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s'établir maître lui-même, si le patron chez lequel il travaille veut lui imposer des conditions trop dures; la même faculté existe-t-elle pour l'ouvrier imprimeur? Nullement.

M. DUPUIT ne pense pas que le privilége des imprimeurs soit une cause de diminution de salaire pour les ouvriers de cette industrie. Ce privilége a pour effet de donner plus de valeur aux brevets, et la société se trouve obligée de payer plus cher les services rendus par les imprimeurs; c'est là un fait analogue à ce qui se passe pour les charges d'avoué, de notaire ou d'agent de change, mais cela n'a pas d'influence sur les salaires et ne peut légitimer les prétentions des ouvriers de cette industrie.

-L'entretien s'est continué entre MM. Garnier, Horn et Dupuit au sujet de la concurrence par l'accroissement de la population et l'imprévoyance conjugale. Nous omettons cette partie de la séance; c'est un sujet sur lequel plusieurs membres se proposent de revenir.

BIBLIOGRAPHIE

L'ANNÉE LITTÉRAIRE ET DRAMATIQUE, ou Revue ANNUELLE DES PRINCIPALES PRODUCTIONS DE LA LITTÉRATURE française ET DES TRADUCTIONS DES OEUVRES LES PLUS IMPORTANTES DES LITTÉRATURES ÉTRANGÈRES, CLASSÉES ET ÉTUDIÉES PAR GENRES, avec l'indication des événements les plus remarquables appartenant à l'histoire dramatique et bibliographique de l'année, par G. VAPEREAU. (Quatrième année.) 1 vol. in-18. Chez L. Hachette et C. 1862.

M. Vapereau est un homme aimable et un esprit honnête, sensé, juste et libéral. On ne peut donc que le louer de l'exactitude avec laquelle il remplit la tâche qu'il s'est imposée, lorsqu'il a entrepris de publier régulièrement son Année littéraire et dramatique. Cette exactitude est même cette fois tout à fait de saison, car il publie son livre dès le commencement de l'année, et non pas cinq ou six mois après le premier jour de janvier, comme l'année dernière. Il est vrai qu'il avait alors sur les bras la charge fort lourde de l'achèvement de la seconde édition de son consciencieux et très-utile Dictionnaire des contemporains. Remercions-le donc des services qu'il nous a rendus et de ceux qu'il veut nous rendre. Un recueil comme le sien, quand il compte déjà quatre années d'existence, c'est une fondation qui durera, et nous en sommes bien aises, car on y trouve à peu près tout ce qu'on y cherche et dans la nécessité où l'on est de demander à quelqu'un ce qu'il faut penser des trois quarts, et de plus des trois quarts de ce qui s'imprime, on a au moins, avec M. Vapereau, la certitude de s'appuyer sur des opinions modérées et moyennes.

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Mais puisque c'est une entreprise acceptée du public, et qui doit de plus en en plus lui plaire, nous nous permettrons de demander à l'auteur de l'Année littéraire qu'il fasse dans son livre une part un peu plus grande à certaines parties de la littérature qui touchent à la science d'assez près, et, par exemple, aux publications relatives à l'économie politique. C'est ici, du reste, le lieu de lui adresser cette demande et il ne s'étonnera pas de notre vou. On a longtemps raillé la littérature économique, ou même on a longtemps ignoré son existence. Elle a prouvé, dans ces dernières années, combien elle est vivante, et elle a fait ses preuves de science, d'esprit, d'élégance, de verve.

Il y a dix ans, voici, on se le rappelle, comment la définissait un illustre historien, M. Thiers. C'était à la tribune de l'Assemblée nationale, le 27 juin 1851. «Oh! dit-on, il faut prendre la chose là où elle coûte le moins! Voilà le grand argument de messieurs les économistes, de ces littérateurs d'une nouvelle espèce, inventeurs, je leur en demande pardon, de la moins divertissante des littératures. Ils pourront, du reste, se venger demain, et ils n'y manqueront pas; mais qu'ils me permettent de le leur dire, ils ont créé non pas une science, mais une littérature, et une littérature ennuyeuse. (Rire général et prolongé.) Non pas que ce soit une chose ennuyeuse que le coton, le blé, le sucre, le fer, la houille : ce sont les éléments de la grandeur des nations. Mais ces sujets ne deviennent intéressants que quand on en parle d'après une exacte observation des faits. Quand, au contraire, on n'en fait qu'une matière à discours et à pamphets, ils deviennent le sujet de la plus vaine, de la plus puérile, et quelquefois de la plus désastreuse des littératures. (Vive approbation sur un grand nombre de bancs.)

