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les pas qu'on y voit faire. Les résultats obtenus par nos emprunts, devenus presque annuels, justifient-ils d'ailleurs les deux milliards inscrits à nouveau sur notre grand-livre? Si nous n'avions tenté que ce que nos véritables intérêts réclamaient, et si le domaine qui revient à l'industrie privée lui avait été tout entier laissé, ces deux milliards n'auraient assurément pas été nécessaires. C'est pourtant une charge de 120 ou 130 millions pour toujours consentie sur nos revenus. Pensez à la fois aux autres et sinombreux prélèvements que ces revenus ont dù souffrir depuis dix ans, et vous vous effrayerez sans nul doute de nos engagements et des troubles apportés dans l'ensemble de notre fortune. L'état de notre production et de nos marchés est un indice trop assuré des dommages qui nous en sont provenus.

Mais je m'étonne surtout des éloges donnés à la manière dont se sont faits la plupart de nos derniers emprunts. Un emprunt porte constamment avec soi le danger d'une crise industrielle. Si l'argent réclamé se retire des capitaux utiles au travail, et dès que l'emprunt est élevé, c'est inévitable, des ateliers se ferment, les salaires diminuent, une crise éclate. L'histoire, en ce point, confirme la théorie, sans indiquer une seule exception. Or, combien ce danger s'aggrave-t-il quand c'est le pays où se contracte l'emprunt, comme il en est avec des souscriptions publiques, qui doit y pourvoir en entier? Lorsqu'on s'adresse aux banquiers, au contraire, sans parler des conditions plus avantageuses qu'on en peut obtenir, ils requièrent le concours de chacun de leurs correspondants, répandus sur toutes les grandes places de négoce, et une notable partie de l'emprunt se prend à l'étranger. L'industrie nationale éprouve un préjudice, il n'en peut être autrement; mais ce préjudice est infiniment moindre. Il faut tout notre dédain de l'économie politique pour ignorer une chose d'une telle certitude, j'allais dire d'une telle évidence. Ouvrez une écluse près d'un étroit bassin, vous le dessécherez presque; ouvrez-la près d'un lac immense, et ses eaux s'abaisseront à peine. Voilà le sérieux péril et l'énorme dommage des souscriptions publiques, qu'aucun orateur n'a paru soupçonner. Plusieurs ont parlé d'enthousiasme, il est vrai; mais l'enthousiasme ne fait jamais queue aux portes du trésor, et il sera toujours facile d'y voir accumuler l'avidité.

Si je voulais terminer ces observations sur les emprunts comme les précédentes sur le budget, me rappelant encore ce centre des plaidoiries, dont je parlais il y a un instant, ce me serait chose facile; car c'est surtout dans les sphères du crédit qu'on ressent le besoin d'une active surveillance et d'un contrôle efficace. Crédit, c'est confiance, et la confiance ne s'accorde plus loin de toute participation des peuples aux affaires publiques; les cours des diverses bourses européennes suffiraient à le persuader. C'est au nom des intérêts du crédit public que

Casimir Périer réclamait déjà la liberté de la presse, et l'on aime à se rappeler la déclaration de Guillaume I, lors de l'établissement de la banque d'Angleterre, qui n'avait d'autre cause, comme la plupart de celles qui l'avaient précédée, que les embarras du trésor: « Il n'y a point de perte à redouter quand on a pour caution une garantie parlementaire. » Cela même m'amène à dire, malgré les pensées que j'exposais au sujet des souscriptions publiques, que le plus déplorable de nos emprunts est celui de 100 millions fait à la banque de France, en retour de la prolongation de son monopole. Mais je reviendrai bientôt, j'espère, dans un travail spécial, sur ce monopole, où se trouve engagée oute la question des banques et du crédit commercial.

Je voudrais parler à part du discours de M. de Forcade la Roquette; par malheur, j'avoue ne le pas encore bien comprendre. Il semble indiquer que ce qu'il sied surtout de reprendre dans notre situation, c'est la lettre de M. Fould. Comme si personne auparavant ne se doutait des faits, qu'elle n'a pas d'ailleurs créés ! Emprunts, impôts, dette flottante, découverts, chacun cependant s'en entretenait, surtout depuis la discussion du budget au Corps législatif, où le silence de M. Magne avait été si remarqué après le second discours de M. Gouin. Si on l'ignorait au ministère des finances, et si l'on ne s'en préoccupait pas, je ne sais trop ce qu'on y faisait. Notre inquiétude financière ne date pas, je l'affirme, des loisirs qu'ont fait les dieux à M. de Forcade la Roquette. Il est habile souvent de ne pas autant admirer son administration; cela donne à penser qu'on ne pourrait que la continuer. Je suis loin même de croire, comme l'a dit M. de Forcade, que la situation de l'Europe vienne seulement de ce que l'Italie n'a pas respecté le traité de Villafranca.

