Images de page
PDF
ePub

tissage n'en a que 60 et l'impression 120. Pour ces deux derniers, reparaissent, à un moindre degré, les écarts signalés sur les prix des charbons et des machines; d'autres écarts, presque insignifiants, existent sur les produits chimiques et les substances colorantes. La position du tissage et de l'impression me semble néanmoins plus sûre, mieux garantie que celle de la filature. A mesure qu'une plus grande somme de main-d'œuvre s'ajoute à la matière, nous retrouvons nos avantages naturels; un traitement achevé nous sert mieux qu'une opération rudimentaire. Maintenant une distinction est à faire. Parmi les causes d'infériorité qui pèsent sur nous, il en est dont nous pourrons nous affranchir, d'autres qui sont destinées à être permanentes; il y en a d'appréciables par le calcul, d'autres qui ne sont pas susceptibles d'évaluation. Ces dernières n'en sont pas moins réelles et il suffit de citer entre autres la puissance de la position acquise, la masse du capital engagé, l'importance des affaires, l'influence des bonnes habitudes. Les établissements anglais ont presque tous, par de longs bénéfices, couvert leur premier coût et sont dégagés des servitudes d'un amortissement; ils se sont créé, dans le monde entier, une clientèle qui, ménagée avec soin et distribuée avec intelligence, les préserve des périls de l'encombrement. Nous n'avons ni le goût ni l'expérience d'opérations conduites sur une si vaste échelle. Pour beaucoup de fabricants ces qualités sont à acquérir. Rien ne servirait de dissimuler que l'entreprise est laborieuse et demandera des cœurs aguerris. L'histoire raconte que, dans des moments décisifs et pour ranimer leurs troupes, des généraux jetaient dans les rangs ennemis leur bâton de commandement. Sans forcer l'analogie, il est permis de dire que notre industrie est mise dans ce cas; le bâton de commandement a été jeté; il s'agit de le reprendre. Quelle défense restera-t-il à nos industries du coton avec les tarifs nouveaux qui sont sortis de deux traités de commerce? En résumant les droits gradués qui frappent les articles assujettis, le calcul conduit à des moyennes qui varient de 10 à 22 p. 100. Les plus légers de ces droits portent sur les produits simples, les plus forts sur les produits où les façons se sont accumulées. Dans le filé on n'a couvert que le filé, dans le tissage on a couvert le filé et le tissu, dans la teinture on a couvert le filé, le tissu et la couleur, dans l'impression on a couvert le filé, le tissu, la couleur et l'indienne. On a même poussé la précaution jusqu'à couvrir de la même manière le blanchiment et l'apprêt. Plus de simplicité eût mieux convenu; on aurait pu s'épargner, sans préjudice pour les intérêts en litige, ce luxe de nomenclatures. Elles ne sont pas

seulement oiseuses, elles ouvriront la porte à des difficultés. Parmi ces droits il en est qui portent sur la valeur, d'autres sur le poids. Il n'est pas indifférent de remarquer qu'avec ce dernier mode, les droits excéderont promptement les proportions qu'on avait l'intention de leur assigner. Les articles ainsi taxés sont sujets à diminuer de prix, et avec les perfectionnements de l'industrie, c'est la chance la plus fréquente: dans ce cas un droit qui, à l'origine, représentait 10 p. 100 de la valeur, pourrait avec le temps représenter 12, 15 et même 20. Tels qu'ils sont, ces tarifs auront causé plus d'alarmes qu'ils ne contiennent de périls; en les voyant à l'essai, notre industrie apprendra à les regarder d'un œil plus ferme. S'ils l'obligent à plus d'efforts, ils sont suffisants pour la préserver. Je suis convaincu que, sous leur empire, notre marché sera à peine entamé et que nos fabricants en resteront les maîtres. Il est dur sans doute d'avoir à disputer un domaine où l'on commandait en repos et d'être contraint, pour cette défense, de faire les frais de meilleures armes. Il est dur aussi d'être en pleine paix réveillé par des alarmes inattendues. Mais les choses en sont là que le salut ne peut plus venir de la plainte ni du regret; il est tout dans l'action. Que l'industrie relève donc hardiment le défi qui lui est porté ! Dans les nécessités de la résistance elle trouvera ce qu'elle ignore, le secret de sa force, et s'en servira contre ceux qui l'auront poussée à bout. Notre habitude est moins d'attendre nos adversaires dans nos frontières que d'aller les chercher au dehors. Puisqu'on envoie notre industrie à l'école des Anglais, qu'elle s'y forme de manière à donner des leçons à ses professeurs. Ces marchés étrangers qu'ils gouvernent comme autant de fiefs ne sont pas si bien gardés qu'on n'y puisse pénétrer à leur suite et en s'appuyant de leurs exemples. Ils vont nous faire une loi de devenir actifs et habiles comme eux, soit; mais nous aurons à tourner contre eux les qualités qu'ils nous imposent. Ce trouble, dont ils sont cause, cette menace d'envahissement qui émeut les intérêts, notre industrie mieux armée les leur fera un jour connaître. Nous nous accoutumerons à les battre sur leur terrain et avec leurs procédés. Cette ambition ne nous est pas aussi interdite qu'on le croit généralement, et de toutes les formes de représailles, celle-ci est assurément la moins calamiteuse et la plus légitime.

La suite à un prochain numéro.

LOUIS REYBAUD,

de l'institut.

