Images de page
PDF
ePub

BULLETIN FINANCIER DE L'ÉTRANGER

[blocks in formation]

Abondance d'argent; emprunts russe, turc et marocain. Conversions

de rente en France, en Prusse et en Bavière. Mouvement commercial en Angleterre ; chômage et misère des cotonniers.

Charges budgétaires et déficits en

Angleterre; réduction des dépenses militaires sur le continent. budgétaire et la question monétaire en Autriche.

[blocks in formation]

Si l'argent était réellement la richesse suprême, la situation du jour serait on ne peut plus brillante. L'argent abonde surle grand marché des capitaux des deux mondes; la place de Londres ne sait qu'en faire. Elle le prodigue à tout requérant. Dans l'espace de quelques semaines, elle a consenti trois emprunts à des débiteurs qu'on n'avait pas toujours eu l'habitude de compter parmi les plus solides. La série des emprunteurs s'ouvre par un État à peine demi-civilisé, sur le dos duquel l'Espagne a tenté, et non sans succès, d'essuyer la rouille qui depuis des siècles couvrait son épée jadis vaillante; c'est ensuite « l'homme malade, » que les menaces de ses francs adversaires et les sollicitations de ses amis équivoques ne peuvent cependant pas décider à mourir pour de bou; le troisième enfin est le colosse d'airain de qui M. David Urquhart prétendait avoir découvert les « pieds d'argile » longtemps avant la guerre d'Orient.

Ce dernier emprunt, celui de la Russie (375 millions de francs, en 5 0/0 émis à 94), n'a cependant pas été fait entièrement par la place de Londres; la souscription était ouverte en même temps à Paris et dans quelques autres grandes villes du continent: elle a partout rencontré un accueil favorable. Cela prouve tout autant l'abondance de capitaux avides d'emploi que la bonne opinion du monde financier à l'endroit du gouvernement de Saint-Pétersbourg; on la comprend, en se souvenant que les créanciers de la Russie à l'étranger n'ont jamais eu à souffrir ni de ses embarras intérieurs ni de ses défaites extérieures les arrérages des dettes russes ont toujours été exactement payés, et c'est au foud la seule chose dont se soucient les capitalistes (1).

Le succès n'a pas été moins décisif pour l'emprunt turc, accaparé tout entier par la place de Londres. C'est le restant de l'emprunt qui a si mal réussi il y a plus d'un an sur la place de Paris, où il a contribué à la fameuse catastrophe de la Caisse générale des chemins de fer. Les conditions du nouvel emprunt sont passablement dures pour le débiteur, pas plus dures cependant que les -conditions que lui avait faites la maison Mirès. L'emprunt, qui rapporte 6 0/0 d'intérêt, est émis au cours de 68, ce qui constitue un intérêt effectif de 9 0/0 à peu près. Les titres doivent être rachetés au pair en vingt-quatre années au

(1) Voir l'étude intitulée: Des finances russes, à propos du nouvel emprunt, que nous publions dans la Revue contemporaine, livraison du 15 mai 1862.

moyen de tirages semestriels; un fonds d'amortissement de 2 0/0 pourvoira au remboursement des titres sortis. Les revenus généraux de l'empire, et spécialement ceux provenant du tabac, du sel et des droits de timbre, sont affectés à la garantie du capital et des intérêts. Le gouvernement britannique a délégué un fonctionnaire anglais, lord Hobart, à Constantinople, pour aider de son expérience les autorités turques dans la réorganisation financière de l'empire.

