Images de page
PDF
ePub

tations dans les communes, et une source de difficultés et d'embarras pour les répartiteurs et pour l'administration.

La taxe personnelle est onéreuse pour les petits contribuables, parce que, bien que le taux en soit peu élevé (de 4 fr. 50 à 4 fr. 50), il est souvent hors de proportion avec leurs facultés et avec le signe normal et légal qui les représente, le loyer d'habitation. Dans la plupart des communes rurales, la taxe personnelle d'un grand nombre de petits contribuables, cultivateurs et ouvriers vivant de leur travail, excède leur contribution mobilière; quelques-uns même ne sont imposés qu'à la taxe personnelle, à cause de leur position voisine de l'indigence et de l'extrême faiblesse de leur loyer. Il est évident que, pour ces contribuables, la proportionnalité de l'impôt n'existe pas, et que, relativement, ils éprouvent une surcharge d'autant plus regrettable qu'elle est supportée par les habitants les moins aisés. D'ailleurs, indépendamment du taux de l'impôt, il y a la question d'équité, et le bon sens public proteste contre l'application d'une taxe uniforme à des situations tout à fait différentes. La suppression de cette taxe, en donnant satisfaction à l'intérêt lésé des petits contribuables, produirait, outre le résultat matériel, un excellent effet moral dont il y aurait lieu, croyons-nous, de tenir un grand compte.

La taxe personnelle est une cause permanente de contestations dans les communes. En effet, il faut, tous les ans, y agiter la question de savoir quels seront les individus qu'on imposera à cette taxe, pour l'année suivante, et ceux qu'on n'imposera pas. La loi (1) charge les commissaires répartiteurs assistés du contrôleur des contributions directes de rédiger la matrice de la contribution personnelle et mobilière, et d'y porter tous les habitants, majeurs ou mineurs, jouissant de leurs droits, et non réputés indigents. Elle veut, de plus (article 18), que le travail des répartiteurs soit soumis au conseil municipal qui, dit-elle, « désignera les habitants qu'il croira devoir excepter de toute cotisation et ceux qu'il jugera convenable de n'assujettir qu'à la taxe personnelle. >>

On comprend combien est délicate et difficile la mission des répartiteurs et celle du conseil municipal: ces désignations d'habitants à imposer et d'habitants à exempter exigent de sérieuses et pénibles investigations, et donnent lieu à de nombreuses réclamations et à toutes sortes d'embarras. Quelle sera la limite des imposables? à quels signes reconnaîtra-t-on l'indigence? Et remarquez bien qu'outre les indigents exemptés par la loi, puisqu'elle dit aux répartiteurs de ne point les inscrire sur la matrice, d'autres habitants (sans doute les peu aisés

(1) Loi du 21 avril 1832, article 17.

et les malaisés) peuvent être exemptés par le conseil municipal. D'après quelles règles désignera-t-on les habitants? Si l'on exonère ceux-ci, ceux-là ne pourront-ils pas se plaindre? Pourquoi, dans certaines communes, se montre-t-on très-large dans l'application de la loi? Pourquoi, ailleurs, les exemptions sont-elles très-rares ou même entièrement refusées?

On voit là une grande marge pour les faveurs et l'arbitraire; et les influences plus ou mois légitimes, plus ou moins intéressées, peuvent se donner et se donnent, en effet, libre carrière. C'est un mal; c'est une dérogation au principe général en matière de contributions directes, lequel veut que l'impôt soit établi sur des bases certaines, excluant toute appréciation vague ou arbitraire. Aussi, la répartition de la contribution personnelle et mobilière présente-t-elle beaucoup de difficultés et donne-t-elle lieu à un grand nombre de réclamations et de non-valeurs. Il est des communes où l'on multiplie, le plus possible et jusqu'à l'abus, les cotes personnelles, afin de ménager la contribution mobilière qui ne se compose, comme on le sait, que de la portion du contingent non acquittée par les cotes personnelles. Dans quelques communes ces cotes prennent ainsi la presque totalité du contingent, et il n'en reste qu'une très-faible partie à répartir en cotes mobilières (1); on va, dans la même intention, jusqu'à imposer des indigents, dont les cotes, ne pouvant être recouvrées, devront plus tard, être allouées en non-valeurs; et, par ce facile moyen, quelques communes se dispensent d'acquitter l'intégralité de leur contingent (2).

Ce n'est pas tout: la loi étant différeinment interprétée par l'administration et par le conseil d'État, il arrive ceci : La matrice annuelle n'est pas soumise au conseil municipal, et si des indigents y ont été portés par erreur ou autrement, ils sont légalement imposés et doivent payer, dit le conseil d'État, attendu que le conseil municipal ne les a point exemptés. Vainement on représente que le conseil municipal n'a

(1) Ces combinaisons contribuent à augmenter les inégalités de répartition de la contribution mobilière, qui est très-élevée dans certaines communes et très-faible dans d'autres localités.