Ainsi parlait le plus babile et le plus brillant des chefs du parti purement politique. Les économistes ont laissé passer tous ces coups d'éloquence et ils ont continué à transformer peu à peu la scène du monde. Avant 1848, ils avaient doté l'univers de ces fécondes voies ferrées que les politiques ne considéraient presque que comme un amusement, et la multiplication des chemins de fer a enrichi le commerce et l'industrie de tous les pays qu'ils traversent. Depuis 1848, les mêmes hommes voient leurs rangs se grossir, tandis que les politiques purs et les philosophes d'état systématiques comptent chaque jour dans leur parti des défectionnaires. L'avenir appartient en effet à une nouvelle école politique qui aura passé par l'apprentissage et l'éducation de la science et de la littérature économiques. En attendant qu'elle ait grandi, les économistes poursuivent leurs efforts et font un nouveau tempérament commercial aux peuples que leurs premières créations matérielles ont enrichis; et en même temps ils changent quelque chose au tempérament général de l'humanité, car c'est des idées de travail solidaire et des idées d'échange qu'est venu cet esprit si puissant de paix qui aujourd'hui rend les guerres si courtes, ou encore leur défend d'éclater au milieu même des situations les plus pleines d'étincelles.

Une littérature qui a produit des œuvres universellement connues, qui chaque jour en produit d'autres, et qui enfin a conquis tant d'influence sur la préparation et la direction des événements humains, n'a-t-elle pas quelque droit à vouloir qu'on la traite aussi bien que les folies-vaudevilles, dans un répertoire historique de toutes les productions sérieuses de chaque année?

M. Vapereau n'a parlé que des deux ouvrages de M. Proudhon et du livre de M. Simon, l'Ouvrière. Il y avait plus à dire, comme nos lecteurs le savent. Il croit s'en excuser en écrivant: « On n'attend pas de nous l'analyse des ouvrages économiques et la discussion des théories qu'ils contiennent. » Mais c'est là l'erreur. On n'attend pas la discussion, mais on attend l'analyse. Qui achète les livres sérieux et bien faits? qui tient à pouvoir se faire, au besoin, une idée de toute la production littéraire d'une année ? Sont-ce les admirateurs des romans de M. Gandon et des pièces de théâtre tirés de ces romans? Sontce même les admirateurs assidus des chefs-d'œuvre de musiquette joués aux Bouffes-Parisiens? Eh bien! que M.Vapereau néglige un peu M. Gandon, qu'il fasse la part moins belle à l'analyse de quelques pièces de théâtre dont ses lecteurs véritables ne se soucient peut-être pas, et qu'il donne chaque année à son livre un intérêt et une valeur nouvelle pour s'assurer et pour étendre encore son public.

Je pourrais bien lui demander d'être aussi un peu plus complet dans se chapitres de voyages et d'ethnographie, et encore de nous faire connaître, autrement que par leurs traductions, les œuvres récentes de la littérature étrangère; mais je n'ai mission que de lui parler de l'économie politique. Avant de poser la plume, j'exprimerai pourtant un désir, qui est partagé par quelquesuns des amis de la liberté : c'est de voir cesser le malentendu qui divise deux esprits indépendants et honnêtes comme M. Vapereau et M. Taxile Delord. Ecrivains et partisans, à quelque titre que ce soit, de la cause libérale, nous n'avons aucun intérêt et ne pouvons avoir aucun plaisir à nous frapper les uns les autres.

PAUL BOITEAU.

DES FORCES PRODUCTIVES ET IMPRODUCTIVES DE LA RUSSIE, par A. JOURDIER. Paris, chez Franck. 2e édition. 1 vol. in-8°.

