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atteints par ces impôts, ne constituent pas des objets véritablement de luxe; lors même, d'autre part, que ces taxes portent sur des objets possédés à titre de propriété, c'est la commodité qui en résulte plutôt que la valeur qui s'y rattache que le législateur cherche à atteindre. Souvent même ce dernier taxe le fait de la jouissance de ces objets séparés de leur propriété. Nous avons donc cru pouvoir grouper les impôts en question sous le titre commun d'impôts sur les jouissances. Cette classe d'impôts comprend tous ceux qu'on a appelés quelquefois somptuaires; mais aussi certaines taxes pour lesquelles ce nom eût paru l'application d'un procédé trop systématique.

Ayant envisagé, par ces motifs, la catégorie des impôts sur les jouissances comme devant fournir l'une des bases fondamentales de notre classification des taxes, nous avons cru pouvoir y comprendre les impôts qui, comme celui des portes et fenêtres, pourraient, s'ils étaient considérés isolément, être rattachés au besoin à l'impôt foncier (les portes et fenêtres étant un accessoire obligé des habitations). D'après la plupart des législateurs, le locataire est en effet plus ou moins obligé de les payer. En France, par exemple, l'impôt qui s'y rapporte a été mis à la charge des propriétaires, mais les locataires sont assujettis à un recours de la part de ces derniers. Et ce sont ceux-ci qui acquittaient dans la Grande-Bretagne la window-tax lorsqu'elle y était appliquée.

Les impôts sur les jouissances n'occupent en général qu'une place assez restreinte dans les systèmes financiers, que la statistique du temps présent et surtout l'histoire du passé nous révèlent. M. Dureau de la Malle nous fait cependant connaître l'existence chez les Romains d'une taxe sur les fenêtres, et M. Levasseur traduit l'ostiarium levé sous l'empire romain par l'expression d'impôt sur les portes et fenêtres (1). Ces impôts ont, du reste, la grande utilité d'atteindre certaines fortunes qui, dans l'organisation des contributions publiques, échappent fréquemment aux autres impôts directs.

La Grande-Bretagne, la Belgique et les Pays-Bas sont les États dans lesquels les impôts sur les jouissances sont le plus développés : dans le premier pays, sous le nom d'assessed-taxes; dans les deux autres, comme formant les diverses branches de l'impôt appelé personnel. Les assessed-taxes isolées de la land-tax, qui en est rapprochée dans les divisions du budget anglais, mais considérées comme comprenant les

(1) Économie politique des Romains, t. II, p. 487; Histoire des classes ouvrières en France, t. I, p. 73 et 74.

taxes sur les fenêtres, produisaient, en 1843, 3,225,919 livres sterling. Cette somme est environ le tiers de celle qui est produite par l'ensemble des impôts directs britanniques, si on considère comme tels les assessedtaxes, laland-tax et l'income-tax à un taux très-bas. Si l'on tient compte de l'élévation du produit de l'income-tax dans les dernières années, la proportion descend du tiers au sixième seulement (1). La même proportion du liers se trouve approximativement dans les Pays-Bas et la Belgique entre le produit de l'impôt personnel et le total des impôts directs (2), tandis qu'en France les impositions analogues, c'est-à-dire la contribution personnelle et mobilière, et celle des portes et fenêtres représentent seulement le quart environ de la totalité des impôts directs et même une proportion très-inférieure à ce quart, si l'on retranche de la contribution personnelle et mobilière tout ce qui correspond à une capitation, à proprement parler, personnelle.

Les impôts sur les jouissances sont fort anciens dans les Pays-Bas. Ils ont joué un assez grand rôle dans le système fiscal des anciennes Provinces-Unies, dans le système intermédiaire introduit en 1805, et aussi dans les institutions actuelles du royaume des Pays-Bas (3). Les six classes de l'impôt personnel belge et néerlandais contiennent à elles seules le cadre presque complet des divers impôts sur les jouissances connus chez les divers peuples. Ces six classes comprennent en effet : 1o les logements; 2° les portes et fenêtres; 3° les cheminées; 4° les objets mobiliers; 5° les domestiques; 6° les chevaux. En rattachant à la quatrième catégorie tous les objets de luxe matériels et inanimés; à la sixième, les divers animaux imposés dans d'autres pays, et les divers moyens de transport qui concourent à l'utilité que les chevaux procurent, on embrasse en réalité presque tous les objets dont la jouissance est devenue l'objet d'un impôt.