(2) On pourrait signaler d'autres inconvénients, plus ou moins graves, résultant de l'existence de la taxe personnelle. Par exemple, lorsqu'il s'agit de répartir, sur les quatre contributions, des centimes additionnels ou des impositions locales ordinaires ou extraordinaires, cette répartition se fait au prorata du montant des quatre contributions, sans déduction du produit des taxes personnelles. Cependant, dans la répartition individuelle, ces dernières taxes ne supportent pas de centimes additionnels (article 19 de la loi du 21 avril 1832). Il en résulte que la contribution mobilière est beaucoup plus chargée de centimes de cette nature que les contributions foncière, des portes et fenêtres et des patentes.

pas les exercices, puisque la matrice ne lui a point été communiquée; que les indigents ne peuvent être victimes d'une omission ou d'une négligence de l'administration; que, d'ailleurs, ils sont exemptés, de plein droit, par la loi (art. 17), et que si les répartiteurs reconnaissent l'erreur commise, les cotes doivent être allouées en décharge pour être réimposées sur la commune. Ces raisonnements, quoique très-judicieux, ne sont pas écoutés ; les indigents restant inscrits sur le rôle, on les poursuit, on fait des frais; des mécontentements et des plaintes légitimes sont provoqués; les uns payent en murmurant et après avoir pris sur le plus strict nécessaire, en ajoutant à leurs privations. Quant aux autres, chez lesquels on n'a rien trouvé à saisir, il ne reste que la ressource de l'allocation en non-valeurs, qui n'est accordée qu'après de longues démarches, des vérifications, des écritures et une perte de temps infiniment regrettable sous tous les rapports, car les contribuables ne sont pas les seuls qui souffrent et se plaignent de cet état de choses; l'administration et ses agents en subissent aussi les fàcheuses conséquences, et ils doivent désirer, comme les contribuables, qu'il y soit promptement remédié.

Ce tableau, exempt d'exagération, en tout point conforme à la vérité, ne montre-t-il pas la nécessité de modifier l'assiette de la contribution dont il s'agit?

Les inconvénients dont nous venons de parler disparaîtraient ou seraient au moins considérablement atténués si l'on faisait la seule chose logique, juste, nécessaire et d'ailleurs facile : la suppression de la taxe personnelle et la répartition de la totalité du contingent en cotes mobilières établies d'après le loyer d'habitation.

Nous venons de dire ce qui doit faire condamner la taxe personnelle. Ses inconvénients l'ont fait supprimer dans plusieurs États de l'Europe, et là où elle existe encore, elle a été généralement graduée, de manière à tenir compte de la situation des redevables. En France, la même marche a été adoptée, par les mêmes motifs, dans plusieurs grandes villes (1), où la taxe personnelle, supprimée depuis plusieurs années, est rachetée sur les produits de l'octroi, et où la contribution mobilière est répartie d'après un tarif qui exonère plus ou moins les petits loyers.

Adam Smith a ainsi apprécié la capitation ou taxe personnelle : « Cet impôt, dit-il, se lève à peu de frais, et, quand on l'exige à la rigueur, il rapporte un revenu sûr à l'Etat. C'est par cette raison qu'il est très-commun dans les pays où l'on fait peu d'attention au bien-être et au soulagement des rangs inférieurs du peuple. Il ne fait pourtant, en général, qu'une petite partie du revenu public dans un grand

(1) Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux. Strasbourg, etc.

empire, et on pourrait toujours tirer ce qu'il fournit par quelque autre voie beaucoup moins onéreuse au peuple. >>

Cette voie, pour la France, on vient de l'indiquer, et c'est celle que toutes les études antérieures ont fait recommander comme la meilleure qui pût être adoptée pour une répartition proportionnelle de l'impôt mobilier.

Gervaise, dans son Traité des contributions directes (1), s'exprime ainsi : « La fortune de tout particulier, fonctionnaire, propriétaire ou autre, est présumée d'après l'étendue et le luxe des habitations. La base de la cotisation consiste dans la valeur locative de l'habitation et dans le nombre des locaux dont elle se compose, constaté par celui des jours qui servent à l'éclairer. Ces signes de richesse peuvent tromper de tel individu à tel autre, mais la règle générale n'est pas moins fondée en raison. L'égalité proportionnelle est observée toutes les fois que la loi a déterminé le signe indicatif de la fortune, que ce signe est commun à tous, et que chacun est taxé en conséquence, »>

Dans le rapport au roi sur l'administration des finances (1830), le ministre (M. de Chabrol), disait, page 44 « J'ai également reconnu que le prix des loyers était avec raison la seule base qui ait été conservée pour l'appréciation des valeurs mobilières, et que toutes les autres combinaisons, même celle de la population, ne pourraient conduire qu'à de vaines conjectures plus propres à égarer qu'à éclairer les recherches. >>

On lit dans l'ouvrage de MM: Macarel et Boulatignier (De la fortune publique en France), tome III, page 252: «... Éclairée par l'expérience, l'administration proposa, en 1820, à la législature, de fixer le contingent mobilier des départements, des arrondissements et des communes, d'après une base unique les valeurs locatives d'habitation.