Une nouvelle édition vient de paraître des observations, pleines de sagacité, que M. Jourdier a rapportées de deux voyages accomplis en Russie dans les meilleures conditions pour approfondir les choses. Elle est enrichie de neuf cartes, spécialement dressées d'après des documents officiels, pour la plus complète intelligence du texte. Les circonstances actuelles exigent qu'on soit plus au courant que par le passé de la situation réelle de la Russie. Pour s'y mettre, on ne saurait mieux faire que de consulter les pages dans lesquelles l'habile économiste a condensé le fruit de son expérience et de son séjour dans ce vaste empire dont les capitales ne sont que des oasis où s'étale un luxe effréné. De cette lecture, toujours instructive et souvent attrayante, le moraliste pourra conclure, comme l'a fait M. Léon Faucher, en constatant le désordre financier en Russie, qu'il n'y a pas au fond de gouvernement plus vulnérable que l'absolutisme. Son tempérament rend les fautes inévitables, son caractère ne lui permet pas de les avouer ni de les réparer. Toutes les forces dont il dispose, on peut les détacher de lui; quant aux forces dont il ne dispose pas, ce sont celles que rien ne remplace : l'opinion et le crédit.

Avec M. Jourdier, je désire ardemment pour la Russie la publicité qui assure l'exécution de la justice, la liberté dans les transactions qui suppose celle des actes intimes de la conscience, la sincère application, en un mot, des prin

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cipes que la France monarchique a eu l'honneur de proclamer en 1789 et de propager constamment depuis cette époque. En exprimant ce vou, partagé par un grand nombre de mes compatriotes, est-il nécessaire d'ajouter que je ne songe pas à toucher à aucun des régimes qui font plus ou moins la prospérité des nations? Il n'a jamais été surtout dans ma pensée de blesser celle où j'ai appris que ia société moderne ne saurait avoir d'autre ressort que cette indépendance et cette inviolabilité de la conscience humaine que je voudrais voir mieux garanties en Russie.

Pce AUGUSTIN GALITZIN.

L'ANGLETERRE ET LA VIE ANGLAISE (2e série), par ALPHONSE ESQUIROS. 1 vol. gr. in-18 (Collection Hetzel). Dentu, libraire-éditeur, galerie d'Orléans, au Palais-Royal.

Le malheur est un grand maître; mais les nobles esprits seuls savent profiter de ses leçons, et l'on peut les reconnaître à ce signe. En lisant le livre de M. Alph. Esquiros, la Néerlande et la vie hollandaise, et la première partie de ses études sur l'Angleterre et la vie anglaise, j'avais été frappé déjà de la sérénité virile avec laquelle cet écrivain avait su utiliser, pour son pays, pour son parti et pour lui-même, l'exil qui n'a inspiré à tant d'autres qu'aigreur ou découragement. J'avais remarqué et signalé (1) les heureuses modifications qui s'étaient opérées dans ses idées et dans son style, la rectitude de jugement et la sûreté d'observation dont il faisait preuve dans ce nouvel ordre de travaux, si différents de ceux qui avaient signalé ses débuts. La deuxième série de l'Angleterre et la vie anglaise, que j'ai sous les yeux, confirme de tout point cette impression favorable. On y retrouve la même solidité de fond, la même forme élégante et colorée. L'auteur poursuit sa tâche avec le même talent, et je puis ajouter avec le même courage. Car dans notre pays où nonseulement la masse ignorante, mais encore un grand nombre d'hommes intelligents d'ailleurs et bons citoyens, professent tant de dédain à l'endroit des peuples étrangers, et nourrissent contre l'Angleterre en particulier une antipathie si tenace et si aveugle, il y a quelque courage à entreprendre la réhabilitation de ces prétendus barbares, à se faire le champion de ce grand peuple anglais dont, sans le connaître, nous pensons tant de mal. M. Esquiros considère, non sans raison, les préjugés qui règnent parmi nous sur la « perfide Albion, » comme un des obstacles les plus sérieux au retour de la vie politique en France, ainsi qu'à la grandeur et à la bonne intelligence des deux nations. Il croit fort sagement qu'au lieu de nous amuser des ridicules que nous trouvons à nos voisins d'outre-Manche et de déclamer, l'instant d'après, contre leur politique égoïste et envahissante, nous ferions beaucoup mieux d'étudier sérieusement les causes de cette prospérité, de cette énergie, de cette puissance qui nous causent tant de dépit.

