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ne tarderont pas à les suivre. Il nous a déjà appris bien des choses, mais il lui en reste beaucoup à nous montrer encore. Son œuvre n'est pas achevée : il le sait et il le dit lui-même. On ne saurait donc la juger encore dans son ensemble. On peut cependant dès à présent en apprécier la portée. — « L'unité de ce livre, dit-il, est dans l'avenir. » L'unité matérielle, oui, sans doute; mais l'unité morale est dans l'intention qui l'a inspiré, dans le but auquel il vise, dans la pensée qui le domine. Le reste est une affaire de temps et de travail. Il est permis de regretter, peut-être, que M. Esquiros, au lieu d'étudier sans ordre et comme ils lui tombaient sous la main, les feuillets épars qui composent le livre de la civilisation britannique, n'ait pas cru devoir adopter, dès le principe, un plan méthodique. Le sujet qu'il traite est assez vaste, assez complexe et assez varié de sa nature pour qu'il soit inutile d'en morceler les parties.

Heureusement, rien ne sera plus facile, l'œuvre une fois complète, que de remédier à ce défaut d'arrangement. Tels qu'ils sont, les deux premiers volumes de l'Angleterre et la vie anglaise n'en doivent pas moins être comptés parmi les meilleurs livres qui aient été publiés de notre temps. Je recommande surtout aux économistes, dans le tome premier, les chapitres relatifs aux houblonnières duKent et à l'industrie de la bière; dans le tome second, ceux qui traitent des mines de sel du Cheshire et des usines de Sheffield, et ceux, d'un intérêt plus piquant, où M. Esquiros nous initie aux mystères des petits métiers de Londres. Qu'on ne s'y trompe pas : outre que ces petits métiers révèlent au moraliste une partie des joies et des misères, des vertus et des vices que peut recéler, dans les dernières couches de sa population laborieuse, une grande capitale comme Londres, ils prennent, aux yeux de l'économiste qui les considère avec attention, une très-grande importance, car ils occupent une large place dans l'histoire du travail, et présentent, dans les conditions de leur existeuce, plus d'un phénomène utile à étudier.

La seconde moitié du volume nous trace le tableau des institutions militaires de la Grande-Bretagne : arsenaux, écoles, armée régulière, et cette autre armée des riflemen, qui, aux bruits menaçants venus des deux côtés de l'Atlantique, est accourue soudain et spontanément se ranger sous le drapeaunational. M. Esquiros termine en revenant à son point de départ, c'est-à-dire à la réduction à l'absurde des projets insensés de descente en Angleterre, à l'aide desquels certains journaux français ont trop souvent flatté les sottes rancunes et le fol orgueil de la multitude. Si l'on appelle cela du patriotisme, dit-il, je m'en étonne. Les vrais patriotes étaient ceux qui, en 1812, sous un ciel encore parfaitement calme, montraient du doigt à la France le point noir de la coalition étrangère. »

ARTHUR MANGIN.

CONSIDERAZIONI INTORNO AD UN PARERE LEGALE SOPRA UNA QUESTIONE DI PROPRIETA LETTERARIA. Insorta fra il cav. Alessandro MANZONI ell' editore F. Lemonnier. Genova, 1861. Brochure in-8°.

L'on aime à voir les grandes et hautes questions de l'économie politique abordées par les étrangers et résolues dans le sens des véritables principes fondamentaux de la science. Plus d'une fois, la propriété littéraire a été l'objet

d'articles lumineux dans ce journal même, et toujours la solution était favorable à la propriété intellectuelle, comme étant sacrée à l'égal de toute autre. C'était du reste la pensée de nos pères en 1789, car dans la loi sur la matière ce préambule s'exprimait ainsi : « L'Assemblée nationale, considérant que toute idée nouvelle dont la manifestation ou le développement peut devenir utile à la société appartient primitivement à celui qui l'a conçue...; considérant, enfin, que tous les principes de justice, d'ordre public et d'intérêt national lui commandent impérieusement de fixer désormais l'opinion des citoyens français sur ce genre de propriété, par une loi qui la consacre et qui la protége; décrète ce qui suit: Art. 1er. Toute découverte ou nouvelle invention, dans tous les genres d'industries, est la propriété de son auteur, en conséquence la loi en garantit la pleine et entière jouissance. »>

Cela était net et précis et ne laissait nulle issue à l'équivoque; c'était le principe lui-même, c'était le droit naturel consacré par le droit écrit. Dans la brochure italienne qui nous occupe figure un grand nom, celui de Manzoni, l'auteur de I promessi sposi, dont l'éditeur Lemonnier avait cru pouvoir réimprimer l'ouvrage sans le consentement de l'auteur, en s'appuyant sur ce que l'ouvrage réimprimé avait paru avant la convention internationale de 1840 sur la propriété des œuvres de l'intelligence.

L'illustre professeur Gerolamo Boccardo avait conclu que, sans aucun doute, Lemonnier avait agi légalement.