« L'administration, en proposant cette base, la législature, en l'adoptant (loi du 22 juillet 1820, art. 29), ne se dissimulèrent point que cette simple donnée ne fournissait, pour découvrir les ressources de la fortune mobilière, que des indications insuffisantes, des évaluations susceptibles de controverse; mais on se résigna à prendre le seul indice que l'expérience eût fourni pour une appréciation dont les nombreux éléments seront toujours très-difficiles à saisir. »

De tout ce qui précède, nous croyons pouvoir conclure qu'il serait équitable desupprimer entièrement la taxe personnelle et d'en réunir le montant (14 à 15 millions), à la contribution mobilière, pour répartir la totalité de l'impôt (38 millions en principal) entre les départements, les

(1) Tome Ier, page 69.

arrondissements, les communes et les contribuables, sur la base unique des loyers d'habitation. Par ce moyen plus de 4,300,000 contribuables, généralement les plus malheureux, qui ne sont aujourd'hui imposés qu'à la taxe personnelle (1), se trouveraient complétement exonérés. Quant à la contribution mobilière, le total des loyers d'habitation étant évalué à 700 millions, le principal du nouvel impôt mobilier équivaudrait au vingtième environ du montant des loyers (2), ce qui ne serait pas excessif dans la plupart des communes et surtout dans les communes rurales où le prix des locations est généralement peu élevé, et qui gagneraient à ce changement. Quant aux grandes villes où le renchérissement des loyers rendrait la contribution mobilière trop onéreuse pour la classe moyenne et la classe ouvrière, elles pourraient, à l'exemple de ce qui se fait déjà dans plusieurs de ces villes (3), acquitter une partie

(1) En 1859, le nombre des cotes mobilières était d'environ 5,750,000, tandis que celui des cotes personnelles dépassait 7 millions.

(2) En ajoutant au principal les centimes additionnels dont la quotité varie de département à département, et même de commune à commune, cette proportion serait nécessairement plus élevée, mais elle n'excéderait pas, en moyenne, le taux de 10 p. 100.

Au reste, un exemple fera mieux comprendre quels seraient les effets de cette mesure soit une commune dont le contingent personnel mobilier, en principal, est de 1,000 fr., dont 420 fr. sont acquittés par les cotes personnelles au nombre de 200, et 580 fr. répartis en contribution mobilière. Les loyers d'habitation sont évalués, dans cette commune, à 20,000 fr. (les loyers matriciels, par suite d'atténuation, ne montent qu'à 8,000 fr., mais cela importe peu à notre raisonnement). Après la suppression des cotes personnelles, dont chacune est de 2 fr. 10 c., prix de trois journées de travail à 70 c., la totalité du contingent (1,000 fr. au lieu de 580 fr.) sera répartie en cotes mobilières sur 20,000 fr. de loyers d'habitation; ce qui mettra la contribution, en principal, au 20 des loyers. Tous les habitants, excepté les indigents, seront imposés à cette contribution; mais tel habitant, ouvrier mal aisé, dont le loyer réel, dans une commune rurale, ne s'élève pas à plus de 40 fr., ne sera imposé, pour ce loyer, qu'à 2 fr. en principal, tandis que, aujourd'hui, il paye une cote personnelle de 2 fr. 10 c. et une cote mobilière d'environ 1 fr. 30 c., soit 3 fr. 40 c.; ou 70 p. 100 de plus qu'il ne payerait dans le système proposé. - 1 fr. 70 c. de moins, c'est peu, dira-t-on: oui, pour les gens aisés; non, même matériellement, pour une foule de petits contribuables, et pour tous, sous le rapport de l'équité. Au reste, la réduction serait plus forte si le gouvernement accordait un dégrèvement général sur la contribution mobilière.

Il n'est pas besoin de faire observer que les centimes additionnels, dont le montant, comme on l'a déjà dit, varie de commune à commune, rendent la charge plus lourde et élèvent aussi la quotité de la différence entre les deux systèmes, sans détruire l'exactitude de la comparaison qui précède.

(3) Paris, Bordeaux, Marseille, Lyon, Strasbourg, etc.

« PrécédentContinuer »