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Le sénatus-consulte du 31 décembre 1861 vient d'apporter à notre régime financier des modifications considérables; une part plus directe et plus effective a été attribuée au pouvoir législatif dans la fixation des dépenses, et le budget voté se trouve renfermé désormais dans des bornes infranchissables.

Nous n'avons pas l'intention d'indiquer ici les origines et les causes du régime nouveau, ni d'en déterminer la portée; ce serait revenir sur une discussion à peine close d'hier, et rappeler des souvenirs encore présents à tous les esprits. Mais, en présence de l'acte important qui vient de s'accomplir, il nous a paru qu'il ne serait pas sans intérêt de rechercher les traditions du passé, et d'exposer les règles qui, depuis la fin du dernier siècle, ont successivement présidé, en France, à la fixation des dépenses et de l'impôt. Tel est l'objet de cette étude (1).

I

« Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes, ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. »>

Ce principe, formulé en 1794, n'a cessé depuis de figurer dans nos diverses constitutions comme l'un des éléments du droit public de la France. Proclamé autrefois par les états généraux, il était, à partir de 1615, tombé en désuétude, sauf pour quelques provinces privilégées, connues sous le nom de pays d'Etats.

(1) Voir Exposés des motifs et rapports des budgets, Rapport au roi du 15 mars 1830; d'Audiffret, Système financier de la France; Léon Faucher, Mėlanges d'économie politique et finances, et autres ouvrages spéciaux sur la matière.

Mais, si la fixation des dépenses et de l'impôt n'appartenait pas, dans les deux derniers siècles de la monarchie, aux représentants de la nation, elle était du moins soumise à des règles précises et à des garanties certaines. Toute création, modification ou augmentation de taxe devait être enregistrée par les parlements et cours souveraines. Il n'y avait d'exception que pour la taille, dont le montant était, chaque année, déterminé pour toutes les généralités d'élection, par un brevet du conseil.

L'état des dépenses présenté, comme celui des recettes, par le contrôleur général, était arrêté par le roi, en conseil des finances. C'était également dans ce conseil que se réglaient, après apurement, les comptes des années précédentes (1).

Jusqu'aux derniers temps de la monarchie, l'état des recettes et dépenses ne reçut aucune publicité; destiné uniquement à guider la marche de l'administration, il demeura secret entre le souverain et les ministres exécuteurs de ses ordres. Necker fut le premier qui demanda et obtint de Louis XVI l'autorisation de le porter à la connaissance de la nation. Son compte rendu n'est pas, du reste, un budget complet; il ne comprend que ce qui était perçu et acquitté directement, en 1784, par le trésor royal. L'état présenté, en 1787, par Calonne à l'assemblée des notables est mieux conçu et donne l'ensemble de la situation financière d'alors.

La situation est exposée avec plus de développements encore dans le Compte général des revenus et des dépenses fixes, au 1er mai 1789, remis par Necker au comité des finances de l'Assemblée constituante.

D'après ce dernier bilan de l'ancienne France, les recettes devaient être évaluées à 475,294,000 liv., savoir :

[blocks in formation]

4° Postes, messageries, caisse de Sceaux et de Poissy, poudres et salpêtres et autres droits.....

15,520,000

(1) L'usage de réunir dans un état général les prévisions de recettes pour l'année suivante, afin de régler sur cet aperçu le chiffre des dépenses est, suivant Bodin (République, livre vi), antérieur au règne de Charles IX. Dès cette époque on connaissait non-seulement les comptes de prévoyance faits au commencement d'une année, pour régler la marche de l'administration pendant cette même année, mais encore les comptes effectifs d'une année révolue.

5o Loteries.....

14,000,000 liv.

Revenus casuels, marc d'or, monnaies, caisse du com

merce, etc.......

5,896,000

Intérêts de créances sur pays étrangers (dette des États

Unis et du duc des Deux-Ponts).

1,900,000

Les dépenses montaient à 531,533,000, et se répartissaient ainsi :

[blocks in formation]

Frais de régie et de perception à la charge du trésor, remises et modérations....

Dépenses diverses, variables et imprévues. (Ponts et chaussées, dépenses de Paris, primes au commerce, enseignement, frais de procédure et de prisonniers, dons et secours, etc)....

33,145,000

41,176,600

Les 475 millions de taxes inscrites au compte du 1er mai ne constituaient pas la totalité des charges qui pesaient sur les contribuables. Les fonds pour les dépenses des pays d'Etats, ainsi que des villes et communautés, n'y figuraient pas, non plus que la plupart des frais de perception et de régie des impositions indirectes que les compagnies, auxquelles ces impositions étaient affermées, prélevaient sur les produits bruts, en dehors du prix du bail; les travaux des routes s'exécutaient en grande partie par corvées; les dimes ecclésiastiques et inféodées s'élevaient à 133 millions; les péages, banalités et autres droits seigneuriaux à 36, etc. En somme, l'Adresse aux Français du Comité des contributions publiques, en date du 22 juin 1791, à laquelle nous empruntons ces deux chiffres, évalue, très-largement il est vrai, à plus de 770 millions l'ensemble des taxes et perceptions du régime antérieur à 1789.

Les finances furent une des premières et principales préoccupations de l'Assemblée constituante; les principes qu'elle a posés sur cette matière, dans la Constitution du 14 septembre, sont ceux qui régissent encore aujourd'hui notre législation.

La Déclaration des droits de l'homme (art. 13) proclame que, « pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses de l'admi

« PrécédentContinuer »