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Depuis 4824, les contingents départementaux n'ont pas été modifiés législativement; ils n'ont subi d'autre changement que celui résultant de l'imposition des constructions nouvelles et du retranchement de la contribution des maisons démolies, en vertu de la loi du 17 août 1835. Les départements surchargés n'ayant pas cessé de réclamer, la loi du 7 août 4850 prescrivit une nouvelle évaluation des revenus territoriaux, à l'effet de réunir les éléments nécessaires pour opérer le nivellement de l'impôt foncier. Les déclarations de M. le Ministre des finances firent connaître, dès cette époque, que l'intention du Gouvernement était d'appliquer au dégrèvement des départements surchargés, l'accroissement des recettes que procurent annuellement les constructions nouvelles et les patentes. Ces déclarations furent confirmées par une circulaire du Ministre, adressée aux préfets le 2 juin 1851, et dans laquelle il était dit: Aucun département ne peut donc craindre que la nouvelle évaluation des revenus territoriaux ait pour conséquence une augmentation de son contingent actuel.

Le travail prescrit par la loi du 7 août 1850 a été exécuté, mais il n'a pas encore reçu d'application. Il résulte d'une note émanée de l'administration des contributions directes, et citée par M. de Parieu dans ses Études sur l'impôt (1), que le revenu territorial de la France, accusé par la nouvelle évaluation, serait de 2 milliards 645 millions (2); que la proportion moyenne de l'impôt foncier en principal est, pour tous les départements et pour toutes les natures de propriétés, de 6, 06 p. 100, et, en ce qui concerne la propriété bâtie seulement, de 6,38 p. 100; que le département le plus maltraité est celui de Tarn-et-Garonne, qui paie 9,07 p. 100, tandis que le département le plus ménagé est l'Ardèche, qui ne paie que 3,74 p. 100. Enfin, que les autres départements se classent entre les deux extrêmes de 9,07 et 3,74 (3).

Nous n'avons rappelé ces faits que pour montrer combien sont grandes les inégalités de la répartition actuelle, puisque l'impôt foncier est, dans certains départements, presque trois fois plus élevé que dans d'autres départements. Une semblable situation, si manifestement contraire aux principes d'égalité proportionnelle, proclamés par les écono

(1) Journal des Economistes, livraison de mars 1859.

(2) Il n'était, en 1821, d'après un semblable travail exécuté en 1820, que de 1,580 millions.

(3) La même note constate que 48 départements sont au-dessus de la moyenne de 6,06 0/0 et 37 au-dessous (la Corse non comprise). Le plus grand nombre des départements aurait donc intérêt à ce qu'il fût procédé à une nouvelle répartition. Les départements désignés comme étant les plus imposés sont ceux de Tarn-et-Garonne, Aude, Lot, Cantal, Lozère, Morbihan, Dordogne, Lot-et-Garonne, Tarn, etc.

mistes et par la législation, appelle évidemment une réforme (1): elle sera accomplie par la réalisation entière des vues qui ont motivé la loi précitée, et elle peut l'être sans diminuer les ressources actuelles du Trésor, ainsi que nous croyons l'avoir établi dans un écrit intitulé: Observations sur la question du renouvellement du cadastre et sur celle d'une nouvelle répartition de la contribution foncière (2).

Les inégalités n'existent pas seulement dans la répartition des contingents départementaux: dans le même département on les retrouve de commune à commune, et elles s'étendent jusqu'à la répartition individuelle, les diverses natures de propriétés étant souvent, dans la même commune et par suite de circonstances indépendantes de la volonté des propriétaires, imposées dans des proportions différentes et qui varient au moins autant que le rapport de l'impôt entre les départements. Ici, des bois paient le tiers de leur revenu net, tandis que les terres labourables ne sont imposées qu'au dixième; là, la surcharge porte sur les prés; ailleurs, sur les vignes; enfin, la proportionnalité, que le cadastre avait établie entre les différentes natures de propriétés de la même commune, s'est trouvée détruite par un grand nombre de causes, parmi lesquelles on doit citer les besoins et les goûts des populations, les progrès inégaux des diverses branches de culture, l'établissement de nouvelles voies de communication, les intempéries, enfin les changements survenus dans la quantité et dans la valeur relative des produits, par suite, nous le répétons, de circonstances tout à fait indépendantes de la volonté et de l'action des propriétaires.

