450] 6.935.000 1.365.000 Ministère de l'agriculture, du commerce et des travaux publics......

Total général......

25.349.642 37.598.842 59.288.356 85.450.000 3.650.000 30.021.632 42.461.866 63.336.806 92.385.000 67.235.000 64.634.444 74.320.647 98.057.446 125.525.000 99.575.000

Les crédits qui figurent dans ce tableau pour l'exercice 1861 donneront lieu, ainsi que je l'ai déjà annoncé, à un report considérable. Votre Majesté voit donc que, même en tenant compte de la somme de 7 millions et demi environ qu'il faut réserver pour l'effectif militaire temporairement entretenu en sus de l'effectif normal, il sera possible d'affecter, en 1863, aux travaux extraordinaires, une somme plus considérable que dans aucune des cinq années antérieures.

Ainsi sera réalisé le vœu de Votre Majesté de ne pas voir se ralentir l'achèvement des grands travaux d'utilité publique qui peuvent seconder le développement de notre industrie, et que les corps électifs à tous les degrés lui ont souvent signalés comme indispensables aux progrès de la prospérité générale du pays.

La loi du budget extraordinaire de 1863, dont le conseil d'Etat va être saisi, pourra être très-prochainement présentée au Corps législatif.

LOI RECTIFICATIVE DU BUDGET DE 1862.

Il ne me reste plus qu'à entretenir Votre majesté du budget de 1862, maintenant en cours d'exercice. Ce budget a été préparé avant l'établissement des règles posées par le sénatus-consulte du 31 décembre dernier, et la prudence m'oblige à calculer sur des insuffisances assez considérables. J'ai dû, en conséquence, me préoccuper des ressources avec lesquelles il serait possible d'y faire face.

Je compte proposer à Votre Majesté de réserver pour cet emploi la seconde annuité de l'indemnité chinoise montant à 10 millions, et les rentrées provenant de la créance que nous avons sur l'Espagne, et qui paraît devoir être prochainement réglée par voie diplomatique à 25 millions.

Si ces deux ressources ne suffisaient pas, il serait possible d'y ajouter 30 millions, en faisant partir les deux surtaxes sur les sucres et les sels du 1er juillet 1862, au lieu du 1er janvier 1863.

A ces sommes pourrait s'ajouter encore la plus-value probable sur les revenus. Ces rectifications du budget de 1862 feront l'objet d'une loi dont je réunis les éléments pour la soumettre au Corps législatif après son examen par le conseil d'Etat.

Sire, je viens d'exposer à Votre Majesté, avec une entière sincérité, notre situation financière. J'ai pu le faire sans crainte, car cette situation n'a plus rien qui doive préoccuper, grâce à l'application du sénatus-consulte dont Votre Majesté a pris si généreusement l'initiative.

Le budget ordinaire de 1863 se soldera par un excédant de recettes.

Le budget extraordinaire du même exercice, maintenu dans les limites de ses crédits, offrira un aliment suffisant à l'activité nationale et une raisonnable satisfaction aux idées de progrès, sans apporter de nouvelles charges au Trésor, ni peser trop lourdement sur les contribuables.

L'année 1862 a les moyens de faire face aux dépenses prévues par son budget; et pour celles qui pourrraient venir s'y ajouter, elle trouvera une ressource dans les remboursements attendus de la Chine et de l'Espagne, dans le produit des surtaxes dont la mise en vigueur peut être devancée, et dans l'augmentation éventuelle des revenus.

Le présent et l'avenir sont donc assurés.

Restent les anciens découverts qui représentent le passé, et, pour la plus grande partie, un passé antérieur à l'Empire.

Là non plus on ne saurait trouver un sujet d'inquiétude. Arrêtés dans la progression qui menaçait de devenir leur loi, ces découverts cesseront dès aujourd'hui de s'accroître, et ils commenceront bientôt à diminuer.

Tel est, Sire, l'heureux résultat qu'on a droit d'attendre des mesures que votre sagesse a prescrites. Votre Majesté peut déjà l'entrevoir, et, avec sa fermeté et sa persévérance ordinaires, elle est certaine de l'atteindre. La France verra ainsi se justifier une fois de plus l'entière confiance qu'elle a mise en son Souverain, et Votre Majesté aura la gloire d'avoir su concilier la grandeur avec le bon ordre dans les finances.

Je suis avec respect, etc.

20 janvier 1862.

ACHILLE FOULD.

BULLETIN

Nous publions l'important rapport de M. Franck sur les concours de l'Académie des sciences morales et politiques que nous avons annoncé dans le dernier numéro :

Discours de M. Franck, président.

