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et qui laissait à la disposition des ordonnateurs des sommes considérables, que ne réclamaient pas toujours les besoins du service (4), et cet état de choses était inévitable lorsque la durée de l'exercice ne se trouvait pas renfermée dans des limites certaines, lorsque aucun terme légal n'était assigné à la liquidation, à l'ordonnancement et au paiement des dépenses, et surtout lorsque les ministres ordonnateurs, à défaut d'une comptabilité centrale, ne pouvaient avoir une entière connaissance des actes émanés de leur département, qui avaient engagé l'État et leur responsabilité personnelle.

L'administration des finances, reconnaissant l'urgence d'une réforme à cet égard, avait déjà pris d'elle-même l'engagement de la réaliser ; et tel fut en partie l'objet de l'ordonnance du 14 septembre 1822, dont nous devons reproduire les principales dispositions.

L'exercice fut nettement défini quant à sa durée. « Seront seules considérées, dit l'article 4, comme appartenant à un exercice, les dépenses résultant d'un service fait dans l'année qui donne son nom audit exercice; les crédits ne peuvent être employés à aucune dépense appartenant à un autre exercice que celui pour lequel ils sont ouverts. La répartition par ordonnance royale des crédits entre les divers chapitres des budgets ministériels devra précéder toute disposition de fonds (art. 2). Cette répartition sera annexée annuellement aux comptesrendus par les ministres, lesquels ne pourront excéder les sommes ainsi allouées à chaque service que dans le cas de circonstances extraordinaires et imprévues, dont ils seront tenus de fournir la justification dans leurs comptes. Chaque mois le ministre des finances proposera au roi, d'après la demande de ses collègues, la distribution des fonds dont ils auront à disposer pour le mois suivant (art. 5 et 6). Les ministres ne pourront accroître par aucune recette particulière, soit vente d'objets mobiliers ou immobiliers, soit même restitution de sommes induement payées sur leurs crédits, après clôture de compte d'exercice, le montant des crédits affectés aux dépenses de leurs services (art. 3) [titre 1].

Le titre II s'occupe de l'ordonnancement des dépenses. Toute ordonnance pour être admise doit porter sur un crédit régulièrement ouvert et se renfermer dans la limite des distributions mensuelles de fonds. Elle énoncera l'indication de l'exercice et du chapitre du crédit auxquelles elle s'applique (art. 8 et 11). Après avoir traité du paiement

(1) C'est ainsi que les budgets des années 1821 et antérieures ont été réglés avec des crédits excédant leurs besoins réels de près de 18 millions, qui n'ont été retirés aux ordonnateurs qu'à la suite d'une liquidation laborieuse et par six lois consécutives rendues sur les mêmes exercices. (Rapport au roi sur l'ordonnance du 23 décembre 1829.)

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(titre II), l'ordonnance règle ce qui est relatif aux comptes (titre Iv); les ministres établiront leur comptabilité respective d'après les mêmes principes, les mêmes procédés et les mêmes formes. Les résultats des comptabilités ministérielles seront rattachés successivement aux écritures et au compte général des finances qui doivent servir de base au règlement définitif des budgets (art. 48). Toutes les dépenses d'un exercice devront être liquidées et ordonnancées dans les neuf mois qui suivront l'expiration de l'exercice et de manière que le compte définitif puisse en être établi et arrêté au 31 décembre de l'année suivante (art. 20). Les dépenses qui n'auraient pas été liquidées, ordonnancées ni payées avant l'époque de la clôture du compte, ne pourrront être acquittées qu'au moyen d'une ordonnance royale qui en autorisera l'imputation sur le budget de l'exercice courant (art. 21). La cour des comptes constatera et certifiera au roi, d'après le relevé des comptes individuels qui lui sont soumis, l'exactitude des comptes généraux publiés par les ministres (art. 22).

Le régime d'ordre, établi par l'ordonnance de 1822, ne tarda pas à porter ses fruits. Dès 1824, la comptabilité se trouvait dégagée des opérations de neuf budgets, qu'elle avait été obligée jusqu'alors de suivre concurremment; et, depuis cette époque, elle n'a plus eu à retracer que les comptes de deux exercices, dont l'un achève son cours et l'autre commence le sien. Le nouveau système eut aussi pour effet d'accélérer la marche de tous les services publics et l'acquittement de leurs dépenses, au point de restreindre à un terme moyen de quatre à cinq cent mille francs la somme restant à payer, en fin d'exercice, à des créanciers qui avaient omis de se présenter dans les délais déterminés; faible charge qui n'est jamais de nature à affecter les prévisions des lois de finances. L'année suivante (1823), une ordonnance du 10 décembre fixa l'objet spécial et le cadre invariable des divers tableaux qui devaient être présentés par les ministres aux chambres pour l'apurement de leurs comptes. La même ordonnance institua une vérification supérieure et préalable de ces comptes, en chargeant une commission, composée de membres du Conseil d'Etat et de la Cour des comptes (1), d'opérer annuellement le rapprochement des résultats des écritures centrales des finances et de celles de chaque ministère, ainsi que d'en constater la concordance par un procès-verbal rendu public.

