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tômes sont vains, et il n'y a aucun rapport entre des mesures prohibitives surannées, et le fait du Trésor qui, en taxant -une jouissance, confesse son intérêt à la voir subsister et se multiplier. Il faut répondre, avec Mac Culloch, que « ces droits agissent en fait comme une espèce de loi somptuaire améliorée, ayant tous les effets utiles sans presque aucun des résultats injustes des règlements qui ont porté ce nom (1). » Il n'est donc pas besoin, pour les absoudre contre le reproche d'une analogie forcée, de faire remarquer que les lois somptuaires elles-mêmes étaient impuissantes contre la vanité. « Ce qui défend la magnificence, a dit le marquis d'Argenson (2), en raffine le goût et irrite les désirs pour ne pas paraître plus petit que ceux qui sont exempts de la prohibition. »

Une circonstance générale qui peut disposer quelques esprits, après le rejet de ces objections exagérées, à accueillir favorablement les taxes modérées sur les objets de luxe, résulte de cette observation que le prix de ces objets va généralement en s'abaissant par rapport au prix des objets de première nécessité. C'est tout au moins ce qu'a démontré M. Leber dans son Essai sur l'appréciation de la fortune privée au moyen âge, relativement aux variations des valeurs monétaires et du pouvoir commercial de l'argent (3).

A ces titres divers, nous sommes portés à penser que ces impôts sont plutôt destinés à grandir qu'à décroître dans l'avenir financier des nations modernes.

Dans les pays surtout, comme la France, la Belgique et les Pays-Bas, où la fortune mobilière n'est point taxée à l'aide du procédé des déclarations, comme elle l'est en Angleterre, en Prusse et en Autriche, les impôts sur les jouissances fournissent un moyen assez heureux de l'atteindre au même taux et suivant la même proportion que la fortune immobilière du pays.

Peut-être, je dois en convenir, les impôts en question n'atteignentils ce résultat qu'au risque d'être considérés par quelques esprits comme inquiétants pour la propriété, dont ils atteignent les manifestations les plus élevées, pour l'égalité, puisqu'ils désintéressent les classes indigentes, et pour la liberté civile (4), puisqu'ils exigent (au moins cer

(1) Taxation, p. 19.

(2) Considérations sur le gouvernement ancien et présent de la France, p. 243. Amsterdam, 1765.

(3) 2o édition. Paris, Guillaumin et C. 1847. P. 58 el 59 notamment.

(4) Ce triple reproche a été adressé récemment à l'impôt progressif et à l'impôt sur le revenu... choses, pour le dire en passant, très-dissemblables,

tains d'entre eux) des déclarations assez fréquentes de la part des contribuables. Mais quelles sont les taxes qui résisteraient à ces analyses ombrageuses plutôt inspirées par l'imagination colorée des orateurs politiques, ce nous semble, que par la science réfléchie des financiers!

ESQ. DE PARIEU,

de l'Institut.

par un document d'une autorité considérable, l'Adresse d'un des grands corps de l'État français!

CONDITION MORALE, INTELLECTUELLE ET MATÉRIELLE

DES

OUVRIERS QUI VIVENT DE L'INDUSTRIE DU COTON

(RAPPORT FAIT A L'ACADEMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES)

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Les ouvriers d'industrie ont entre eux, dans nos départements du Nord, tant de traits de ressemblance que, pour n'avoir pas à se répéter, il y a lieu de les réunir dans le même groupe. Les faubourgs d'Amiens, de Lille, de Roubaix, de Saint-Quentin reproduisent, à quelques nuances près, les mêmes physionomies et les mêmes scènes. A Amiens comme à Saint-Quentin, c'est dans la partie basse de la ville que se logent les tisserands, les teinturiers et les apprêteurs; en vain a-t-on fait des efforts pour les attirer vers les quartiers plus sains, mieux aérés, mieux bâtis; ils ont résisté à un déplacement. Quoique l'habitude entre pour beaucoup dans ces résistances, il s'y mêle un autre sentiment, moins avoué, mais tout aussi influent: c'est une sorte de parti pris, chez l'ouvrier, d'infliger des déceptions aux personnes qui prétendent disposer de lui, serait-ce pour son bien et avec un désintéressement manifeste. Ainsi, à Amiens, il a été construit sur les hauteurs, en très-bon air, des logements où l'espace est moins strictement mesuré que dans les vieux faubourgs, et dont les prix, sensiblement les mêmes, ne dépassent pas les ressources des plus modestes ménages. On était fondé à croire que la comparaison seule amènerait de nombreux changements de domicile. Il n'en a rien été; les ouvriers sont restés où ils étaient, dans les paroisses de Saint-Leu et de Saint-Germain, et n'ont montré que de l'indifférence pour les nouveaux quartiers, probablement parce qu'ils avaient été construits notoirement pour eux.