En présence de ces changements, lorsque le revenu est profondément modifié, l'impôt doit-il toujours rester le même ? L'équité, la justice distributive répondent non. Si quelques savants économistes se sont prononcés pour la fixité de l'impôt foncier, d'autres économistes, non moins éminents, ont émis un avis contraire. Ainsi, M. Rossi et M. Rau en ont signalé les inconvénients, et ils ne l'admettent pas plus que J.-B. Say et Adain Smith, disant que chacun doit contribuer aux charges de l'État, en proportion de son revenu, doctrine évidemment opposée à un système dont les conséquences seraient de faire payer aux uns, relativement, jusqu'à deux ou trois fois plus qu'aux autres. Rappelons aussi que M. de Parieu a exposé dans ce journal (3) de nombreuses et excellentes raisons pour justifier la mobilité de l'impôt foncier, dans le sens du maintien de sa proportionnalité et dans la me

(1) La France ne voudra pas rester, sous ce rapport, en arrière d'autres pays, tels que la Prusse, la Belgique, etc., où l'on s'occupe sérieusement de la péréquation de l'impôt foncier.

(2) Brochure in-8°, Imprimerie administrative de Paul Dupont, 1861. (3) 2 série, tome XXII, pages 336 et suivantes.

sure de ce qui peut le mieux concilier tous les droits et tous les intérêts (4).

Mais, d'ailleurs, la question de la fixité de l'impôt foncier est, depuis longtemps, négativement résolue par la pratique administrative, par les votes des conseils généraux et par l'ensemble de notre législation. Comment, en effet, pourrait-on concilier l'idée d'un impôt invariable avec les mesures qui, depuis soixante ans, ont produit les nombreux changements survenus dans la répartition de la contribution foncière? Si la fixité était obligatoire, pourquoi, dans un grand nombre de départements, les conseils genéraux ont-ils procédé à de nouvelles sous-répartitions, réduisant les contingents de certaines communes, et augmentant ceux d'autres communes? Pourquoi le législateur les a-t-il autorisés à statuer sur les réclamations des communes qui se croient surtaxées ? Pourquoi, enfin, la loi du 7 août 1850 (article 7) a-t-elle permis aux communes de renouveler leur cadastre, c'est-à-dire de modifier la répartition individuelle de leur impôt foncier, à la seule condition qu'elles supporteraient les frais du renouvellement, permission dont quelques communes ont usé, et dont l'effet aurait été beaucoup plus étendu si les départements avaient conservé la faculté de contribuer à la dépense?

Ces actes et ces faits prouvent évidemment que la fixité n'existe, ni en fait, ni en droit; c'est une théorie adoptée par quelques économistes, repoussée par d'autres, et que la loi, la raison et le vœu des populations ont depuis longtemps condamnée. On réclame, en effet, de toutes parts, le renouvellement du cadastre, et on le demande précisément pour faire cesser ces inégalités que le système de la fixité tendrait à perpétuer, et pour rétablir la proportionnalité de l'impôt foncier entre tous les contribuables, proportionnalité conforme à la justice et à l'un des principes fondamentaux de notre droit public.

Nous pourrions ajouter d'autres observations, mais les bornes de cet article ne nous permettent pas de compléter ici une démonstration qui, du reste, a été faite, avec les développements convenables, dans les écrits déjà cités. Ce qui précède nous paraît, d'ailleurs, suffisant pour faire comprendre la nécessité du renouvellement cadastral et celle du nivellement de la contribution foncière par voie de dégrèvement (2).

(1) S'il nous était permis de nous citer nous-même, nous indiquerions aussi les pages 8 à 14 de la brochure précité : Observations, etc.

(2) Le renouvellement du cadastre n'importe pas seulement à la bonne répartition de l'impôt foncier; il est également réclamé dans l'intérêt de plusieurs services publics qui ont de tout temps emprunté au cadastre les plus utiles renseignements, et il est devenu indispensable dans la plupart des communes, pour pouvoir effectuer régulièrement le travail annuel et important des mutations foncières.

CONTRIBUTION PERSONNELLE ET MOBILIÈRE.

Ainsi qu'on l'a dit plus haut, la même base vicieuse fut appliquée, en 1791, à la première répartition de la contribution foncière et à celle de la contribution mobilière, et ces deux opérations donnèrent lieu à de nombreuses et légitimes réclamations; celles concernant la contribution personnelle et mobilière furent même les plus nombreuses et les plus vives, parce que la richesse mobilière, à cette époque, n'était pas en rapport avec les 60 millions qu'on lui demandait. Des dégrèvements successifs furent accordés aux départements les plus imposés; le principal de cet impôt, qui avait été fixé pour l'an vi à 50 millions, fut réduit l'année suivante à 30 millions. Il n'était plus, en 1815, que de 27 millions, chiffre auquel il fut maintenu jusqu'en 1830.