Enfin, l'ordonnance du 9 juillet 1826 investit la Cour des comptes de l'importante mission d'attester, par des déclarations générales, communiquées aux Chambres (2), la conformité des faits soumis à ses véri

(1) Auxquels des membres des deux chambres ont été adjoints depuis 1830.

(2) Les déclarations de conformité durent être remises par la cour des

fications avec ceux énoncés dans les comptes législatifs présentés pour chaque exercice par les dépositaires du pouvoir. Le contrôle de la comptabilité ministérielle se trouvait ainsi efficacement complété.

L'ordonnance de 1822 n'avait pas eu seulement pour but d'assurer aux chambres les moyens de procéder, en connaissance de cause, au règlement définitif des budgets; le gouvernement s'était aussi proposé de donner, par cette ordonnance, jusqu'à un certain point, satisfaction aux vœux exprimés en faveur d'une spécialité plus étroite des dépenses. La spécialité ministérielle, créée par la loi de 1817, fut soumise à des règles sévères; la répartition royale dut désormais précéder toute disposition de fonds, c'est-à-dire être opérée avant l'ouverture de l'exercice; les ministres furent tenus, sauf les cas imprévus et extraordinaires, de renfermer les dépenses de chaque service dans les limites de cette répartition. C'était beaucoup pour l'ordre sans doute, mais ce n'était pas assez pour prévenir le désaccord, les conflits; un empiètement des chambres, consacré par l'usage dont nous avons signalé l'origine en 1818, y fournissait aisément matière; le vote, légalement restreint au chiffre général de chaque ministère, s'était insensiblement étendu à certaines subdivisions de ce chiffre, qui formaient des spécialités parlementaires pour lesquelles intervenait avec les ministres une sorte de contrat (1); mais l'ordonnance de répartition ne tenait pas toujours compte de ce contrat, et quelquefois même augmentait certains services sur lesquels des réductions avaient été imposées ou consenties.

D'autre part, au point de vue des crédits extra-budgétaires, l'ordonnance de 1822 laissait subsister une confusion regrettable; aux termes de la loi, les excédants de dépenses ne devaient être autorisés que pour des cas extraordinaires et imprévus; ces prescriptions étaient d'une application facile, lorsqu'il s'agissait, soit de dépenses fixes, telles que les rentes perpétuelles, les traitements, etc., soit de travaux (ponts et chaussées, routes, fortifications) dont le développement pouvait être

comptes à une époque assez rapprochée de l'ouverture de chaque session pour que l'exactitude du dernier règlement du budget pût être confirmée, avant qu'il fût statué sur les résultats du nouveau règlement proposé par l'exercice suivant. L'ordonnance du 9 juillet 1826 avait décidé que les budgets seraient réglés sur les recouvrements et les payements effectifs. Une ordonnance du 23 décembre 1829 prescrivit le mode suivant lequel durent être retracés dans les comptes tous les faits consommés sur chaque exercice, depuis l'époque de sa clôture jusqu'à l'apurement final.

(1) Quelques-unes de ces spécialités parlementaires avaient même été inscrites au budget. Ainsi, pour le ministère des finances, chaque grand service y était distinctement porté. (Budget de 1828.)

annuellement déterminé avec précision; mais il n'en était pas de même pour les rentes viagères, les pensions, les frais de justice, les frais de trésorerie, de négociation, de perception, les primes ainsi que les vivres, les fourrages et l'habillement des armées de terre et de mer, et autres services semblables. La nature essentiellement variable de ces services ne permettait d'inscrire au budget qu'une évaluation très-provisoire, dont le chiffre, fixé longtemps à l'avance, ne concordait que rarement avec celui de la dépense réellement faite; de là, nécessité de recourir à des suppléments de crédits; mais, comme les dépenses appartenaient au service ordinaire et prévu, toute allocation de cette nature leur était légalement interdite, et les ministres, en s'en faisant ouvrir par ordonnances, se mettaient ensuite dans l'obligation de solliciter des chambres un bill d'indemnité.

