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revenu. » Si la loi de 1807 présentée et votée sous ces impressions fût restée sans changement, les partisans du droit de co-propriété de l'État trouveraient à puiser dans ce texte des arguments valables. Mais ces idées qui inspirèrent la loi, bien loin de réussir à faire leur chemin dans l'esprit du public et à y gagner faveur, l'effrayèrent au point de provoquer une vive répulsion. Il sembla que le droit inviolable de la propriété fût menacé; on trembla que le prélèvement annuel par le fisc d'une quotité déterminée du revenu foncier ne parût entraîner le démembrement définitif, l'expropriation au bénéfice de l'État de toute la portion des terres grevées par l'impôt; de longues plaintes retentirent; le gouvernement fut obligé par des actes successifs (1) de protester contre ces tendances et, en assignant comme but exclusif au cadastre la rectification de la répartition individuelle dans chaque déparlement, il parvint à faire évanouir enfin les inquiétudes soulevées par la loi de 1807.

Dira-t-on qu'en France comme en Angleterre, d'après l'opinion de Mill, l'impôt a simplement pris la place des charges féodales et qu'il en est pour ainsi dire le représentant et l'héritier direct? C'est l'histoire qui se chargera de répondre. Avant la révolution de 1789 la propriété foncière était à la vérité soumise, sous la désignation de droits féodaux, à des redevances pécuniaires beaucoup plus coûteuses que celles dont l'impôt aujourd'hui lui réclame le paiement. Aussi dans quel état végétait l'agriculture! Par quel dédale de ruineuses difficultés se traînaient les détenteurs précaires d'un bien dont à chaque instant la propriété même leur était disputée? Rentes foncières, baux emphythéotiques, censives, champarts, baux à locatairie et à métairie perpétuelle, bail à complant ou à domaine congéable, que de liens étroits retenaient captives et la propriété et la culture du sol! Assurément ces formes ingénieuses et ces contrats compliqués leur avaient rendu de grands services à l'époque où les seigneurs féodaux, possesseurs de terres immenses laissées en friche faute de bras, étaient obligés afin de les mettre en culture d'en livrer la jouissance à leurs vassaux, et ne réservaient à leur profit qu'un droit pécuniaire ou un partage de fruits, devenus ainsi le signe et la représentation de leur suzeraineté plutôt que le prix d'une concession territoriale. Un publiciste célèbre (2), dans un ouvrage juridique inspiré par de hautes considérations sociales, a même démontré que ces modes si divers et au premier abord si étranges du contrat de louage avaient puissamment aidé à

(1) Lois des 20 mars 1813, 23 septembre 1814, 25 mai 1818, 17 juillet 1819, 23 juillet 1820 et 31 juillet 1821.

(2) M. Troplong. Préface du commentaire sur le contrat de louage.

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l'émancipation de la classe moyenne et au développement de la civilisation. Mais en 1789 ce n'était plus qu'une gêne, qu'une entrave inutile; la propriété et l'agriculture, qui étaient nées et qui avaient prospéré sous leur ombre protectrice, aspiraient pour grandir encore et atteindre toute leur force à la lumière et à l'indépendance; la nuit du 4 août 1790 engloutit les derniers restes d'un passé qui n'était pas sans gloire, quoi qu'en disent les déclamations de quelques historiens, et la loi du 24 décembre 1790 confirma, en le développant, l'affranchissement du sol.-Prétendrait-on que l'impôt a succédé aux redevances féodales? La seule comparaison des dates ferait justice de cet argument; c'est la loi du 24 décembre qui déchira le réseau des charges dont le système féodal avait couvert le sol, et déjà depuis le 14 septembre était instituée la contribution foncière sur les bases et d'après les maximes nouvelles du droit social. D'ailleurs, si la taxe territoriale qui figure dans la législation contemporaine de notre fiscalité a pris une place, c'est, à n'en pas douter, celle des redevances de toute nature qui, sous le nom de tailles, d'aides, etc., étaient acquittées par la terre sous l'ancienne monarchie; et cela est si vrai, qu'en 1790, lorsque l'assemblée constituante eut à déterminer le montant de la contribution foncière, on réunit en un seul chiffre les sommes de toutes les taxes payées par la propriété sous le régime déchu, et le total de cette addition forma le contingent exact du nouvel impôt foncier (1).

Celui-ci, n'en déplaise à Mill et à ses adhérents, est donc un véritable prélèvement du fisc sur le revenu territorial, et non point la part de l'État à titre de co-propriétaire de tous les biens fonds.

De longues théories seraient maintenant bien superflues pour démontrer que la taxe foncière retombe en entier sur le propriétaire, sans que celui-ci puisse en rejeter aucune partie sur toute autre classe de la société; c'est là, en effet, la conclusion forcée de nos recherches à l'occasion de la rente foncière. Il n'est pas moins évident que si l'impôt excédait la rente et empiétait sur le produit net sans entamer toutefois le produit brut, le propriétaire en ressentirait les effets jusqu'à concurrence seulement du montant de la rente; tout le surplus rejaillirait sur les consommateurs, le prix des denrées agricoles devant subir une augmentation égale à la portion de la taxe supérieure à la rente.-Mais heureusement une pareille hypothèse, bien qu'il soit convenable de la prévoir afin d'en calculer les conséquences, ne nous menace point d'une réalisation prochaine, et notre temps, notre siècle sont trop éclairés et trop avancés dans les études économiques pour qu'ils aient à craindre d'en voir surgir un jour l'application.