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Mais le véritable événement de la discussion sénatoriale, ç'a été et ce devait être le discours de M. Fould. Ce discours a été digne de la lettre qui l'avait précédé, en en reproduisant et la franchise et la noblesse. C'était bien là la voix d'un ministre, et, il n'est que juste de le reconnaître, du premier homme de finance de notre monde politique. J'ignore les mesures que se propose de prendre M. Fould, pour mettre fin aux embarras ou aux périls qu'il a si nettement et si honorablement signalés; mais, quoi qu'il fasse, la France lui devra beaucoup de reconnaissance. Il n'avait pas d'ailleurs à nous indiquer ces mesures; et je ne regretterai nullement, pour mon compte, qu'il s'en taise aussi complétement lors de la discussion de l'adresse. C'est dans l'exposé des motifs du prochain budget qu'il les doit faire connaître; et que nous serions heureux si cet exposé nous valait les joies que donne, chaque année, à l'Europe littéraire, économiste et libérale, le discours de M. Gladstone, lorsqu'il soumet, aussi lui, son projet de budget au parlement anglais. Il ne tient qu'à M. Fould de prendre, dans quelques

semaines, sa place à côté de ce premier orateur du Royaume-Uni et de ce grand ministre des finances.

Pour rétablir, au reste, les finances d'un État, il n'y a que deux moyens la diminution des dépenses publiques et l'essor des entreprises industrielles, dont le résultat constant est d'assurer de plus abondantes perceptions, en versant de nouvelles richesses dans la société. M. Fould a dit au Sénat que le temps de l'économie lui paraissait venu, et la destruction des tourniquets de la Bouise, comme la nomination d'une commission pour la révision de notre Code de commerce, montre qu'il sait l'influence des développements industriels sur les revenus du trésor. Le temps où Pitt était chancelier de l'Echiquier présentait certes d'autres difficultés que le nôtre, et lorsqu'on étudie l'histoire de ce temps, l'on est, à bien des reprises, stupéfait de l'audace réformatrice de ce jeune et prodigieux chef de gouvernement, à laquelle l'Angletterre a dû son salut. Qui ne se rappelle aussi les besoins et les déficits de la trésorerie anglaise, quand Robert Peel a inauguré le libre-échange? En s'attribuant ces souvenirs, M. Fould pourrait redire le vers que Charles-Quint récitait à son entrée au couvent de Yuste:

His indiciis me mea fata vocant.

Or, les économies et les réformes productives à faire abondent parmi nous. M. Fould aura-t-il les connaissances économiques et administratives nécessaires pour les bien discerner, et la résolution indispensable pour les bien accomplir? C'est toute la question. Il est aujourd'hui à l'un de ces points de partage dont toute une réputation, presque toute une vie dépend. Autant il est beau de concentrer sur soi l'attente de son pays, autant il serait fàcheux de ne la pas satisfaire. Pour M. Fould, la succession du baron Louis est ouverte.

Je félicitais à l'instant M. Fould de n'avoir dit que ce qui pouvait justifier le sénatus-consulte en discussion; je n'ai pas besoin de féliciter M. le président du Sénat de n'avoir pas laissé cette discussion changer de nature. Il fallait aussi bien assez de naïveté pour ne le pas prévoir. Je le confesse cependant, je regrette qu'une de nos gloires militaires, qu'un des amiraux ou des maréchaux qui siégent dans notre première assemblée, et dont le monde entier admire le courage et respecte la vie, n'ait pas, après quelques considérations financières générales, fait entendre un appel à la concorde entre les deux grands peuples prêts alors à recourir aux armes. Sa parole n'aurait en rien engagé le gouvernement, et pouvait avoir sur l'opinion de l'Amérique et de l'Angleterre, dès maintenant ou plus tard, une salutaire influence. Je ne sais quelle autorité et quel charme se retrouvent dans de tels conseils ou de tels désirs, lorsqu'ils sont exprimés par un homme de guerre illustre. Ce

n'aurait pas été, ce me semble, le moins beau moment de la discussion dont je parle.