Ce fait se reproduisait chaque année; en le signalant de nouveau, dans son rapport du 19 avril 1827, la commission des crédits supplémentaires de 1825 émettait le vœu qu'il y fût porté remède, et proposait dans ce but de généraliser un procédé appliqué par le ministre des finances à quelques-unes des dépenses de son département, lequel consistait à ne considérer, pour les crédits dont l'évaluation était nécessairement incertaine, que le service comme voté, la somme portée au budget étant une simple hypothèse qui devait se réaliser en plus ou en moins et donner par suite lieu, dans la loi des comptes, à une annulation ou à un complément de crédit. La loi annuelle des crédits supplémentaires, ainsi ramenée à sa véritable destination, ne devait plus avoir pour objet que de faire face à des besoins imprévus et urgents.

La solution indiquée par la commission de 1827 n'était pas la seule qui eût été proposée pour mettre un terme à la situation anormale qui vient d'ètre analysée. Le gouvernement, dans l'exposé des motifs de la loi de finances de 1828, avait demandé d'accorder, pour cet exercice, à chacun des services publics le maximum des crédits reconnus nécessaires. « Au moyen de cette allocation, les ministres devaient renfermer strictement leurs dépenses dans les limites des crédits ouverts, et combiner leurs services ordinaires de manière à n'avoir jamais besoin de crédits supplémentaires, sinon pour des dépenses totalement imprévues lors de la discussion des lois de finances, et, même dans ce cas, à la condition que les dépenses extraordinaires eussent été préalablement autorisées par une ordonnance royale. » La demande du gouvernement ne rencontra pas l'adhésion de la commission chargée de l'examen du budget. Sans doute, ce serait, disait-elle, avoir fait un grand pas dans les voies de l'ordre que d'être parvenu à circonscrire les dépenses publiques dans les services votés, et à rendre impossible, dans des circonstances ordinaires, tout emploi de fonds qui n'aurait pas été préalablement consenti; mais ce principe lui-même n'est-il pas de rigueur? sans

quoi l'intervention législative deviendrait tout à fait illusoire. D'ailleurs, ainsi que l'avait fait observer la commission des crédits supplémentaires, le maximum ne saurait être porté assez haut pour que les prévisions budgétaires ne soient jamais dépassées; et le système aboutirait à remettre entre les mains de chaque ministre des sommes souvent supérieures à ses besoins, et qu'il pourrait, par de simples revirements, appliquer à des dépenses utiles assurément, mais non autorisées par la loi.

La double question de la spécialité et des crédits supplémentaires fut de nouveau soulevée dans la discussion publique du budget. L'opposition libérale, par l'organe de Benjamin Constant et de Laffitte, se plaignit de la progression continuelle des dépenses, et demanda que la loi de finances fût à l'avenir divisée en deux parties, l'une sous le titre de Budget consolidé, pour tous les services au pied de paix fixes et permanents, l'autre comprenant, sous le titre de Budget extraordinaire, toutes les charges accidentelles et temporaires. Les recettes devaient être partagées entre les deux budgets, suivant les mêmes principes. « Ce mode une fois adopté, disait M. Laffitte dans la séance du 7 mai (1), nous éviterons à l'avenir deux grands embarras : de ne pas mettre en question chaque année l'administration tout entière, de n'avoir à discuter que sur des différences, et de pouvoir rejeter le budget extraordinaire sans compromettre la marche du gouvernement. »>

L'extrême droite de la chambre reconnaissait également l'avantage de ne pas recommencer chaque année la discussion des mêmes dépenses, mais elle n'adhérait pas à la solution proposée. Loin de là, toute investigation opérée sur des parties de détail du budget lui semblait une atteinte aux droits du monarque, auquel il appartenait seul, comme chargé du gouvernement et de l'administration du royaume, d'établir à son gré les besoins des services publics, de régler le nombre et le traitement des agents chargés de ces services.

Le rapporteur du budget, tout en repoussant cette dernière théorie et sans dissimuler les sympathies de la commission, déclara qu'elle n'avait pas cru devoir émettre d'opinion formelle sur la proposition Laffitte, parce que, l'initiative de la présentation des lois appartenant au roi, c'eût été méconnaître cette initiative que de prescrire le mode suivant lequel le budget devait être rédigé.

L'appel de la commission à l'initiative royale fut entendu, et le 1er septembre 1827, parut une ordonnance établissant dans chaque budget ministériel ces divisions sagement étendues, sagement restreintes, dont

(1) Voy. séances des 8, 9 et 12 mai 1827 de la chambre des députés. La question de la spécialité avait encore été agitée dans les sessions de 1823 et 1825.

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