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LIBRAIRIE DE GUILLAUMIN ET Cie, ÉDITEURS De la Collection des principaux Économistes, des Économistes et Publicistes contemporains, de la Bibliothèque des sciences morales et politiques, du Dictionnaire de l'Économie politique, du Dictionnaire universel du Commerce et de la Navigation, etc.

RUE RICHELIEU, 14.

1862

JOURNAL

DES

ÉCONOMISTES

LE TRAITÉ DE COMMERCE

ET LA

DISCUSSION DE L'ADRESSE AU CORPS LÉGISLATIF

LA LOI DE 1807 SUR LE TAUX DE L'INTÉRÊT ET LE SÉNAT

I

La discussion économique a partagé, avec les affaires d'Italie, le privilége de passionner les débats auxquels a donné lieu l'Adresse le mois dernier au Corps législatif. Elle a même causé un assez vif émoi dans le public.

Le public savait que dans plusieurs centres manufacturiers le malaise dont on se plaint partout avait pris un caractère particulier d'intensité. Il s'en affligeait sans d'ailleurs en éprouver beaucoup d'étonnement. L'explication était si naturelle qu'elle se présentait à tous les esprits. C'était, disait chacun, l'inévitable contrecoup de la crise américaine. Était-il possible qu'un aussi vaste marché que les ÉtatsUnis fût fermé, et que la matière première que nous empruntons à ce grand pays, matière qui est la base d'une de nos plus importantes 2. SÉRIE. T. XXXIV. — 15 avril 1862.

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industries, eût renchéri environ du double, sans que toutes les industries s'en ressentissent à la fois? Le public n'ignorait pas non plus que l'année agricole avait été mauvaise et qu'il avait fallu employer quelque chose cemme 400 millions en achats de grains. Ces causes de malaise paraissaient si graves et si décisives que personne ne songeait à en rechercher d'autres. Les politiques ajoutaient pourtant que l'état de l'Italie, de la Russie, de la Turquie, de l'Autriche, étaient encore un élément de cette inquiétude qui pèse sur les affaires. Ils allaient mêine jusqu'à ne pas excepter tout à fait la France de cette situation politique si tendue et si critique. Sans doute rien de comparable à ce qui a lieu dans ces pays ne se passe dans le nôtre. N'est-ce rien toutefois que ces discussions elles-mêmes dont le caractère passionné contraste avec le silence des années précédentes, que cet état indécis et agité d'un gouvernement qui n'est plus ce qu'il était il y a deux ans, et qui néanmoins n'est point parlementaire et se défend très-vivement de l'être, même au sein du Corps législatif? N'est-ce rien que ces révélations soudaines qui ont appris, en novembre 1861, au pays rassuré jusqu'alors par de consolantes paroles la maladie de ses finances et la nécessité d'un sauveur? rien que ces nouveaux impôts en perspective? Mais tout à coup le public a appris qu'il se trompait dans ses appréciations, et que la grande cause de la crise, cause à laquelle il ne songeait même pas, c'était le traité de commerce avec l'Angleterre. Cela était dit avec tant d'aplomb, avec une fougue si entraînante, avec un tel air de conviction irrésistible et d'autorité, avec un déploiement de chiffres si imposant, qu'il en parut un instant déconcerté. Rien ne réussit comme l'assurance au milieu des opinions flottantes d'une masse qui ne sait bien ni ce qu'elle pense, ni ce qu'elle veut. Le prohibitionisme avait trouvé, dans M. Pouyer-Quertier, l'orateur qui répondait le mieux à cette disposition. Il parlait en homme sûr de ce qu'il avance, qui a vérifié jusqu'au dernier iota ce qu'il dit; le tableau pathétique de la misère des ouvriers attribué au traité de commerce ajoutait un dernier trait à l'effet de cet accablant témoignage.

De tout cela qu'est-il resté? Rien, nous pouvons le dire aujourd'hui, absolument rien, que le souvenir d'une sorte de coup de théâtre prohibitioniste qui, destiné dans l'intention de ses auteurs à leur assurer la victoire, n'a servi qu'à donner plus d'éclat à leur défaite. Non-seulement la Chambre a rejeté l'amendement qui imputait au traité de commerce ce qu'il y a de pénible dans une situation dont on exagérait la gravité, mais l'homme impartial s'étonne que les arguments ou les allégations de

MM. Jules Brame et Pouyer-Quertier aient pu causer le moindre ébranlement. Assurément des hommes qui se plaignent des souffrances de leur industrie ont le droit de se faire écouter, et l'attention n'a pas manqué aux doléances prohibitionistes. Nous sommes, on le sait, partisans de la liberté de discussion. Elle a des inconvénients comme toutes les autres, mais elle a aussi des avantages qui l'emportent de beaucoup sur les inconvénients: celui d'abord de donner satisfaction à la justice, qui veut que tout intérêt lésé ou qui croit l'être puisse se faire entendre, celui ensuite de ne pas laisser passer sans réponse des allégations erronées qui risqueraient, au grand péril de la société, de s'enraciner et de s'envenimer. Il peut n'être pas sans quelque danger que les prohibitionistes aient parlé en agitateurs, comme nous regrettons que quelques-uns l'aient fait dans cette circonstance. Mais que serait-ce si leur plainte avait été étouffée? Une propagande sourde et continue n'est-elle pas plus à redouter qu'un éclat oratoire? Nous aimons mieux, quant à nous, qu'ils aient jeté leur feu, épanché leur plainte, et qu'une discussion loyale et complète ait fait justice de leurs griefs. Il ne se peut pas que les réponses adressées à leurs orateurs demeurent sans action sur les plus modérés et les plus éclairés d'entre les manufacturiers, et ne les portent à envisager les choses avec plus de calme. Rien ne fait illusion, rien n'est dangereux comme de n'entendre que l'écho de sa propre voix. C'est ce qui arrive surtout aux manufacturiers vivant dans des centres où les passions sont trèsexcitées contre toute concurrence étrangère. Là on ne peut entendre sans frémissement nommer les Anglais. Il se peut que MM. PouyerQuertier et Jules Brame ne démordent en rien de ce qu'ils ont avancé; mais nous sommes convaincus que cette discussion a été de nature à exercer une heureuse influence sur la grande majorité des producteurs nationaux.

Ilsy auront puisé cette persuasion que le traité de commerce est si peu l'élément principal de la crise actuelle, qu'il n'y figure que dans une faible proportion, explicable elle-même par la transition d'un régime économique à un autre. Ils ne seront plus tentés de conclure des souffrances de Roubaix à celles de toute la France, et ils comprendront mieux pourquoi Roubaix même passe en ce moment par de pénibles épreuves. Ce n'est pas dans le Journal des Économistes qu'il est nécessaire d'insister sur un autre point de vue. On pourrait suspecter justement l'efficacité du traité de commerce en ce qui regarde les consommateurs, s'il ne causait pas le moindre dérangement à nos indus

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