Examinons, en suivant approximativement cet ordre, les principaux

(1)

Produit de la land-tax en 1843... 1,159,149 1. st.

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(2) Dans le budget néerlandais de 1850, sur un total de de 18,400,000 florins du produit attendu des trois impôts directs, foncier, personnel et des patentes, le personnel figurait pour 5,988,000 fl. (Bijlagen tot het verslag der ·handelingen van de tweede Kamer der Staten general, 1849-1850, t. II, p. 44.) En Belgique, d'après le budget de 1854, l'impôt personnel donnait 9,460,000 fr. sur 31,317,750 fr. du produit des taxes directes.

(3) Engels, p. 114, 130, 134, 145, 153, 185, 186, 188, etc.

faits qui se rattachent à l'histoire des contributions sur les jouissances, et commençons par les impôts sur les loyers, sur les cheminées, sur les portes et fenêtres, qui constituent les premières divisions du sujet.

Ces impôts, qu'il est très-difficile d'isoler absolument les uns des autres en étudiant leur développement, parce qu'ils se sont quelquefois remplacés mutuellement, ont cela de particulier et de commun entre eux, qu'ils semblent former double emploi avec l'impôt foncier sur les bâtiments. Ce qui les en différencie cependant, et ce qui constitue leur caractère propre, c'est qu'ils sont en général à la charge des locataires; de telle sorte que la maison d'habitation est grevée comme capital ou source de revenus entre les mains du propriétaire et comme occasion de dépenses entre celles du locataire. M. Sismondi a dit avec raison que la taxe sur les fenêtres, rangée en France parmi les contributions directes, était plutôt un impôt sur la consommation des maisons (Nouveaux principes d'économie politique, t. II, p. 204). Les taxes sur les habitations et sur leurs accessoires sont les plus productives de toutes les contributions sur le luxe.

Sinclair a retrouvé dans les annales du Bas-Empire les traces d'un impôt sur les cheminées, établi par Comnènes. Il a cité aussi une taxe sur les foyers, levée par Marguerite, reine de Danemark et de Norwége (1), et rappelé ensuite celle qui avait été perçue sur le même objet en Angleterre.

On sait que l'impôt foncier, sous sa forme dernière de land-tax, a été établi dans la Grande-Bretagne en 1689. Il atteignit les maisons entre les mains du propriétaire dans les mêmes proportions que les terres (2).

Dès avant cette dernière époque, on s'était préoccupé dans la GrandeBretagne d'imposer les habitations, à la charge plutôt de ceux qui en jouissaient que de ceux qui en étaient propriétaires. Un impôt sur les foyers (hearth money) avait été établi dans le xvIIe siècle, et il avait, sur le pied de 2 schellings par foyer, donné 162,882 livres en 1661 et 200,000 livres en 1685.

Cet impôt était devenu fort impopulaire. Le collecteur devait entrer dans toutes les pièces de l'habitation pour vérifier la matière imposable. Ces visites domiciliaires rendaient la taxe odieuse, et le colonel Birch

(1) Analysis of the sources of public revenue.

(2) Ad. Smith, édition anglaise de 1786, t. III, p. 288.

avait déclaré que c'était un signe d'esclavage qui ne laissait pas subsister d'homme libre en Angleterre (1).

Guillaume III, à son entrée dans la Grande-Bretagne, s'empressa d'abolir cette taxe impopulaire, et sa décision à cet égard était si opportune, que Jacques II, lorsqu'il s'efforça de regagner son trône, dut se résoudre à la confirmer (2).

Toutefois l'impôt sur les foyers, maintenu en Irlande encore à l'époque de Sinclair (3), fut remplacé par une taxe analogue dans la GrandeBretagne.

Les maisons, quoique déjà frappées par la land-tax, devinrent en effet, par un acte de la septième année du règne de Guillaume III, l'objet d'un impôt spécial (4).