Un jeune publiciste s'est rencontré qui, tout en professant le plus profond respect pour Gerolamo Boccardo, combat ses conclusions par les arguments les plus solides, puisés dans la philosophie du droit, dans le droit naturel et dans la raison humaine. Eh quoi! la terre, dit-il, appartient au premier occupant qui la cultive et se l'approprie par son travail, et il ne serait pas juste que les inventions appartinssent à ceux qui les créent! Le travail de l'esprit, le sacrifice du temps employé, du capital nécessaire, d'une composition, donnent un juste titre de propriété à l'auteur, et ce serait la dégrader que de vouloir la réduire à un privilége, e sarebbe degradarla volerla ridurre ad un privilegio!

L'auteur cite Dalloz: Sans doute, cette propriété est composée avec des idées qui nagent presque toutes dans le tourbillon des âges passés, ce fonds commun dans lequel viennent puiser les intelligences; mais la recherche de ces idées, leur combinaison, souvent si neuve et si saisissante que nul ne semble les avoir connues jusque-là; mais ce travail long et patient que l'homme accomplit avec tant de peine, le fruit doit-il en être perdu pour lui et pour ses enfants? La conscience et la raison répondent à la fois à une question semblable. L'auteur rappelle aussi ces belles paroles de M. Renouard de l'Institut: « Ce que réclame le travail, c'est la liberté d'abord, puis le paiement; la propriété n'a droit ni à récompense ni à salaire, mais à inviolabilité... Il est de l'essence d'un bon ordre social de favoriser le libre et entier développement de toutes les facultés humaines, et de féconder par la liberté les esprits inventeurs en leur laissant un entier essor.»

L'auteur, dans une succession de raisonnements très-serrés et très-logiques, où il s'appuie encore du sentiment de Louvet, pose en principe que puisque l'homme et ses droits préexistent à la formation de la société civile, il s'en

suit que la loi ne peut que garantir ces droits; loin de les créer elle ne fait que les reconnaître, e ben lungi dal crearli essa non fa che riconoscer li.

Fort des vrais principes qui régissent la matière, l'auteur proclame que la raison naturelle, les intentions des législateurs et le texte de la convention internationale du 22 mai 1840 sur la propriété littéraire et la jurisprudence étrangères concourent à persuader que la reproduction des œuvres publiées avant ladite convention ne peut être faite sans le consentement de l'auteur.

Et nous disions, nous, que Manzoni ne saurait perdre ses droits, qu'ils sont imprescriptibles, et que le jeune légiste italien a sainement jugé et parfaitement soutenu la cause de la vérité.

Nous sommes heureux de constater, en terminant, que le gouvernement, fidèle au vrai principe qui régit la matière, a provoqué le travail d'une commission spéciale qui a conclu à la perpétuité de la propriété et qu'une loi s'élabore dans ce sens au conseil d'État. La commission était présidée par LL. EE. MM. les ministres d'État et de l'intérieur, deux protecteurs éclairés des lettres. JULES PAUTET.

CHRONIQUE ÉCONOMIQUE

SOMMAIRE.

La question américaine; M. Lincoln et l'esclavage. - Discours de M. Rouher au concours de Poissy; son rapport sur la marine marchande. Discours de M. Gladstone. - Premières nouvelles de l'Exposition de Londres. — La coalition des ouvriers typographes et le travail des femmes. Encore des obstacles au traité de commerce franco-prussien. Le banquet donné à M. Frédéric Passy.

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Mort de M. de Launay, du Havre.

L'attention publique continue à se porter exclusivement, la question italienne mise à part, sur la lutte gigantesque qui se poursuit entre les États du Nord et les États du Sud de l'Amérique du Nord. L'Europe de plus en plus s'alarme de cette lutte sans issue, ce semble, malgré une récente victoire du Nord et la nouvelle que l'on présente comme certaine de la prise de la Nouvelle-Orléans. Mais le Sud est-il près de céder? Et quelle union peut sortir d'une lutte si acharnée fondée sur d'autres antipathies encore que celle qu'établit l'esclavage entre les deux parties de l'ancienne Union américaine? On se demande comment la crise des centres manufacturiers en Angleterre et en France ne s'aggraverait pas. La belle et fière attitude des fabricants du Lancashire refusant les secours de l'État et voulant, à force de sacrifices, suffire aux plus urgentes nécessités, en ajoutant au self governing, comme ils