Le gouvernement anglais était intervenu d'une façon plus directe dans l'emprunt de 426,000 I. st. que l'empereur du Maroc demandait à la place de Londres. Cet emprunt, en titres 5 0/0 à 85, est pourvu d'un fond d'amortissement de 5 0/0, et les titres sortant aux tirages semestriels sont remboursés au pair. L'argent emprunté étant destiné à libérer le Maroc vis-à-vis de l'Espagne et à hâter ainsi l'évacuation de Tétouan, le cabinet de Londres se sentait particulièrement engagé à faciliter l'emprunt de toute façon; aussi a-t-il consenti à envoyer au Maroc des commissaires spéciaux chargés de la perception des droits douaniers dont 50 0/0 sont assignés comme hypothèque pour le paiement du capital et des intérêts du nouvel emprunt. Dès le lendemain de son émission, il avait fait une prime de 4 à 6 0/0 ; il continue à se tenir très-bien sur la place de Londres. Il en est de même, quoique à un degré moindre, des emprunts turc et

russe.

Ajoutons que ces complaisances, tout en rendant un service réel aux gouvernements emprunteurs, n'imposent aucune charge ni risque au gouvernement anglais; ce dernier ne les garantit pas, comme il l'avait fait antérieurement en faveur de quelques gouvernements étrangers, de colonies et d'entreprises de travaux publics. Le dernier rapport qui, à cet égard, ait été présenté au parlement remonte à 1860, et il établit comme suit le montant des sommes encore dues à cette époque (25 août 1860) sur les emprunts garantis par le gouvernement anglais :

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

Quelque faible que paraisse cette somme, comparée aux dettes directes de l'Angleterre, on comprend cependant que, dans la situation budgétaire qu'il s'est faite depuis quelques années, le gouvernement anglais ne tienne guère à accroître cette charge; nominale, pour une grande partie, en temps ordinaire, elle pourrait dans les moments difficiles devenir très-effective.

Le besoin, d'ailleurs, ne s'en fait aucunement sentir; avec la forte concurrence que se font sur le marché anglais les capitaux oisifs, ils ne sentent ni le droit ni le courage d'être très-exigeants à l'endroit des garanties. Sur le continent aussi, plus d'un gouvernement met à profit l'abondance momentanée et le

-

bon marché de l'argent; s'ils n'empruntent pas, ils ne l'avaient fait que trop dans ces dernières années, ils s'en servent, ce qui vaut mieux, pour réduire les charges de certaines parties de leurs dettes. Des bruits fort accrédités, et que nous croyons fondés, prêtent au gouvernement français l'intention d'opérer bientôt une conversion obligatoire des titres 4 1/2 0/0, que la récente conversion facultative a laissés subsister. On connaît la réduction de 4 1/2 à 4 0/0, récemment décrétée par le gouvernement prussien pour les emprunts de 1850 et 1852; le délai accordé aux porteurs de titres pour opter entre la réduction de l'intérêt et le remboursement du capital expirait le soir du 30 avril; nous ne tarderons donc pas à en apprendre le résultat. Peu de jours avant l'expiration de ce terme, l'exemple de la Prusse a été suivi par la Bavière. On a même été plus hardi à Munich qu'à Berlin, puisque la réduction y est de 1 0/0 entier; elle porte sur la dette des chemins de fer, dont l'intérêt est ramené de 5 à 4 0/0. La conversion est facultative et la réduction entre en vigueur le 1er octobre prochain... L'état du marché financier permet à peine de douter de la complète réussite de ces opérations.