Chaque maison, à l'exception des simples cottages, dut supporter une contribution de 2 schellings par an. La taxe s'élevait à 6 schellings pour les maisons qui avaient plus de neuf fenêtres, et à 8 schellings pour celles qui en avaient plus de dix-neuf. Le nombre des fenêtres pouvait, suivant la remarque d'Ad. Smith, être compté du dehors, et, dans tous les cas, sans qu'on fût obligé d'entrer dans toutes les chambres des habitations. >>

L'impôt était assis par les commissaires institués pour la land-tax et payable par semestre. Il était à la charge des personnes qui habitaient la maison.

Cette nouvelle taxe céda la place elle-même à une autre forme d'imposition l'impôt des fenêtres, window-tax, qui subit successivement diverses altérations et augmentations, et qui est souvent citée dans les auteurs anglais du xvin siècle. Burgoyne, dans sa comédie de l'Héritière, fait allusion à une fenêtre condamnée par la parcimonie d'un contribuable, et Ad. Smith rapporte qu'au moment où il écrivait son livre sur la Richesse des nations en 1775, l'impôt consistait, outre un paiement de 3 schellings par maison en Angleterre, et de 1 schelling en Ecosse, en un droit progressif sur les fenêtres, qui variait depuis le taux de 2 pence par fenêtre, pour les maisons qui n'avaient pas plus de sept

(1) That badge of slavery by which a frecholder was not left in England. » Tayler, p. 31.

(2) Macaulay, Histoire de Guillaume III, traduction française, t. I, p. 34, et t. II, p. 127.

(3) Analysis of the sources of public revenue, p. 78.

(4) Tomlins Law Dictionary, voy. Taxes, et Ad. Smith, t. III, p. 290.

fenêtres, jusqu'à celui de 2 schellings par fenêtre pour les maisons percées de vingt-cinq fenêtres ou d'un plus grand nombre. Cet état de choses existait depuis 1766, ainsi que nous le constatons dans un mémoire traduit en français en 1768, et qui a été attribué à M. Grenville. Il présente les droits comparés sur les fenêtres avant et après 1766 (V. p. 150 du Mémoire et suiv.).

C'était, avant 1766, 1 sch. par fenêtre de maison ayant de huit à onze fenêtres, et 1 sch. 6 d. par maison ayant de douze à vingt-cinq fenêtres. Cela existait depuis la deuxième année de Georges III.

Après 1766, le droit fut marqué par une progression plus variée, depuis 2 deniers par ouverture pour la maison à sept fenêtres jusqu'à 2 schellings pour la maison à vint-cinq fenêtres.

Ce rétablissement de la multiplicité des degrés de progression était critiqué dans le Mémoire attribué à M. Grenville. « Aujourd'hui qu'il se trouve quatorze classes au lieu de deux, disait l'auteur, la plupart des propriétaires des maisons en Angleterre voudront, en bouchant une fenêtre, descendre à une classe plus basse, et par là ils feront une épargne sur toutes les autres. L'auteur pensait que, par ce motif, la modification du tarif serait sans augmentation de produit définitif pour le Trésor, bien qu'un accroissement de recettes de 53,300 1. en eût été attendu. Nous voyons, par le livre de Smith, que le système avait été conservé, malgré les critiques de Grenville (1).

Les deux éléments de l'impôt sur les maisons et de l'impôt sur les fenêtres, ainsi associés à l'époque du célèbre économiste, ont été ensuite opposés respectivement. Soixante ans plus tard, la taxe sur les fenêtres était fort abaissée; on la supprimait même pour les maisons qui n'avaient pas plus de six fenêtres et qui ne représentaient pas une valeur locative supérieure à 5 1. par an. Quant à l'impôt sur les maisons, il était réduit aux habitations d'une valeur locative supérieure à 10 1. st. et mis à la charge des habitants et locataires. Son produit était, en 1836, de 1,262,754 1., et il était aboli tout à fait par le chapitre XIX des statuts de la quatrième et cinquième année du règne de Guillaume IV (2).

Mais en 1851, la situation a été renversée par la suppression de la taxe ur les fenêtres, et le rétablissement de la taxe sur les maisons au taux de deniers par livre de rente sur les maisons habitées par les

(1) Smith, ibid., p. 290.

(2) Tomlins Law Dictionary, au mot Tares, et Voorthuysen, t. I, p. 49, de son ouvrage hollandais sur les taxes directes.

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