disent noblement, le self supporting, n'est malheureusement pas une solution. L'augmentation dans la production des pays autres que les États-Unis d'où l'Angleterre et la France tirent le coton, ne saurait combler que quelques vides. La question subsiste donc entière. L'esprit se perd en conjectures, et sans être alarmistes, on a peine à échapper aux hypothèses défavorables. Si, ce qui paraît peu vraisemblable, sans être impossible, la masse de coton tenue en réserve dans le Sud, venait à la fois à déborder sur l'Europe, cela pourrait-il se passer sans crise? Si, ce qui est malheureusement plus probable encore, le coton n'arrive pas, que deviendra la manufacture, que deviendront nos ouvriers? Quant à la question de l'esclavage, elle paraît avoir fait un pas. On a lu dans les journaux le Message par lequel le président Lincoln a donné sa sanction au bill du congrès qui proclame l'affranchissement des esclaves dans le district de Colombie. Si dans une question de cette nature on ne considérait que les chiffres, le Message du président Lincoln et le bill du congrès n'auraient pas avancé de beaucoup la solution qu'attendent les adversaires de l'esclavage. Sur une population totale de 3 millions 204,000 esclaves que renferment les États-Unis, le district de Colombie n'en posséde que 3,687. Sur 44,000 habitans qui forment la population libre de la Colombie, 1,477 seulement sont propriétaires d'esclaves. Dans ce chiffre, il est vrai, nous ne comprenons pas une classe très-nombreuse aux États-Unis, celle des loueurs d'esclaves; car un nègre étant une propriété au même titre qu'un cheval, un champ ou une maison, se prend à ferme, à bail ou à louage de la même façon et aux mêmes conditions qu'un champ, une maison ou un cheval. Or, qu'est-ce que 3 ou 4,000 esclaves de moins? Rien en apparence. Qu'est-ce que 1,477 propriétaires à indemniser? Peu de chose. Mais l'acte qui vient de s'accomplir à Washington n'en reste pas moins un des grands événemens politiques de l'histoire, encore peu chargée de faits, de la jeune république américaine. La statistique toute seule ne saurait nous en faire apprécier l'immense portée morale.

M. Lincoln, par la loi qu'il vient de promulguer, a dignement rempli la mission dont l'avait chargé la confiance du Nord. Il a fait plus qu'arrêter la marche de l'esclavage. Quoi qu'il arrive, il l'aura refoulée. Depuis quarante ans et plus, c'est la première défaite éclatante que subit la cause esclavagiste, et si l'on veut bien regarder à la situation spéciale du district de Colombie, on conviendra que les effets réels, les conséquences juridiques et constitutionnelles de cette mesure en valent bien l'effet moral. Le district de Colombie est un territoire neutralisé, privé des prérogatives dont l'ensemble forme la qualité d'État fédéré. Il appartient indivis à la confédération. Du moment que l'esclavage est extirpé de ses limites, ce n'est pas simplement un territoire de quelques milles carrés qui se trouve affranchi. La confédération déclare par

un acte solennel que l'esclavage devient plus que jamais une institution particulière, et que si la guerre présente se termine par la soumission du Sud, la Floride, les deux Carolines, la Géorgie, la Louisiane, etc., pourront bien rester, chacune en ce qui la concerne, des États à esclaves, mais que les États-Unis eux-mêmes, ni directement ni indirectement, ne laisseront entrer l'esclavage dans le droit fédéral. Le district et la ville fédérale affranchis de l'esclavage, bien qu'après le rétablissement de plus en plus problématique de l'Union, des propriétaires d'esclaves puissent être contraints par la constitution d'y venir résider à titre de députés et de sénateurs, le district et la ville de tout le monde placés en matière d'esclavage sous le régime exclusif des lois du Nord, cela veut dire que l'exception odieuse reprendra dès à présent son rang et son caractère d'exception, tolérée par politique et par prudence dans une zone soigneusement déterminée et irrévocablement restreinte.

A l'intérieur, chaque mois apporte quelque nouvelle intéressant l'économie politique. Le mois d'avril n'était pas encore terminé que nous avons entendu pour la première fois les doctrines de la liberté commerciale franchement professées par un ministre du commerce. C'est là le sens du discours remarquable prononcé par M. Rouher à la distribution des récompenses de Poissy. Il ne tenait qu'à M. Rouher de se renfermer dans ces formules évasives et atténuantes par lesquelles la plupart de ses prédécesseurs cherchaient à absoudre aux yeux des préjugés économiques les mesures même libérales qu'ils prenaient. M. Rouher a voulu en finir avec ces subterfuges et ces réticences qui constituaient la théorie du libre commerce à l'état de doctrine honteuse. Il a pris corps à corps les maximes protectionistes. Il en a fait justice avec une élévation et une rigueur de termes qui ont frappé tous les économistes. La liberté du commerce devenue doctrine officielle, c'est là un fait considérable. Au reste, M. Rouher fait mieux encore que de prêcher, il agit. Son rapport sur la marine marchande, en provoquant de nouvelles réformes qui mettront cette partie de notre commerce en rapport avec l'esprit de notre nouveau code douanier, est une suite aux mesures dont il a déjà eu l'initiative. Nulle part ailleurs, les préjugés économiques ne sont plus invétérés. Il faut cependant en avoir raison dans l'intérêt de la marine elle-même comme dans celui de nos relations commerciales. La réforme économique forme un ensemble. On ne saurait la laisser en souffrance sur un point sans la compromettre sur les autres. Nous sommes donc convaincu que la réforme de la législation qui régit notre marine est une des questions aujourd'hui les plus urgentes. M. Rouher le comprend, et sa courageuse initiative lui vaut trop d'attaques pour que nous lui ménagions l'expression de notre approbation et de notre adhésion

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