C'est toujours un petit soulagement des charges, si « libéralement » accumulées dans ces dernières années sur le dos des contribuables. Malheureusement on ne peut guère se réjouir de cet état favorable du marché financier, quand on pense aux causes de l'abondance exceptionnelle des capitaux : elle est dans la stagnation des affaires commerciales et industrielles. Les dernières statistiques commerciales que vient de publier l'administration anglaise fournissent à ce sujet des chiffres bien tristement éloquents. L'exportation manufacturière du mois de mars est descendue de 10,950,830 1. st. en 1861 à 9,664,649 1. st. en 1862; l'importation en février est tombée de 11,923,199 1. st. à 8,570,499 1. st., soit une diminution de plus du quart. Pour les trois premiers mois réunis, l'exportation est de 26.4 millions contre 27.7 millions en 1861 et 30.5 millions en 1860; l'importation des deux premiers mois, - s'élève à 16.7 millions, contre le chiffre de mars n'est pas encore connu, 18.2 et respectivement 15.9 millions 1. st. La décroissance porte presque tout entière sur le coton et les colonnades; l'exportation de ces dernières ne s'élève dans le premier trimestre qu'à 8.9 millions, contre 11.1 et 11.8 millions dans les deux années précédentes. Ce n'est pas le débouché, c'est la matière première qui manque; l'Angleterre a reçu cette année en mars 296,522 quintaux (quintal 50.8 kilogr.) de coton brut, quand le même mois en avait vu entrer 1,603,787, et respectivement 1,780,027 quintaux en 1861 et 1860. Pour les trois mois réunis, l'importation n'est que de 564,138 quintaux, contre 2,788,025 en 1861 et 3,514,109 en 1860. La cause de l'énorme amoindrissement dans l'importation de ce précieux textile, tout le monde la connaît; les États-Unis qui, en 1860, avaient envoyé à Liverpool 3,150,284 quintaux de coton brut, n'en ont fourni que 5,276 en 1862! Si les cotons des autres provenances (Brésil, Inde, etc.), ont plus que triplé (562,868 quintaux contre 181,521 en 1861); si l'importation de la jute, par exemple, qui prétend remplacer le coton pour certains usages, a monté de 71,746 à 88,568 quintaux, il n'y en a pas moins là un déficit subit et énorme de matière première qui ne peut manquer d'exercer l'influence la plus déprimante sur une branche capitale de l'industrie manufacturière anglaise et partant sur le mouvement général des affaires. Un

=

journal de Manchester, en rappelant que la fabrique cotonnière des districts de Lancashire et de Cheshire occupe habituellement, dans 1,678 fabriques, 319,316 ouvriers comme auxiliaires seulement des machines, établit que, sur ces fabriques, 497 seulement maintiennent encore leur activité habituelle, tandis que 278 fabriques chôment complétement et que 903 fabriques ne travaillent plus que 5, 4, 3 1/2, 3, 2 1/2 et 2 jours par semaine. L'étendue de la détresse qu'une interruption si large et si prolongée du travail doit produire dans la classe ouvrière s'imagine aisément. On est à peu près d'accord, de l'autre côté du détroit, sur la nécessité de suppléer par la charité au manque de gagnepain de tant de familles ouvrières; on est indécis encore, si ce seront les paroisses et les villes ou si ce sera l'État qui prendra en main la distribution des secours. Triste alternative pour un pays où le nombre des indigents et la dépense de la charité officielle avaient en ces dernières années suivi une marche sensiblement descendante; où, de 4,379,436 l. st. en 1856, les secours distribués dans les workhouses et au dehors étaient tombés à 3,775,110 l. st. en 1860 Le chiffre a dû s'en accroître déjà en 1861; il grandira bien autrement encore en 1862.

Au besoin, l'Angleterre ne reculerait certes pas devant une extraordinaire taxe de pauvres; mais il est certain que le budget semble se prêter moins que jamais à de grandes charges supplémentaires. On connaît les accroissements continus qui dans l'espace de huit ans l'ont fait monter de 53 à 69 millions 1. st.; des comptes de l'année fiscale qui vient de finir, il résulte que cette marche ascendante des dépenses publiques s'est continuée encore en 1861-62. Voici les chapitres principaux des recettes et des dépenses :

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

1,442,006 l. st.

Ce qui laisse pour les dépenses ordinaires un excédant de sur les recettes; il faut ajouter 970,000 1. st. votées pour dépenses extraordinaires de fortifications: le déficit s'élève alors à 2,412,006 1. st.