Mais si nous n'avons pas eu la digression que j'espérais, nous en avons eu une à laquelle je me serais difficilement attendu. Qu'il serait fàcheux que M. Troplong se fût montré plus sévère envers M. de Ségur d'Aguesseau! Répétant que la question financière se complique des préoccupations extérieures, comme il a bien prouvé, à sa péroraison, que le malaise de l'Europe provenait du discours prononcé par le prince Napoléon, il y a bientôt un an! L'état de l'Italie, de la Hongrie, de la Pologne, de l'Orient, de l'Allemagne, rendait, il faut le reconnaître, une semblable déclaration nécessaire. Or pouvait s'y tromper, et le courtisan le plus audacieux du prince Napoléon, s'il en a, ne serait pas allé jusque-là. Car ce n'était point une flatterie de la part de M. de Ségur d'Aguesseau. Seulement, puisque les paroles du prince ont une telle puissance, qu'il lui suffit d'aborder la tribune pour que la France paraisse effrayer l'univers, il me semble evident que chacune de ses phrases nous vaut une armée, et c'est à nos déficits et à nos arriérés que nous cherchons un remède. M. de Ségur d'Aguesseau aurait dû terminer son discours en suppliant le prince Napoléon de consentir encore à parler, tant le désarmement, au grand bénéfice du trésor, nous deviendrait facile. Pourquoi même conserverions-nous encore une marine et une armée? Il nous faut uniquement souhaiter que le prince Napoléon n'ait point d'enrouement.

GUSTAVE DU PUYNODE.

LE COMMERCE DE LA FRANCE

ET LES REVENUS INDIRECTS EN 1847, 1857, 1861 (1)

Après avoir étudié la marche des escomptes des banques de France et d'Angleterre, constaté la progression constante et continue des effets de commerce qui réclament le concours du crédit et la diminution parallèle de la réserve métallique qui agit en sens inverse, comme les mouvements de bascule d'une balance, dont les plateaux s'élèvent et s'abaissent ensemble pour être enfin alternativement

(1) 1 partie. La banque de France et la banque d'Angleterre en 1847, 1857, 1861, 15 décembre 1861.-Journal des Économistes.

et successivement emportés l'un par l'autre, il était nécessaire de trouver la confirmation de cette oscillation dans les tableaux du commerce, importations et exportations, dans les variations des prix, ainsi que dans les dépenses et la consommation des diverses classes de la société dont le produit des taxes indirectes donne une mesure assez exacte. Le plus simple examen des tableaux qui suivent suffira pour en donner la preuve.

Les comptes rendus mensuels et annuels (en quintaux métriques et en millions de francs) publiés par l'administration des douanes fourniront les chiffres afin de suivre le mouvement jusqu'à l'époque actuelle. Nous diviserons toujours en trois périodes la série d'années de 4841 à 4861: 1° de 1841 à 1847, 2o de 1847 à 1857, 3o de 1857 à 1861.

IMPORTATIONS.

Le total annuel des importations, commerce spécial, de 804 millions de francs en 1841, s'élève à 955 en, 1847, année de la crise et retombe à 474 en 1848, année de liquidation. Elles se relèvent de suite à 724 millions de francs en 1819 et continuent à se développer, sauf une légère hésitation bien naturelle, en 1854, jusqu'à 4,989 millions en 1856; dès 4857 elles fléchissent à 1,872 milllons et baissent à 4,562 millions en 4858, temps d'arrêt marqué de la demi-liquidation de la crise, puis reprennent à 4,404 millions en 1859, 4,585 millions en 1860 et enfin, si nous pouvons en juger par les publications mensuelles, à un chiffre encore supérieur en 4861.

Comme pour les escomptes le total des importations est toujours sensiblement supérieur à l'année précédente, jusqu'au moment où l'engorgement arrivé à son comble, la crise éclate.

La dépression que l'on observe pendant les liquidations est toujours sensible et d'autant plus profonde qu'elles sont plus complètes. En 4848 et en 1858, la diminution des importations est pour ainsi dire la même de 400,000 millions de francs (484 millions en 1847, 427 millions en 1858), mais dans la première année la réduction est de moitié, dans la seconde elle est à peine du quart, et par suite insuffisante.

Entrons-nous dans le détail pour les principaux produits, les mouvements de hausse et de baisse sont encore plus apparents. Afin d'obtenir des époques comparables nous prenons les relevés en quintaux métriques des neuf premiers mois de chaque année.

Le haut prix des céréales, dont le retour périodique coïncide presque toujours avec les embarras du commerce, est bien en rapport avec les variations des importations, de zéro à 6,900,000 q. m. en 1847, 5,100,000 en 1857 et 4,600,000 en 1864 pour les neuf premiers mois.

La houille, de 10,000,000 q. m. en 1844 à l'importation, s'élève à

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