A Lille, le cas s'est reproduit, avec un degré de gravité de plus,

(1) Voir les livraisons de janvier, février, avril, octobre, novembre 1861, anvier et mars 1862.

quand il s'est agi d'arracher à leurs demeures souterraines les familles qui s'en accommodaient. Il a fallu exercer une sorte de violence pour que ces cloaques fussent évacués, et qu'après les avoir comptés par milliers on ne les comptât plus que par centaines. Mais à mesure que les caves se fermaient par la main de la police, où se sont réfugiés les ouvriers? Dans des ruelles infectes qui ne valent guère mieux et qu'on désigne sous le nom de courettes. Là des maisons délabrées, à peine closes, privées d'air et de jour, reçoivent du rez-de-chaussée jusqu'aux combles des ménages chargés d'enfants. A Roubaix l'apparence change sans que le fond varie. Au lieu de ces labyrinthes dont se composent les courettes, on a devant soi des bâtiments à un ou deux étages encadrant une vaste cour intérieure, et qu'à raison de cette disposition on nomme des forts. C'est dans ces forts qu'habitent les ouvriers; il y en a qui sont situés dans la ville, d'autres qu'il faut aller chercher en plein champ et à une certaine distance des manufactures. La tenue en est fort négligée quoique l'espace n'y manque pas. Le sol n'y est pas nivelé, les eaux ménagères n'ont point d'écoulement et forment çà et là de petites mares que le vent ou le soleil ne dessèchent qu'à demi; des immondices encombrent le seuil des maisons et y entretiennent des exhalaisons fétides. Nulle trace de soin; partont l'abandon, l'incurie, et pour ainsi dire une affectation de négligence.

Malheureusement ce ne sont pas là des exceptions; tous ces quartiers d'ouvriers portent un triste témoignage contre ceux qui les peuplent; ils montrent une misère cyniquement étalée et qu'on exagère beaucoup plus volontiers qu'on ne la combat. Les voies publiques n'y sont pas en meilleur état que les enceintes intérieures; on ne sait où poser le pied ni comment y trouver accès; çà et là des haillons suspendus aux croisées ou des débris de cuisine formant litière dans les ruisseaux. En vain des arrêtés de voirie punissent-ils les contraventions; de guerre lasse on les laisse tomber en désuétude. Rien ne supplée le sentiment de la dignité personnelle; ici ce sentiment fait généralement défaut, et on s'en assure mieux en pénétrant dans les logements. A peine en rencontre-t-on quelques-uns qui tranchent sur le désordre commun et soient comme l'échantillon de ce que l'ensemble pourrait être avec plus de bonne volonté. Ils ne sont ni plus vastes ni mieux meublés que les autres; seulement ils sont mieux tenus; un lit, une table, un fourneau et quelques chaises, tel est leur inventaire en peu d'articles; mais ces objets sont en leur place et en bon état, les murs n'ont point de souillures, le plancher point de poussière ni de débris; les vitres sont net

toyées, les ustensiles polis; l'apparence est satisfaisante. Ce sont là des exceptions; partout ailleurs l'aspect des lieux éveille des impressions pénibles; les grabats sont défaits, le sol est jonché d'ordures, la paille est la seule litière et se pourrit faute d'être renouvelée. Puis, ce qui est plus affligeant, cette misère n'offense pas seulement les sens, elle blesse aussi la pudeur. Dans cet espace de quelques pieds carrés est parquée une famille entière; les âges et les sexes y sont confondus; les lits sont communs, sans une cloison ni même un rideau qui les séparent. Pour l'enfance et l'adolescence il y a là un triste apprentissage de la décence de la vie; de telles impressions ne s'effacent plus. Aussi la charité privée, très-active dans le Nord, a-t-elle porté de ce côté ses soins les plus vigilants. On ne pouvait, d'un jour à l'autre, remplacer par des constructions neuves ces logements qui ne se louent qu'à raison de 1 fr. et 1 fr. 50 par semaine; on a dû se borner à quelques moyens de les assainir moralement et matériellement. Des objets de literie ont été distribués à profusion aux ménages dépourvus; Lille seule a fourni plus de quatre mille lits en fer dans l'espace de quelques années; des matelas, des rideaux, des couvertures ont complété ces libéralités. Croirait-on que le bienfait a été quelquefois détourné de sa destination, et que parmi ces ouvriers il s'en est trouvé d'assez pervertis pour vendre ou engager le mobilier qu'on leur avait donné pour leur usage?

Si ces classes en sont à ce degré de dénuement, ce n'est pas leur salaire qu'il faut en accuser; bien employé il serait suffisant. Les prix des journées dans les régions industrielles du Nord et de l'Ouest sont sensiblement supérieurs à ceux de nos provinces de l'Est. Un fileur d'élite gagne constamment à Lille et à Roubaix de 3 fr. 50 à 4 fr. par jour; les fileurs ordinaires ont 3 fr. 25. Pour le tissage les mêmes proportions sont gardées; la moyenne des prix, en embrassant tout le ressort est de 1 fr. 50 à 1 fr. 75 dans les campagnes, 2 fr. à 2 fr. 25 dans les faubourgs des villes pour des travaux plus soignés. Les femmes gagnent de 1 fr. 25 à 1 fr. 50; les enfants de 40 à 75 centimes, suivant l'âge, la force et l'aptitude. Ainsi l'homme fait, pour 300 jours pleins, aurait de 600 à 1,200 fr. suivant la nature du travail; la femme de 375 à 450 fr., l'enfant de 120 à 225 fr. Quant à la dépense, elle n'excéderait pas, si elle était bien réglée, le chiffre de la recette et laisserait même une petite marge à l'épargne. Les loyers sont ce qu'il y a de plus lourd, surtout dans les grandes villes; la vie animale n'est pas coûteuse; l'entretien se réduit à quelques objets de peu de valeur. Avec de l'ordre, l'ouvrier se tirerait donc d'embarras; mal

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