Avec ces 970,000 1. st. pour fortifications, les dépenses de guerre (armée et marine) approchent grandement de la somme de 30 millions: trois cinquièmes presque du chiffre qu'atteignait le budget total il y a quelques années seulement. M. Gladstone lui-même trouve que c'est excessif; il l'a hautement proclamé dans son récent discours à Manchester. Jusqu'à présent, toutefois, nous n'avons pas entendu dire que le gouvernement anglais ait l'intention de réduire l'armée ou la marine; si les travaux de fortifications sont suspendus depuis la lutte mémorable entre le Merrimac et le Monitor qui menace de révolutionner la tactique navale, il est très-probable que la dépense projetée

pour fortifications sera remplacée par une allocation plus forte encore qu'exigera la construction de bâtiments cuirassés.

On semble mieux comprendre les nécessités de la situation économique dans quelques États du continent, fameux cependant pour leur manie soldatesque. Le roi de Prusse, après avoir dissous la chambre qui n'était pas favorable à l'augmentation du budget militaire et renvoyé le ministère pour n'avoir pas assez énergiquement soutenu cette réforme, s'est empressé de renoncer << spontanément » à la surélévation du budget militaire et d'abandonner l'impôt de guerre de 25 0/0 voté en 1859 et maintenu jusque-là. On paraît vouloir aller plus loin encore en Autriche: si l'on en croit les feuilles viennoises, la réduction de l'armée, au moyen d'une large distribution de congés, s'effectue depuis quelques jours déjà; dès cette année, elle pourra, dit-on, alléger le budget de la guerre d'une somme de 8 à 10 millions de florins.

Aucun autre État n'a autant besoin de cet allégement que l'Autriche. Les vifs débats dont la question financière est l'objet dans la presse et dans les comités du Reichsrath prouvent surabondamment l'étendue et la profondeur des difficultés que le régime Bach-Schwarzenberg a léguées au Trésor viennois et aux populations autrichiennes. En ce moment même doit commencer, au sein du Reichsrath, la discussion publique sur les projets de M. de Plener (1); il serait à désirer qu'elle parvînt au moins à mettre un peu de clarté dans un chaos que la foule d'articles de journaux, de brochures, de livres, et les délibérations même des comités financiers, n'ont guère réussi jusqu'à présent à débrouiller. L'entente paraît difficile surtout parce qu'on veut absolument résoudre d'un seul coup deux questions également graves : remédier aux embarras de la situation financière et faire cesser les anomalies de la situation monétaire. A la vérité, les deux questions se tiennent : l'insolvabilité de la Banque, cause de l'agio, etc., ne peut cesser tant que le Trésor ne s'acquitte pas envers cet établissement, et le Trésor est incapable de s'acquitter tant qu'on n'aura pas remédié à sa propre situation. Malgré cela, nous ne sommes pas tout aussi convaincu qu'on semble l'être à Vienne que les deux problèmes doivent être résolus simultanément; moins encore que le règlement des rapports entre l'État et la Banque doive précéder les réformes budgétaires. Agir ainsi, c'est peut-être la manière la plus sûre de n'obtenir ni l'un ni l'autre des résultats convoités.

Nous sommes loin de méconnaître la gravité des embarras que la banqueroute de la Banque cause aux populations et au Trésor lui-même; ce n'est pourtant qu'un des éléments de la question budgétaire : celle-ci domine tout. Si le ministère voulait et si le Reichsrath pouvait rétablir l'ordre dans les finances publiques, si, en réduisant largement les dépenses et en fournissant des garanties sérieuses contre le retour des déficits, ils arrivaient à reconquérir au gouvernement autrichien le crédit qui aujourd'hui lui manque absolument, la solution de la question banquière n'offrirait plus des difficultés

(1' On trouvera un exposé précis, fortement approbateur, de ces projets dans l'écrit que M. le chevalier Debrauz vient de publier sur la Situation financière en Autriche, etc. (Paris, Amyot.)

2 SERIE. T. XXXIV. - 15 mai 1862.

20

« PrécédentContinuer »