La loi du 26 mars 1831 convertit la contribution personnelle en impôt de quotité et laissa subsister l'ancien mode de répartition pour la contribution mobilière, dont le montant en principal fut fixé à 24 millions. Après un essai dont les résultats furent peu satisfaisants, la loi du 21 avril 1832 rétablit, pour la contribution personnelle, l'ancien ordre des choses, et le principal des contributions personnelle et mobilière, de nouveau réunies, fut définitivement fixé à 34 millions.

Un tableau annexé à la loi du 18 avril 1834, qui procéda à une nouvelle fixation des contingents départementaux, constate que les valeurs locatives d'habitation s'élevaient, à cette époque, pour les 86 départements, à 393 millions, et que la proportion des contingents départementaux, comparée au montant des valeurs locatives, variait depuis 1/9, 79 jusqu'à 1/28, 22, c'est-à-dire que, relativement à leurs valeurs locatives, certains départements étaient trois fois plus imposés que d'autres. Un dégrèvement de 3 millions fut accordé par la même loi au cinquantedeux départements les plus imposés, pour les ramener à la proportion de 1/15, 29; mais trente-quatre départements restèrent imposés du 15 au 28° du montant de leurs valeurs locatives, et quelques-uns d'entre eux continuèrent à ne payer, relativement à leurs forces contributives, que la moitié environ de la charge imposée à d'autres départements. Il résulte d'un tableau qui a été publié dans un ouvrage de M. le chevalier de Hock (1), comme étant émané du ministère des finances, qu'en 1856 le montant des loyers imposables à la contribution mobilière était évalue à 513 millions, avec une atténuation de 10 à 20 p. 100, ce qui revenait à environ 600 millions. En tenant compte des nombreuses constructions élevées en France depuis six ans, et de l'augmentation toujours croissante du prix des loyers, on estime qu'il dépasse

(1) Administration financière de la France, 1859.

aujourd'hui le chiffre de 700 millions. Le même tableau constate aussi ce fait que les départements les plus importants et les plus riches (Bouches-du-Rhône, Haute-Garonne, Rhône, Seine, Seine-Inférieure, Seine-et-Oise, etc.), ne sont imposés à la contribution personnelle et mobilière que dans la proportion de 5 à 6 p. 100 du montant de leurs valeurs locatives d'habitation, tandis que les départements qui ont le moins de ressources (Hautes-Alpes, Ariége, Cantal, Corrèze, Lot, Lozère, Basses-Pyrénées, Tarn, etc.), paient plus de 10 p. 100 de leurs valeurs locatives, c'est-à-dire deux fois plus que les premiers dépar

tements.

Enfin, on y voit que la proportion entre le nombre des cotes personnelles et le chiffre de la population varie sensiblement de département à département, et que, tandis que dans quelques départements le nombre de ces cotes est égal seulement au huitième de la population, il est du tiers au quart dans d'autres départements.

Ces faits sont très-instructifs; ils signalent une grande inégalité dans les résultats de l'application de la loi sur la contribution personnelle mobilière; ils montrent aussi quelques-uns des vices de la répartition de cet impôt. Mais son défaut capital, outre les inconvénients de certaines combinaisons regrettables et trop fréquentes, dont nous parlerons plus loin, consiste dans l'uniformité de la cote personnelle pour tous les contribuables de la même commune et quelquefois du même canton ou du même arrondissement. Cette taxe, dit-on, a remplacé l'ancienne capitation; mais celle-ci variait depuis 1 fr. jusqu'à 2,000 fr., selon la position ou la fortune des redevables, tandis que le taxe personnelle est aujourd'hui la même pour le contribuable le plus riche et pour le moins aisé (1). On ajoute qu'elle est corrigée par la contribution mobilière qui atteint celui-là plus que celui-ci; mais, si la contribution mobilière est un correctif, si (ce qui est vrai) elle repose sur une base plus équitable, le loyer d'habitation, pourquoi n'appliquerait-on pas cette seule base, ce qui dispenserait de tout correctif? La taxe personnelle a pu avoir sa raison d'être lorsqu'elle conférait des droits politiques; aujourd'hui elle ne répond à aucun besoin; elle est onéreuse aux petits contribuables, une cause permanente de contes

(1) On adressait le même reproche au timbre de la formule de patente, qui coûtait 1 fr. 25 c. au plus petit patentable comme au plus grand industriel. Cela n'a pas paru juste; et bien que ce fait eût été pris en considération lors du premier établissement du tarif des patentes, le gouvernement n'a pas moins jugé à propos de supprimer le timbre des formules de patentes, et d'en ajouter le produit (environ 1,800,000 fr.) à titre de centimes additionnels, au principal de la contribution (loi du 4 juin 1858, art. 12), ce qui a déplacé la charge en la faisant supporter plus particulièrement par les forts patentables.

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