(1) Voy. Laferrière. Droit administratif, éd. 1854; t. II, p. 164.

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Dira-t-on qu'en Fr de Mill, l'impôt a sim en est pour ainsi dir qui se chargera de foncière était à féodaux, à des celles dont l'i quel état vég se traînaier propriété théotiqu tuelle, reten form

et la logique nous enseignent, en effet, que plus l'agriculLe propriétaire s'enrichit dans l'exploitation du sol, et plus croit et s'améliore; mais si le fisc exige une part de plus en plus grans ces bénéfices, les capitaux, les bras qui s'étaient portés vers

culture parce qu'ils y trouvaient une rémunération suffisante, dront alors une autre direction et chercheront des emplois mieuxréQués. Quoique la suppression de l'impôt, dont nous avons examinédéjà, Ay a quelques pages, les fertiles conséquences (3), soit un de ces bienfaits suxquels les besoins de l'État ne permettent point de jamais prétendre, on peut cependant, sans excès de présomption, nourrir l'espoir d'un allégement et d'une diminution; déjà le gouvernement, à plusieurs reprises, a débarrassé les contribuables d'une fraction de leur dette, et

(1) Salvien. De Gubernat. Dei., lib. V.

(2) Tacite. Annales, liv. III, no 53. (3) Voy. suprà.

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> s'il écoutait les conseils de publicistes qui, préoccupés Ivement de la théorie, affirment que le propriétaire peut être déssédé complétement de la rente sans aucun dommage pour la production rurale du pays.

Quelques citations tirées des historiens romains ont dépeint l'état misérable dans lequel la culture et la propriété étaient tombées sous les Césars du Bas-Empire, et dans maints endroits de leurs ouvrages, Tacite, Pline, Juvénal ont retracé, sous de vivaces couleurs, la profonde détresse où les campagnes avaient été plongées par les impôts exagérés et les persécutions du fisc. Voilà ce que produit l'élévation de la taxe territoriale.

Veut-on connaître maintenant ce qu'une réduction des charges foncières peut amener de progrès dans la culture et d'accroissement dans la richesse nationale? Qu'on compare la France agricole à un siècle de distance; que produisait-elle en 1760? Que rapporte-t-elle aujourd'hui? Il y a cent ans on n'était pas encore bien éloigné du jour néfaste où un écrivain fameux (1) avait pu, sans être contredit par ses contemporains, parler de ces hommes qu'on voyait errants dans les campagnes, pâles, hâves et décharnés, et, comme les animaux, arrachant à la terre une

(1) La Bruyère.

C'est uniquement sur cette partie du revenu agricole, qui a reçu de la science le nom de Rente, qu'est assis l'impôt foncier, et bien des progrès sont encore à faire avant que celui-ci, malgré ses accroissements, atteigne la limite où la rente se confond avec le produit net. Dans l'état actuel de notre législation financière l'impôt est donc supporté exclusivement par le propriétaire.

Est-ce à dire, comme le soutiennent hardiment quelques publicistes, qu'on peut, sans danger pour la production agricole, augmenter la contribution territoriale jusqu'au maximum même de la rente? Le dépérissement, la décadence immédiate et continue de l'agriculture, tels seraient les fruits engendrés par ce régime. L'histoire d'ailleurs, à défaut de raisonnement, démontrerait, par de tristes exemples, la vérité de ces maximes. L'empire romain, jadis si florissant, livré à la cupidité et aux caprices des Césars, tombe en ruines et s'écroule, non sans fracas, à travers des siècles de souffrances; comment donc s'est ébranlé cet édifice qui semblait devoir braver le temps lui-même? C'est l'impôt qui, épuisant les agriculteurs et les propriétaires, a affamé les populations, riches, libres à l'origine, puis progressivement déchues, réduites à la misère et condamnées enfin à l'esclavage. Quel long cri de douleur retentit dans les œuvres des historiens! « Les hommes libres mis en fuite par les exacteurs, et ne pouvant conserver leur demeure et la dignité de leur naissance, se soumettent au joug de l'inquilinat; les exactions les forcent à s'exiler de leur condition et de leur patrimoine, et à perdre leur propriété et leur liberté (1). » Quel saisissant et lugubre tableau de la propriété romaine dans cette ligne de Tacite : « Villarumne infinita spatia, familiarum numerum et nationes (2) ! »

La raison et la logique nous enseignent, en effet, que plus l'agriculteur ou le propriétaire s'enrichit dans l'exploitation du sol, et plus celle-ci croît et s'améliore; mais si le fisc exige une part de plus en plus forte dans ces bénéfices, les capitaux, les bras qui s'étaient portés vers l'agriculture parce qu'ils y trouvaient une rémunération suffisante, prendront alors une autre direction et chercheront des emplois mieux rétribués. Quoique la suppression de l'impôt, dont nous avons examiné déjà, il y a quelques pages, les fertiles conséquences (3), soit un de ces bienfaits auxquels les besoins de l'État ne permettent point de jamais prétendre, on peut cependant, sans excès de présomption, nourrir l'espoir d'un allégement et d'une diminution; déjà le gouvernement, à plusieurs reprises, a débarrassé les contribuables d'une fraction de leur dette, et

(1) Salvien. De Gubernat. Dei., lib. V.

(2) Tacite. Annales, liv. III, no 53. (3) Voy. suprà.

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