Considérée séparément, chacune des sciences que cette Académie a l'honneur de représenter au sein de l'Institut de France remonte à une époque déjà très-reculée. La philosophie se trouve près du berceau de la civilisation, entre la religion et la poésie, dont elle recueille attentivement les accents inspirés pour les soumettre au contrôle de la raison. La morale ne peut se séparer de la philosophie; elle en est la partie la plus précieuse et la plus divine. D'abord reçue du ciel sur les ailes de la foi, elle a montré qu'elle n'était point une étrangère sur la terre, et que ses lois, écrites dans le cœur de l'homme, portaient en elles-mêmes les preuves de leur authenticité et de leur autorité inviolable. La jurisprudence a suivi de près la morale, dont elle n'est qu'une des applications le plus impérieusement exigées par l'ordre social; car pour invoquer des droits, il faut commencer par reconnaître des devoirs; et s'il n'existait pas une loi naturelle qui, en leur servant de règle et de modèle, pût les couvrir de son autorité, les lois positives ne seraient que l'œuvre éphémère de l'arbitraire et de la force. Quand les hommes, instruits par l'habitude de la méditation à remonter des effets aux causes et à découvrir les lois générales sous la rapide succession des faits, voulurent appliquer ces deux procédés de la pensée aux œuvres de la politique et aux événéments dont se compose la vie des nations, alors naquit l'histoire : non pas celle qui se borne à peindre et à raconter, mais celle qui juge et qui raisonne, celle qui demande au passé des enseignements utiles pour le présent et pour l'avenir; non pas l'histoire

d'Hérodote, mais celle de Thucydide et de Polybe. Enfin, il n'y a pas jusqu'à l'économie politique dont la création ne puisse être revendiquée à juste titre par le génie grec et dont on ne trouve le premier germe dans un chapitre de la Politique d'Aristote.

Mais, isolées les unes des autres, ces différentes branches des connaissances humaines n'avaient qu'une faible influence sur la société; car il leur arrivait rarement de s'entendre; et, livrées sans contrôle à elles-mêmes, elles ajoutaient au spectacle de leur désaccord celui de leurs exagérations et de leurs erreurs. En vain quelques hommes de génie, Aristote dans l'antiquité, saint Thomas d'Aquin au moyen âge, Leibnitz à la fin du XVII siècle, ont-ils essayé de montrer ce qu'elles se prêtent mutuellement de lumière, de fécondité et de force: l'opinion générale continuait de les séparer et de les tenir en échec les unes par les autres. Ce fut donc une grande et salutaire pensée de les réunir, je ne dirai pas comme des sœurs, mais comme les membres dispersés d'un même corps, comme des organes dans lesquels circule une même vie et qui doivent obéir à une seule âme.

Cette pensée, que l'auteur de la Théodicée a léguée au XVIe siècle, et que le xvir siècle a réalisée dans cette enceinte, n'est pas seulement destinée à diriger dans une voie plus sûre et plus large les recherches de la science: elle doit exercer tôt ou tard une influence non moins heureuse sur la conscience publique, par conséquent sur les institutions, sur les lois, sur le gouvernement même de la société. L'histoire de l'Europe, pendant les soixante dernières années, suffit seul pour nous démontrer qu'il n'y a pas une autorité, pas une législation, une convention internationale qui, sur quelque force qu'elle s'appuie, puisse se passer de l'approbation de la conscience publique. Or, ce qu'on appelle de ce nom respecté, ce ne sont pas les intérêts ou les passions d'un jour, ce ne sont point les frayeurs et la lassitude d'un moment: c'est le sentiment éternel, quoique perfectible, du juste et du vrai; c'est le respect, inné dans le cœur de l'homme, quoique susceptible de s'agrandir et de se purifier par l'éducation, pour tout ce qui lui parle de ses droits comme du patrimoine inaliénable de son âme immortelle ; pour tout ce qui le montre à ses propres yeux, soit seul, soit en corps de nation, comme capable et digne de la liberté.

Pour ce juge suprême et cet arbitre tout-puissant des choses humaines, aucune conquête importante de la science, aucune vérité utile et féconde n'est complétement perdue; car, malgré la distance qui sépare le domaine de l'âme de celui de la matière, il en est des lois de l'ordre moral comme de celles qui gouvernent le monde physique: quand elles ne sont pas aperçues à la lumière de la raison, elles ne tardent pas à se faire reconnaître par la force des choses. Les principes qui nous commandent le respect de notre dignité sont, après tout, la meilleure garantie de notre sécurité et de notre bien-être : et il n'y a pas de sauvegarde plus infaillible pour nous-mêmes que les droits que nous sommes tenus de respecter dans les autres. Nous en avons aujourd'hui sous les yeux un mémorable exemple. Pendant soixante ans et davantage, une nation voisine, subordonnant le monde entier à la poursuite de ses vengeances particulières, a nié obstinément le droit des neutres et n'a pas perdu une occasion de le fouler aux pieds; la voilà maintenant obligée de l'invoquer

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