« Je ne conteste pas à d'autres, dit-il, le droit de désigner l'Angleterre comme une proie à l'invasion, de dépecer d'avance son riche territoire, ni de la taxer sur le papier pour payer les frais de la guerre; seulement, plutôt

(1) Voy. le Journal des Économistes du mois de janvier 1860, p. 132 et suiv.

que d'enivrer de ces folies et de ces rêves d'orgueil la démocratie française, j'aimerais mieux passer pour son ennemi. Il y a mieux à faire, selon moi, que de convoiter les richesses de nos voisins: c'est de se demander comment ils sont devenus riches. L'Angleterre n'est pas seulement grande, prospère et redoutable parce qu'elle a du charbon plein ses mines, des vaisseaux plein ses ports, et un peuple de travailleurs qui s'étend dans les colonies jusqu'aux extrémités du monde. Tout cela est beaucoup, sans doute; mais elle n'eût jamais arraché à la nature tous ses trésors sans le concours et l'appui de ses institutions libérales. Là réside le secret de sa puissance. La liberté, pour les autres nations du continent qui la cherchent, a été jusqu'ici le cap des tempêtes; pour la Grande-Bretagne, qui a eu le bonheur de la trouver et de s'y fixer, elle a été le port. C'est du haut de ce port qu'elle défie l'invasion étrangère. »

La liberté est, en effet, le vrai palladium des peuples, le bien suprême auquel tous les autres s'ajoutent par surcroît. C'est par la liberté que les hommes grandissent en vaillance et en dignité; c'est par la liberté qu'ils apprennent à se respecter eux-mêmes et à se faire respecter; c'est par la liberté qu'ils s'élèvent à la connaissance des vérités philosophiques, qu'ils se perfectionnent dans la culture des sciences, des arts et des lettres; c'est par la liberté qu'ils apprennent à aimer le travail, parce qu'elle seule leur assure la jouissance pleine et entière des fruits qu'ils en retirent; c'est par la liberté enfin qu'ils acquièrent ce sentiment profond de leur force, cette confiance tranquille, cette audace calme qui développent et affermissent sans cesse la richesse matérielle, l'énergie morale et la grandeur d'une nation. Or, on peut railler ou blåmer tant qu'on voudra certains côtés du caractère, des mœurs et de la politique britanniques. Mais ce qu'il est impossible de méconnaître, et ce qui, aux yeux des hommes impartiaux, compense bien des travers et bien des imperfections, c'est que la prospérité et la puissance de l'Angleterre n'ont cessé de s'accroître, en même temps que les principes libéraux s'infiltraient progressivement dans ses institutions et, pour ainsi dire, jusque dans le sang de ses princes et de ses citoyens; c'est qu'aujourd'hui l'Angleterre présente l'imposant et trop rare spectacle d'un pays où les lois sont également respectées et observées par le gouvernement et par le peuple, où les droits du plus humble artisan sont aussi sûrement garantis que ceux du plus noble lord, où l'activité intellectuelle et industrielle s'exerce sans entrave et sans qu'il en résulte aucun désordre ; c'est qu'au milieu des troubles qui ont agité et bouleversé depuis un siècle le reste de l'Europe, sa tranquillité intérieure n'a pas été troublée, ses institutions n'ont pas cessé de s'affermir en s'améliorant; c'est qu'enfin on n'a jamais rencontré ni en France ni ailleurs un Anglais banni de son pays pour ses opinions ou pour ses actes politiques, tandis que l'Angleterre a recueilli et abrité sous son égide les proscrits de tous les partis et de tous les pays.

Une telle nation mérite bien, sans doute, qu'on cherche à la connaître, à la juger sans prévention, et qu'après avoir si souvent critiqué ce qu'elle a de mauvais, on mette en lumière ce qu'elle a de bon et de beau. C'est ce que M. Esquiros a entrepris de faire et ce que chacun pourra faire aisément avec lui en lisant les deux volumes qu'il a déjà publiés et ceux qui, sans doute,

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